Pensées Morales Extrait[e]s par J. Przybylski

[2r] Pensées Morales

Extrait[e]s

De Divers Auteurs par m L’abbé J. Przybylski

S. V.

1799

N. Kurcewski

[3r] Table des Matieres

Page.

Devoirs des Peres et Meres .... 1.

Devoirs des Enfans .. 2.

Devoirs envers le Prochain. 2.

Respect à la vieillesse. 7.

Respect au malheur. 7.

Hospitalité envers les etrangers. 7.

Les fautes sont personelles. 8.

Amour du travail. 8.

Sobriété. 9.

Bonne union en famille. 9.

Femme vertueu[se] et bon ménage. 9.

Douceur de caractère. 10.

Histoire de Tobie. 12.

De la Morale. 14.

De la Religion. 17.

[3v] Consequences de la morale religieuse. 21.

Devoirs envers Dieu. 22.

Devoirs envers nous-memes. 23.

De la Science. 26.

De la Temperance. 27.

Du courage et de l’activité. 30.

De la propreté. 31.

Devoirs envers nos semblables. 32.

Devoirs envers notre famille. 33.

De l’Economie. 33.

De l’amour Paternel. 34.

De l’amour Conjugal. 35.

De l’amour filial. 36.

De l’amour fraternel. 36.

Des devoirs des Chefs et des subordonnés. 36.

Devoirs envers la société. 37.

Resumé et Conclusion. 41.

Hymne. 43.

[4r] L’invocation. 45.

Catechisme français. 49.

Maximes de la Sagesse. 68.

Morale des Sages. 72.

Adorer Dieu. 73.

Cherissez vos Semblables. 75.

Rendez vous utiles à la Patrie. 79.

Conduite journaliere des Sages. 84.

Devoirs envers nous memes. 88.

Devoirs envers notre Famille. 89.

Devoirs envers la Société. 91.

L’invocation. 92.

Hymne. 93.

Discours sur l’existance de Dieu. 96.

Ode. 103.

Ode. 105.

Hymne. 106.

[4v] Ode. 107.

Ode. 109.

Air : La [charité] des Tirans : Couplets. 110.

Ode : L’autel de la Patrie. 112.

Stances contre l’atheisme. 116.

Le Salut de la France. 118.

Ode : À l’armée François[e]. 119.

Marche de Pirenées. 120.

Chant d’une Esclave. 123.

Stances contre le luxe. 125.

L’adoption. 127.

Air. 129.

Extraits de divers Moralistes, sur la Nature de Dieu,

et sur les preuves phisiques de son existance. 131.

Cantique. 141.

Contemplations de la Nature. 144.

[5r] Ode : Caractére de l’homme juste. 150.

Extrait des pensé[e]s morales de Confucins. 153.

Extrait des pensé[e]s morales de Theognis. 157.

Invocation. 168.

Ode sur la mort. 168.

Extrait de la Morale sur le Bonheur. 171.

Ode. 189.

L’arbre de la Liberté. 200.

Pensé[e]s Morales. Dieu. 202.

Conclusion. 207.

La Fin.

[7r] Pensées Morales extrait[e]s de la Bible.

Dieu est ton createur et ton Maitre, Tu n’adoreras que lui.

Tu ne te feras point d’image, ni en peinture, ni en sculpture, pour l’adorer ni pour lui rendre aucun culte.

Tu dresseras à Dieu un autel simple et lui offriras te[s] dons.

Devoirs des Peres et Meres.

As tu des enfans ? Instruis les, et accoutume les de bonne heure à faire le bien.

Celui qui instruit ses enfans, y trouvera son bonheur et sa gloire.

L’enfant mal instruit est la honte de [7v] son Pere.

Devoirs des enfans.

Honore ton Pere et ta Mare, afin que tu sois heureux.

Que chacun respecte son Pere et sa Mere.

Soulage ton Pere et ta Mere dans leur vieillesse et ne les attrsite pas durant leur vie.

Celui qui afflige son Pere et sa Mere est infame et malheureux.

Que celui, qui aura outragé de paroles son Pere ou sa Mere, soit puni.

Devoirs envers le Prochain.

Tu ne tueras point.

Tu ne deroberas pas.

Tu ne desireras pas la femme de ton prochain, ni sa maison, ni son serviteur, ni sa servante, ni rien qui soit à lui.

[8r] Tu aimeras ton prochain comme toi meme.

Tu ne le calomnieras pas et tu ne l’opprimeras pas par la violence.

Tu ne seras ni un calomniateur public ni un medisant secret.

Quand tu peux donner à un ami ce qu’il te demande, ne le remets pas au lendemain.

Ne trompe pas la confiance de ton ami.

Ne fais pas de procés à un homme sans sujet lorsqu’il ne t’a fait aucun tort.

Celui qui est ami, aime en tout tems et l’amitié se connait dans le malheur.

Lorsque tu verras le boeuf ou la brebis de ton frere, egarés, tu ne passeras pas ton chemin, mais tu le rameneras à ton frere, quand meme il ne serait pas ton parent, ni ton ami, quand meme ce serait ton ennemi.

Si tu vois l’anne ou le boeuf de ton frere, meme de celui qui te hait, tomber dans le chemin, tu ne passeras [8v] pas sans l’aider à le relever.

Pardonne à ton frere le mal qu’il t’a fait.

Tu ne chercheras pas à te venger et tu ne conserveras pas le souvenir de l’injure qui t’aura été faite.

Tu ne feras aucun tort à la veuve et à l’orphelin.

Si tu pretes de l’argent à celui qui est pauvre, tu ne le preteras pas comme un creancier impitoyable et [t]u ne l’acableras pas d’usure.

Tu ne preteras à usure, ni de l’arg[e]nt ni du grain, ni quelque autre chose que ce soit.

Lorsque tu demanderas à ton frere quelque chose qu’il te doit, tu n’entreras pas dans sa maison pour emporter de force quelque gage, mais il te donnera de lui meme ce qu’il pourra.

S’il est pauvre, le vetement qu’il [9r] t’aura donné en gage, ne passeras pas la nuit chez toi, mais tu le lui rendras avant le coucher du soleil, afin qu’il se couvre de son vetement, pendant qu’il dort et qu’il te benisse.

Tu ne refuseras pas à l’indigent ce que tu lui doi[s], mais tu lui donneras le jour meme, le prix de son travail, par ce qu’il est pauvre et qu’il n’a que cela pour vivre.

Ne detourne pas les yeux de dessus le pauvre.

Ne meprise pas celui qui a faim et ne differe pas de donner à celui qui souffre.

Prete l’oreille au pauvre et reponds lui favorablement et avec douceur.

Fais du bien avec discernement.

Prete à ton frere, quand il a besoin, et rends exactement ce qu’on t’a prété.

[9v] Un peu de pain et la vie des pauvres, celui qui te [les] ote, e[s]t un homme de sang.

Celui qui arrache à un homme le pain, qu’il a gagné par son travail, ou celui qui prive l’ouvrier de son salaire, est aussi coupable que celui qui assassine son frere.

Tu ne mentiras pas.

Tu ne porteras pas faux temoignage.

Tu ne suivras pas l’avis du plus grand nombre pour condamner le pauvre en faveur du riche.

Tu ne recevras pas de presens, parce qu’ils aveuglent les plus sages et corrompent les plus justes.

Tu ne feras rien contre l’equité. Tu ne mettras aucune difference entre le pauvre et entre le riche, entre le faible et entre l’homme puis[s]ant, mais jugeras selon la justice.

[10r] Tu ne tromperas pas ton frere.

Ne fai[s] rien contre l’equité, ni dans le[s] jugemens, ni dans ce qui sert de regle, ni dans le poids, ni dans les mesures.

Que la balance soit juste et les poids tels qu’ils doivent etre. Que le boisseau soit juste et que le septier ait la mesure.

Ne porte pas envie aux richesses de celui qui n’a pas de probité, car le malheur fondra sur sa maison.

Respect à la vieillesse.

Leve-toi devant ceux qui ont les cheveux blancs ; honore la personne du vieillard.

Respect au malheur.

Tu ne parleras pas mal du sourd et tu ne mettras rien devant l’aveugle, qui puisse le faire tomber.

Hospitalité envers les etrangers.

Tu ne feras point de peine à l’etranger. [10v] Si un Etranger habite parmi vous, qu’il y soit comme s’il etait né dans votre pays ; aime[z]-le comme vous-memes.

Les fautes sont personelles.

On ne punira pas les enfans pour les peres, ni les peres pour les enfans.

Le coupable ne sera puni que pour le crime qu’il aura commis personellement.

Amour du travail.

Vois la fourmi, paresseux. Considere sa conduite et apprends à devenir sage. Elle fait pendant l’été sa provision pour l’hiver et amasse de quoi se nourrir.

L’indigence viendra te surprendre com[me] un homme qui marche à grands pas. Si tu es diligent, ta maison sera abondante et l’indigence fuira loin de toi.

L’homme laborieux amene toujour[s] l’abondance, mais les paresseux sont toujours pauvres.

[11r] Sobriété.

L’ouvrier sujet au vin ne deviendra jamais riche.

Le vin pris moderement est la joie du coeur, le vin bu avec excés produit la colere et l’emportement et attire des grands maux.

L’insomnie et les maladies sont le partage de l’homme intemperant.

Celui qui mange sobrement, jouit d’une bonne santé.

Celui qui aime les festins, sera dans l’indigence.

Celui qui aime le vin et la bonne chere, ne s’enrichira pas.

Bonne union en famille.

Troi[s] choses sont agréables à voir : des freres qui aiment, des parens bien unis, un mari et une femme qui s’accordent bien ensemble.

Femme vertueuse et bon ménage.

Celui qui a trouvé une femme vertu[11v]euse, a trouvé un grand bien et la source de son bonheur.

Elle est plus precieuse que l’or. Son mari met sa confiance en elle. Elle est attentive à son mènage, elle est l’ornement de sa maison.

Son mari est heureux et elle lui fait passer en paix tous les jours de sa vie.

Qu’ils soient riches ou pauvres, ils auront toujours le coeur content.

Il vaut mieux habiter une [t]erre deserte qu’avec une femme querelleuse et co[l]ére.

Peu de chose[s] avec la joie vaut mieux que beaucoup de bien avec des querelles.

La bonne reputation vaut mieux que les grandes richesses, l’amitié est plus estimable que l’or et l’argent.

Douceur de caractère.

L’homme colère excite des querelles ; celui [12r] qui est patient, les appaise.

Il ne faut qu’un[e] parole de douceur pour calmer la colère et une parole dure pour exciter la fureur.

Il ne faut croire ni aux devins, ni aux songes.

Ne vas pas cherche[r] les magiciens et ne consulte pas les devins.

Celui qui s’attache à des visions, est comme celui qui embrasse l’ombre et qui poursuit le vent.

Les predictions des magiciens et des devins et les songes ne sont que vanité.

Les songes ne sont que l’effet de l’imagination.

La Fin.

[12v] Histoire de Tobie.

Tobie était un homme vertueux.

Ayant été fait prisonnier de guerre, il distribuait tous les jours aux compagnons de sa captivité ce qu’il pouvait avoit.

Il nourrissait ceux qui avaient faim et donnait des vetemens à ceux qui n’en avaient pas.

Il recouvra la liberté et revint dans sa patrie, mais il lui arriva un autre malheur. Il devint aveugle et hors d’état de travailler.

Sa femme allait tous les fours faire de la toile pour procurer à son mari et à elle de quoi vivre. Elle apportait à la maison ce qu’elle pouvait gagner du travail de ses mains.

Ce bon vieillard sentant la fin de sa vie approcher, apela [son] fils et lui dit : « Mon fils, écoute mes conseils et mets-les dans ton coeur.

« Honore ta mere tous les jours de ta vie, en pensant à ce qu’elle a souffert et à com[13r]bien de dangers elle était exposée à cause de toi.

« Ne consens jamais à une mauvaise action.

« Sois charitable autant que tu le pourras.

« Si tu as beaucoup de bien, donne beaucoup pour soulager les freres.

« Si tu as peu, donne ce peu de bon coeur.

« Que l’orgueil ne dirige ni tes pensées, ni tes paroles, ni tes actions.

« Lorsqu’un homme aura travaillé pour toi, paye lui aussi-tot ce qui lui est dû pour son travail.

« Prends garde de faire jamais à un autre ce que tu serais faché qu’on te fit.

« Demande toujours conseil à un homme sage.

« Sois tranquille, mon fils, il est vrai que nous sommes pauvres, mais nous serons toujours assez riche[s], si nous sommes vertueux. »

La Fin.

[13v] Instruction Elementaire

sur la Morale.

Premiere Section.

Principes généraux sur la Morale.

§ I.

De la Morale.

Demande : Qu’est-ce que la Morale ?

Rep[o]nse : C’est la science de nos devoirs.

D : Comment la Morale nous apprend-elle nos devoirs ?

R : En nous éclairant sur le bien que nous devons faire et sur le mal que nous devons eviter.

D : Est-ce que nous avons besoin d’etre éclairés pour distinguer le bien du mal ?

R : Oui, pour le disti[n]guer dans toustes les occa[14r]sions. Car il n’est pas rare de voir des hommes faire mal, quand ils croient bien faire, ou regarder comme mauvaises des actions bonnes ou indifferentes.

D : La morale donne-t-elle une regle sure, pour distinguer toujours ce qui est bien et ce qui est mal ?

R : Oui.

D : Quelle est cette regle ?

R : C’est la maxime suivante :

Le bien est tout ce qui tend à conserver l’homme ou à le perfectionner.

Le mal est tout ce qui tend à le detruire ou à le détériorer.

D : Que signifient ces mots : « Tout ce qui [tend] à conserver l’homme ou à le perfectionner ? »

R : Ils signifient tout ce qui tend à conserver son existence ou à developper les facultés de son ame ou de son corps, à le rendre meilleur, à augmenter son bien-etre, en un mot : tout ce qui tend [14v] à son avantage.

D : D’aprés ce principe, il est donc bien de faire tout ce qui tend à notre avantage ?

R : Oui, pourvu que cette action ne soit pas nuisible aux autres. Car par ces mots : « conserver ou perfectionner l’homme », on n’entend pas un seul homme, mais l’espece humaine en general.

D : Que signifient ces mots : « Tout ce qui tend à détruire l’homme ou à le deteriorer » ?

R : Ils signifient tout ce qui tend à détruire son existence ou à le priver de tout ou de partie de son bien-etre ; en un mot, tout ce qui peut lui etre nuisible.

D : C’est donc un mal de faire quelque chose qui nous est nuisible ?

R : Oui.

D : Mais si cette action n’etait nuisible qu’à nous seuls, et était utile aux autres, serait-elle repréhensible ?

R : Non. Elle serait au contraire un [15r] devouement heroïque. Car si c’est toujours un crime de faire notre bien au prejudice des autres, c’est le plus haut degré de la vertu, de faire le bien des autres à notre prejudice.

D : La maxime que vous venez de citer sur la nature du bien et du mal, s’applique-t-elle à tous nos devoirs ?

R : Oui, et l’on peut dire que cette maxime comprend à elle seule toute la morale.

Tou[s] nos devoirs, comme on le verra par la suite, consistent à faire ce qui est utile, et à eviter ce qui est nuisible.

§ II.

De la Religion.

D : Qu’entendez vous par morale religieuse ?

R : J’entends la morale appuyée sur la religion.

D : Que veut dire le mot « religion » ?

R : Ce mot signifie « lien ».

D : Comment la religion est elle un lien ?

[15v] R : En ce que nous portant à croire à l’existence d’un Dieu qui recompense les bons et qui punit les mechans, elle nous attach[e] plus fortement à nos devoirs.

D : Ce bien est-il nécessaire aux hommes ?

R : Oui, et celui est bien aveugle ou bien mechant qui cherche à le rompre, en s’efforsant de leur persuader qu’il n’existe pas de Dieu et que l’homme périt tout entier, que son corps se dissout.

D : Quels sont les avantages de la religion ?

R : Tendis que la morale nous instruit de nos devoirs, la religion nous porte à les remplir. Ainsi, la religion est la base la plus solide de la morale. Elle est le frein le plus propre à empecher les crimes secrets, la meilleure consolation dans l’adversité.

D : Comment la Religion [console]-t-elle dans l’adversité ?

R : Parce que celui qui croit à un Dieu juste et à un avenir meilleur, est vertueux dans [16r] toutes les circonstances de sa vie, et se console aisément des malheurs ou des injustices qu’il éprouve.

D : Qu’est-ce que Dieu ?

R : Notre intelligence est trop bornée pour que nous puissions connaitre sa nature.

D : Si nous ne pouvons connaitre la nature de Dieu, quelle raison avons-nous de croire qu’il existe ?

R : Nous jugeons pas le spectacle de l’univers, qu’il est impossible qu’il n’existe pas un etre infiniment puis[s]ant et par là meme infiniment juste et bon, qui a créé le monde et qui le gouverne. C’est cet etre que nous appellons Dieu.

D : Qu’est ce que l’ame ?

R : Nous ne pouvons pas non plus definir sa nature, mais nous jugeons par la faculté que nous avons de penser, que notre corps est animé par un principe qui survit à sa dissolution. C’est ce principe que nous appellons ame.

[16v] D : Est ce que notre corps ne pourrait pas penser ?

R : Non.

D : Pourquoi ?

R : C’est que la matiere est incapable de penser par elle meme et que notre corps n’est autre chose qu’une substance materielle.

D : Comment Dieu recompense-t-il les bons et punit-il les méchans ?

R : C’est encore que nous ne pouvons connaitre dans cette vie, et nous n’avons pas besoin de nous en inquieter, pas plus que de la nature de Dieu et de [celle] de l’ame.

D : Pourquoi ne devons-nous pas nous inquiéter de ces objets ?

R : Parce qu’il[s] sont au-dessus de notre intelligence, et qu’il nous suffit de savoir, d’aprés la magnificence et l’ordre de l’Univers, d’aprés le temoignage de tous les peuples et celui de notre conscience, qu’il existe un Dieu, qu’on ne peut concevoir un Dieu sans l’idée de toutes [17r] les perfections, que par consequent ce Dieu est bon, qu’il est juste, qu’ainsi la vertu sera recompensée et le vice puni.

D : Doit-on donc croire à l’existence de Dieu et l’immortalité de l’ame ?

R : Oui, parce que ce sont deux verités evidentes, et aussi necessaires à la conservation des societés qu’au bonheur des individus.

D : Que faut-il faire à l’égard de ceux qui sont asse[z] aveugles pour en douter ?

R : Leur ouvrir les yeux, s’il nous est possible, sans employer jamais d’autre[s] moyens que ceux d’une douce pers[u]asion ; et eviter les querelles qui n’ont que trop souvent produit des divisions funestes.

Seconde Section.

Consequences de la Morale religieuse.

D : Que nous enseigne la morale religieuse ?

R : Elle nous enseigne les devoirs que nous avons à remplir envers Dieu, envers nous memes, envers nos semblables.

[17v] § I.

Devoirs envers Dieu.

D : Que devons-nous à Dieu ?

R : Nous devons l’adorer.

D : Qu’est ce qu’adorer Dieu ?

R : C’est rendre hommage à sa puissance et à sa bonté et le remercier de ses bienfaits ; c’est nous soumettre à tous les evenemens, comme à un effet de sa volonté, c’est surtout obeïr à sa loi qui nous dit : « Fais le bien et evite le mal. »

D : Comment Dieu nous a-t-il manifesté cette loi ?

R : En nous donnent la conscience pour aimer le bien et la raison pour le connaitre.

D : Devons nous rendre à Dieu un culte exterieur ?

R : Oui.

D : Pourquoi ?

R : Pour notre utilité et pour celle des autres.

D : En quoi ce culte nous est-il utile ?

[18r] Parce que le culte en nous reunissant de temps en temps avec nos freres, soit en public, soit dans le sein de nos freres ou de nos familles, pour adorer Dieu et pour nous encourager au bien, nous rappele à des sentimens de respect pour la divinité, de bienveillance pour nos semblables, à la pratique de nos devoirs, et fortifie dans notre ame l’amour de la vertu et l’horreur du vice.

D : En quoi notre attachement à un culte est-il utile aux autres ?

R : Parce que nous donnons à nos proches, à nos amis, à nos consitoyens, un exemple utile qui entretient parmi eux la Religion et la morale, sans les quelles il n’y a de bonheur, ni pour les individus, ni pour les sociétés.

§ II.

Devoirs envers nous memes

ou de vertus individuelles.

D : Quels sont nos devoirs envers nous-memes ?

R : De nous aimer.

[18v] D : Comment devons-nous nous aimer ?

R : Nous devons avoir pour nous-memes non cet amour exclusif qui fait que nous nous prêterons à leur bonheur ou à leur malheur, mais cet amour éclairé qui nous porte à veiller à notre conservation et à notre bien-etre sans nuire à nos semblables.

D : Qui nous inspire cet amour de nous-memes ?

R : L’auteur de la Nature : c’est la premiere loi qu’il [a] imposé[e] à toutes les creatures vivantes.

D : Comment Dieu a-t-il imposé à toutes les creatures vivantes la loi de s’aimer elles memes ?

R : En leur donnant la sensation de la douleur, qui les avertit et les [d]etourne de tout ce qui tend [à] les detruire, et la sensation du bien-etre, qui les porte vers tout ce qui tend à conserver ou à ameliorer leur existence.

D : Que devons-nous faire pour obeïr à la loi que l’auteur de la nature nous a imposée de nous aimer nous-memes ?

[19r] R : Acquerir et pratiquer toutes les vertus qui tendent plus particulierement au bien-etre de chacun de nous et qu’on appelle pour cette raison « Vertus individuelles ».

D : Quelles sont ces vertus ?

R : Ces vertus sont : la science qui comprend la prudence et la sagesse ; la temperance qui comprend la sobrieté et la chasteté ; le courage ou la force du corps et de l’ame ; l’activité, c’est à dire l’amour du travail et l’emploi du temps ; enfin, la propreté ou la pureté du corps, tant dans les vetemens que dans l’habitation.

D : Comment apele-t-on les habitudes contraires aux vertus ?

R : On les appelle les vices.

D : Quel est le vice contraire à la science ?

R : C’est ignorance.

D : Quel est le vice contraire à la temperance ?

[19v] R : C’est le dereglement de passions, qui comprend la gourmandise, l’ivrognerie et le libertinage.

D : Quel est le vice contraire au courage ?

R : C’est la lacheté.

D : Quel est le vice contraire à l’activité ?

R : C’est l’oisiveté.

D : Quel est le vice contraire à la propreté ?

R : C’est la malpropreté.

D : Quel est l’effet de ces vices ?

R : C’est de nuire aux individus qui en sont atteints.

De la science.

D : Comment la science influe-t-elle sur le bien etre des individus ?

R : En leur faisant connaitre avec justesse et clarté ce qui leur est utile et ce qui leur est nuisible, en leur procurent sans cesse des moyens pour subsister.

D : Comment l’ignorance nous est-elle nuisible ?

[20r] R : En ce qu’elle nous fait commettre à chaque instant les erreurs les plus pernicieuses.

D : En quoi consiste la sagesse ?

R : A pratiquer la vertu. L’homme vraiment instruit ne se contente pas de connaitre ce qui est bien : il en fait la regle de sa conduite.

D : En quoi consiste la prudence ?

R : A prevoir les effets et les consequences de chaque chose, de maniere à éviter les dangers qui nous menacent, à profiter des occasions qui nous sont favorables et à pourvoir ainsi à notre conservation pour le présent et pour l’avenir.

D : Que resulte-t-il du défaut de prudence ?

R : Celui qui est imprudent, ne calcule ni ses pas, ni sa conduite, et tombe à chaque instant dans mille emb[a]rras, mille perils qui detruisent plus ou moins lentement ses facultés et son existence.

De la Temperance.

D : Qu’est-ce que la temperance ?

R : C’est la moderation des passions, moderation [20v] necessaire à notre bien-etre, tandis que le dereglement des passions amene notre destruction.

D : Quelles sont les branches principales de la tempérance ?

R : Ce sont la sobriété et chasteté.

D : Comment la sobriété influe-t-elle sur notre bien-etre ?

R : Parce que celui qui est sobre, d[i]gère facilement, il n’est point accablé du poids des alimens, ses idées sont nettes ; il vaque avec intelligence à toutes [s]es affaires ; il vieillit moins exposé aux maladies. C’est ainsi qu’à une seule vertu l’auteur de la nature a attaché mille recompences.

D : Comment la gourmandise nous est-elle nuisible ?

R : Par le[s] maux nombreux qui en sont la suite.

D : Quels sont ces maux ?

R : Le gourmand, surchargé d’alimens, digère avec peine et ne conçoit pas d’idées nettes et claires, il se livre à toute la [21r] fougue de ses passions ; son corps devient pesant et moins propre au travail.

D : Le gourmand n’est il pas exposé à des maladies douloureuses et dispendieuses ?

R : Oui, il vit rarement vieux ou s’il parvient à la vieillesse, elle est remplie de degouts et d’infirmités.

D : L’ivrognerie a-t-elle des effets aussi funestes ?

R : Oui, et de plus p[e]rnicieux encore.

D : Quels sont ces effets ?

R : L’homme ivre, en se privant de sa raison, se ravale au dessous des brutes qui sont fideles à leur instinct ; il chancele et tombe ; il contracte des marchés ruineux et derange ses affaires, il lui echappe des propos, dont il a souvent à se repentir, et il rempli[t] sa maison de troubles et de chagrins.

D : L’ivrognerie ne ruine-t-elle pas aussi la santé ?

R : Oui, et celui qui boit avec excés, finit presque toujours par une mort precoce ou par une vieillesse misérable.

[21v] Du Courage et de l’activité.

D : Comment le courage influe-t-il sur notre bien-etre ?

R : Par ce que l’homme courageux est en etat de defendre sa vie, sa propriété et tous ses droits. S’il lui arrive des malheurs, dont il n’ait pu se garantir par sa prudence, il le supporte avec fermeté et resignation.

D : A quels maux est exposé celui qui manque de courage ?

R : Il vit dans des soucis et dans des angoisses perpetuelles ; la peur mine sa santé et degrade toutes ses facultés ; le moindre revers le jette dans un desespoir funeste.

D : Comment l’activité contribue-t-elle à notre bien-etre ?

R : Par ce que l’homme qui travaille et emploie utilement son [t]ems, en retire mille avantages précieux.

D : Quels sont les avantages du travail ?

R : Il fournit à notre subsistance, previent l’ennui, augmente nos forces et notre santé, et conduit à la pratique de toutes les vertus.

[22r] D : Comment l’oisiveté nous est-elle nuisible ?

R : Celui qui est paresseux et oisi[f], reste ignorant, il perd meme la science qu’il avait acquise ; dévoré d’ennuis, il se livre, pour les dissiper, à toutes ses passions et se laisse entrainer à tou[s] les vices.

De la propreté.

D : Comment la propreté contribue-t-elle à notre bien-etre ?

R : La propreté, tan[t] dans les vetemens que dans la maison, empeche les effets pernicieux de l’humidité et des mauvaises odeurs ; elle entretient la libre transpiration, renouvelle l’air, rafraichit le sang et porte l’allegresse meme dans l’esprit.

D : L’experience confirme-t-elle ces observations ?

R : Oui. On remarque que les personnes soigneuses de la propreté de leur corps et de leur habitation, sont en general moins exposées aux maladies, que celles qui vivent dans la [22v] malpropreté.

D : Quels sont les autres avantages de la propreté ?

R : Elle donne des habitudes d’ordre et d’arrangement, qui sont une des premieres sources du bonheur dans cette vie.

D : Quels sont les inconveniens de la malpropreté ?

R : Elle produit le desordre ; elle est la cause d’une foule d’incommodités et souvent de maladies graves.

§ III.

Devoirs envers nos semblables.

D : Qu’entendez vous par nos semblables ?

R : J’entends tous les etres qui composent l’espece humaine.

D : Que devons nous à nos semblables ?

R : Nous devons les chérir comme nous memes, voir en eux des freres et, en consequence, faire pour leur bien-etre tout ce qui est en notre pouvoir.

D : Comme nous avons avec ceux de nos [23r] semblables, qui composent notre famille, plus de ralations qu’avec les autres membres de la societé, n’avons-nous pas des devoirs particuliers à remplir envers eux ?

R : Oui, on appelle la pratique de ces devoirs, vertus domestiques, parce qu’elles contribuent plus particulierement au bien-etre de notre famille, comme on appelle vertus sociales, la pratique de nos devoirs envers la societé entiére parce que ces vertus contribuent plus particulierement au bien-etre de la societé.

Devoirs envers notre famille

ou des vertus domestiques.

D : Quelles sont les vertus qui contribuent au bien-etre de notre famille ?

R : Ces vertus sont : l’Economie, l’amour paternel, l’amour conjugal, l’amour filial, l’amour fraternel, et l’acomplissement des devoirs de chef et [d]e subordonné.

De l’Economie.

D : Qu’est-ce que l’economie ?

[23v] R : C’e[st] la bonne administration de tout ce qui conserne l’existence de la famille ou de la maison.

D : Comment l’economie contribue-t-elle au bien-etre de notre famille ?

R : Par ce qu’en ne faisant aucune depense inutile, on s’as[s]ure des res[s]ources contre les pertes impr[e]vues, et l’on procure à sa famille, à soi meme [cette] douce aisance qui est une des bases de notre felicité sur la terre.

D : Quel est le vice contraire à l’economie ?

R : C’est la prodigalité qui amene la pauvreté, la misere, l’avilissement.

De l’amour Paternel.

D : En quoi consiste l’amour Paternel ?

R : Dans le soin assidu que prennent les parens de faire contracter à leurs enfans l’habitude de toutes les bonnes actions.

D : Comment l’amour paternel contribue-t-il au bien-etre de la famille ?

R : En ce que les parens, qui elevent bien leurs enfans, preparent le bonheur de ceux-ci, [24r] se procurent à eux memes des jouissances continuelles, et assurent à leur vieillesse des appuis et des consolations contre les besoins et les calamités qui assiegent cet age.

De l’amour conjugal.

D : Comment l’amour conjugal contribue-t-il au bien-etre de la famille ?

R : Par ce que la concorde et l’union, qui resul[t]ent de l’amour des epoux, établissent au sein de la famille une foule d’habitudes utiles à sa prosperité et à sa conservation.

D : Quelles sont ces habitudes ?

R : Les epoux unis aiment leur maison et la quittent peu ; ils en surveillent tous les details, ils s’appliquent à l’education de leurs enfans, maintiennent le respect et la fidelité des subordonnés ; ils empechent tout desordre et toute dissipation.

D : Comment le défaut d’amitié entre les epoux est-il nuisible à la famille ?

R : En ce qu’il remplit la maison de [24v] troubles, fait negliger l’education des enfans et entraine une foule de desordres.

De l’amour filial.

D : Comment l’amour filial contribue-t-il au bien-etre de la famille ?

R : Par les douces habitudes d’attachement, qu’inspirent aux enfans les soins affectueux de leur[s] parens, et par la reconnaissance qui les porte à rendre, autant qu’il est possible, ces memes soins aux auteurs de leurs jours.

De l’amour fraternel.

D : Comment l’amour fraternel contribue-t-il au bien-etre de la famille ?

R : Par ce que les freres unis s’aident dans les besoins, se secourent dans leur infortune, assurent ainsi leur commune existence, tandis que les freres desunis tombent dans tous les inconveniens de l’isolement et de la faiblesse individuelle.

Des devoirs des Chefs et

des subordonnés.

[25r] D : En quoi consistent ces devoirs ?

R : Dans la pratique des actions utiles aux uns et aux autres. Zele, respect et fidelité, d’une part ; justice et bons traitemens, de l’autre. Tels sont les devoirs dont l’accomplissement reciproque fait prosperité de la famille.

Devoirs envers la societé

ou des vertus sociales.

D : Quelles sont les vertus qui contribuent au bien-etre de la societé en general ?

R : Ces vertus sont : la justice, la bienveillance, la probité, la douceur, la modestie, la sinserité, la simplicité des moeurs, l’amour de la Patrie ?

D : En quoi consiste la justice ?

R : A ne pas faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fit.

D : En quoi consiste la bienveillance ?

R : A faire aux autres tout ce que nous voudrions qui fut fait à nous-memes, à pardonner à nos ennemis, en tant [25v] que ce pardon s’accorde avec notre conservation, à soulager les pauvres, sans cependant favoriser l’oisiveté qui est nuisible au pauvre lui-meme, autant qu’à la societé.

D : En quoi consiste la probité ?

R : A respecter tous les droits d’autrui.

D : En quoi l’absence de ces vertus est-elle nuisible à la societé ?

R : En ce qu’elle l’expose à tous les malheurs que produisent les injustice[s], les haines, les vols et les assassinats.

D : Comment la douceur, la modestie et la sincerité contribuent-elle[s] au bien-etre de la societé ?

R : Par ce qu’elles etablissent parmi les hommes la confiance, la concorde et la paix, tandis que la dureté de caractere, l’orgueil et le mensonge, la perfidie aliennent les coeurs, exci[t]ent les defiances, les querelles, les vengeances et une foule de maux [26r] qui tendent à la destruction de la societé.

D : En quoi consiste la simplicité des moeurs ?

R : A resserrer ses besoins et ses desirs, à ce qui est necessaire et veritablement util[e] et surtout à ne pas faire de depenses qui exci[t]ent [c]es facultés.

D : Comment la simplicité des moeurs contribue-t-elle au bien-etre de la societé ?

R : En y entretenant toutes les vertus, tandis que le luxe corrompt la societé entière et donne nais[s]ance à une foule d’autres vices qui causent sa perte.

D : Comment le luxe donne-t-il naissance à une foule de vices qui causent la perte de la societé ?

R : Par ce qu’il enfante l’avidité qui donne naissance à la violence et à la mauvaise foi ; il substitue l’amour de l’argent à toutes les vertus et fait, en consequence, de mauvais epoux, des mauvais peres, des enfans [26v] ingrats, des chefs injustes, des subordonnés infideles, des magistrats qui sacrifient leur[s] devoirs à l’interet.

D : En quoi consiste l’amour de la patrie ?

R : A cooperer à sa conservation et à son bonheur.

D : Par quels moïens devons-nous cooperer à la conservation et au bonheur de notre patrie ?

R : En remplissant tous nos devoirs, chacun dans [sa] situation, en la defandant, si elle est attaquée, en obeïssant aux loix, en respectant les magistrats et en donnant l’exemple de toutes les vertus qui font le bonheur des individus, des familles et des societés.

D : L’amour de notre pays doit-il nous empecher d’aimer les autres nations ?

R : Non, notre amour doit au contraire embrasser le genre humain tout entier. Mais la reconnaissance nous porte à avoir des sentimens plus affectueux p[o]ur le pays qui nous a vu naitre et qui nous a elevés.

[27r] D : Pourquoi devons-nous des sentimens plus affectueux à notre patrie ?

R : Parce que c’est aux habitans de ce pays que nous devons le plus immediatement notre sureté et tous les avantages dont nous jouissons dans l’etat social.

Resumé et Conclusion.

D : En quoi consiste toute la theorie de la morale ?

R : A savoir distinguer avec certitude ce qui est bien et ce qui est mal.

D : Etes-vous en etat de faire cette distinction ?

R : Oui, d’aprés le principe que le bien est tout ce, etc. ; reconnais que ce qui constitue une bonne action, c’est son utilité, et qu’[u]ne action est mauvaise, quand elle est nuisible. Je reconnais qu’une action, qui serait utile à moi meme et nuisible aux autres, serait egalement mauvaise.

[27v] D : Quel est le plus solide fondement de la morale ?

R : La Religion.

D : En quoi consiste la pratique de la morale et de la Religion ?

R : A rendre hommage à la puissance et à la bonté de Dieu, à se soumettre à sa providence, à s’instruire, à modere[r] ses passions, à aimer et secourir ses semblables, à se rendre utile à la famille et à la societé.

D : Quelle est la recompence de celui qui pratique ces devoirs ?

R : Il remplit le but du Createur, il jouit de la paix d’une bonne conscience, il perfectionne son etre, il conserve et ameliore son existence et celle des autres ; il ne craint pas la mort, parce qu’elle lui offre l’esperance d’un avenir heureux.

D : Le bonheur n’est donc que dans la vertu ?

[28r] Oui, et ceux qui le cherchent ailleurs, sont des foux qui s’egarent, ou des ignorans qui ne connaissent pas leur interet. Ce n’est pas dans la fortune, ni dans les dignités qu’est le contentement, c’est dans le temoignage d’une bonne conscience. Le vice detruit l’homme, le deteriore et l’avilit. La vertu le conserve, le perfectionne et en fait, en quelque sorte, l’image de la divinité.

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[40v] Maximes de la Sagesse.

Les Sages croient à l’existence de Dieu et à l’immortalité de l’ame.

Le spectacle de l’univers atteste l’existence d’un premier etre.

La faculté que nous avons de p[e]nser, nous assure que nous avons en nous-memes un principe superieur à la matiere et qui survit à la dissolution de notre corps.

L’existance de Dieu et l’immortalité de l’ame n’ont pas besoin de longues demonstrations : ce sont des verités de sentiment, que chacun trouve dans son coeur, s’il y descend de bonne foi.

Les mechans seuls cherchent à en douter ; parce que l’idée d’un Dieu juste trouble leurs jouissances criminelles.

Les Sages tiennent d’autant plus à cette double croyance, qu’elle est aussi nécessaire à la conservation des societés, qu’au bonheur des individus. Car une aggregation d’hommes, qui ne reconnaitraient pas de Dieu [41r] et qui croiraient leurs crimes ensevelis pour jamais dans le tombeau, serait bientot une troupe de betes feroces.

Raisonneurs froids et insensés, comment osez-vous demander que l’on prouve à votre entendement des dogmes dont depent le bonheur du monde !

N’y a-t-il de verités que celles qui sont soumises aux demonstrations rigoureuses des sciences exactes ? Et ce qui appartient au sentiment, n’a-t-il pas aussi son evidence ?

Un systeme qui rend les hommes bons, compatissans, scrupuleux, sur la probité et sur tous leurs devoirs, peut-il etre un systeme d’erreurs ?

Celui qui tend à leur persuader qu’ils peuvent etre fourbes, ingrats, cruels, parricides meme, et que le seul crime est de n’avoir pas l’adresse d’échapper à la justice humaine, un systeme aussi monstrueux peut-il etre de la verité ? [41v] Tel est le systeme qui nie l’existence de Dieu et l’immortalité de l’ame.

Ce qu’est Dieu, ce qu’est l’ame, comment Dieu recompence les bons et punit les mechans, les Sages ne portent point jusque-la leurs recherches indiscretes. Ils sont convaincus qu’il y a trop de distance entre Dieu et la creature, pour que celle-ci pretende à le connaitre.

Ils se cont[ent]ent de savoir d’aprés la magnificence et l’ordre de l’univers, d’après le temoignage de tous les peuples et celui de leur conscience qu’il existe un Dieu, qu’on ne peut concevoir un Dieu sans l’idée de toutes les perfections ; que par consequent ce Dieu est bon, qu’il est juste, qu’aussi la vertu sera recompensée et le vice puni.

Il est facile de se tromper ou [42r] d’etre trompé. Nos opinions dependent souvent de circonstances dont nous ne sommes les maitres. Les sages [se] gardent bien en consequence de haïr, encore moins de persecuter leurs semblables pour des opinions qu’ils ne partagent pas. Ils cherchent seulement, s’ils les croient dans l’erreur, à les desabuser par une douce persuasion. S’ils persistent, ils conservent pour eux les memes sentimens d’ami[t]ié. Ils n’ont en horreur que les actions criminelles ; ils plaignent les coupables et emploient tous leurs efforts pour les ramener au bien.

La Fin.

[42v] Morale des Sages.

Elle est basée sur un precepte :

Adore[z] Dieu, cherissez vos semblables, rendez vous utiles à la Patrie.

Ce principe est la consequence de l’existence de Dieu. Puisqu’il est ordonnateur supreme de l’univers, puisque nous tenons tout de lui, nous lui devons l’hommage de la reconnaissance, nous devons ami[t]ié à nos semblables qui sont, comme chacun de nous, ses enfans. L’obligation de cherir nos sembl[a]bles renferme celle d’aimer notre Patrie, de nous rendre utiles à nos concitoyens avec lesquels nous avons plus de relations, qu’avec les habitans des autres parties du globe et qui protegent plus immediatement notre existence.

Toute morale qui s’accorde avec ce grand principe, est bonne aux yeux [43r] des sages.

Il leur sert de regle dans toutes leurs actions et ils en font découler tous leurs devoirs.

§ I

Adorer Dieu.

Adorer Dieu, c’est elever sa pensée vers lui, c’est le remercier de ses bienfaits ; c’est ne pas murmurer des evenemens que nous regardons comme des malheurs ; c’est en profiter pour fortifier notre ame, pour la rendre independante de tout ce qui est hors de nous, pour nous accoutumer à n’attacher l’idée de bien qu’à la sagesse et à la vertu, et l’idée de mal, qu’au crime et à la folie.

Adorer Dieu, c’est surtout abeïr à sa loi, qu’il nous a clairement expliquée par ce sentiment interieur, [43v] qui nous porte au bien et qui nous detourne du mal, et qu’on appelle la Conscience.

Qui peut meconnaitre sa voix ? Quelques malheureux cherchent en vain à l’etouffer, en s’accoutumant au crime. Elle leur crie toujours : Tu fais mal. Son approbation qui se manifeste par la satisfaction que nous eprouvons en faisant le bien, est la plus douce recompence de la vertu sur la terre.

Comme la consciance, toujours infaillible, quand il s’agit de juger la moralité de nos actions : c’est à dire, l’intention qui les a produites, peut quelque fois etre egarée sur la naturedu bien ou du mal en lui meme, les Sages ont une regle sure pour ne pas se tromper à cet egard. Cette regle e[s]t la [44r] maxime suivante :

Le bien est tout etc.

Le mal est tout etc.

Ce principe, dans son application morale, apprend aux Sages qu’il n’y a de bonnes actions que celles qui sont utiles, et qu’il n’y a de mauvaises actions que celles qui sont nuisibles.

Faire une chose utile à nous-memes, et nuisible aux autres, est toujours un crime.

Faire une chose utile aux autres, et nuisible à nous seuls, c’est l’heroïsme de la vertu.

§ II

Cherissez vos Semblables.

Cherir ses semblables, c’est les aimer comme soi meme. Celui qui cherit ses semblables, fait aux autres tout ce qu’il voudrait qu’on lui fit. [44v] Il ne fait à personne ce qu’il ne voudrait pas qu’i[l] lui fut fait. Il n’est ni calomniateur, ni medisant. – Il ne remet pas au lendemain le service qu’il peut rendre sur le champ. – Il n’opprime pas ceux qui sont plus faibles que lui. – Il leur prete son appui pour les defendre contre l’oppression. – Il soulage les malheureux. – Il console ses freres, quand ils sont dans l’affliction. – Il les visite, quand ils son[t] malades. – Il leur donne tous les secours qui sont en son pouvoir. – Il soutient leur courage. – Il eloigne d’eux les terreurs de la mort et les conduit doucement sur les ailes de l’esperance, jusque aux portes de l’eternité. – Il pardonne aux autres le mal qu’ils lui font. – Il ne cherche pas à se vanger. – Il oublie les injures. – Il evite les mechans, s’il ne peut les corriger. – Il secourt la veuve et l’orphelin. – Il ne refuse pas [45r] ce qu’il doit : il ne fait pas attendre l’indigent aprè[s] le prix de son travail. – Il donne avec discernement et ne favorise pas la pauvreté paresseuse. – Il n’empeche pas de faire du bien celui qui en a volonté, et il fait du bien lui-meme, toutes les fois qu’il le peut. – Il honore la vieillesse. – Il respecte le malheur. – Il est hospitalier envers les etrangers. – Il ne favorise pas le riche au prejudice du pauvre. Il ne trompe pas. Il ne fait rien contre l’équité et la bonne foi. Il ne porte pas envie aux succés de l’honete homme, il imite son industrieuse probité, encore moins à ceux du frip[o]n. Les richesses mal acquises sont un malheur de plus pour les mechans. – Il n’excite pas des querelles par ses emportemens : il les appaise par sa douceur. [45v] Il evite tous les excés qui troublent la raison et portent à la violence. – Il souffre les défauts d’autrui, bien persuadé qu’il en a, que les autres voient mieux que lui et qu’ils sont obligés de supporter. Il ne se livre pas sans motifs à la defiance, aux mauvais soupçons. Il ne s’arrete pas à des propos souvent mal rapportés ; il evite tout ce qui tend à rompre la bonne intelligence qui doit [exister] entre des freres. – Il est patient, doux, bienfaisant ; il ne s’enfle point d’orgueil ; il n’est pas dédaigneux, pas egoïste, pas ambitieux. Il ne se pique et ne s’aigri[t] pas facilement ; il ne se re[j]ouit pas du mensonge et de l’injustice ; il n’aime que la verité.

Il fait bien sans ostentation et sans se lasser. Il pardonne à ses ennemis ; il fait du bien à ceux qui le haïssent, qui le persecutent et qui le calomnient.

[46r] S’il a des subordonnés, il le[s] traite avec douceur. S’il est subordonné lui-meme, il temoigne à ses chefs du respect et de l’affection. Il remplit ses devoirs avec exactitude et sans avoir besoin qu’on ait l’oeil sur lui.

§ III

Rendez vous utiles à la Patrie

Se rendre utile à sa Patrie, est un devoir dont il n’est pas difficile de demontrer la necessité. Outre qu’il est renfermé, comme on l’a vu, dans l’obligation de cherir ses semblables, notre interet nous en fait une loi. C’est à la reunion des hommes qui nous entourent, que nous devons notre sureté et tous les avantages dont nous jouissons dans la société. L’homme qui a une enfance si longue et si faible, peri[46v]rait presque toujours de faim ou par la dent des betes feroces, s’il etait isolé ou reduit à la sterile défance de son pere et de sa mere.

Une société ne peut subsister que par la tendance de tous les membres qui la composent, à sa conservation. De sa souffrance ou de son bien-etre, depend tresimmediatement la souffrance ou le bien-etre de chaque individu. Nous devons donc autant par reconnaissance que par interet, coopérer au bien-etre de la société au sein de la quelle nous sommes nés et qui nous a élevés, c’est à dire, nour rendre utile[s] à la patrie.

Celui qui veut se rendre utile à sa patrie, s’il a des enfans, les instruit et les accoutume de bonne heure à la vertu, afin qu’ils soient à leur tour utiles à la société. Il y trouvera lui-meme son bonheur et sa gloire, tandis [47r] que l’enfant mal instruit est la honte de son pere et de sa mere.

Le bon citoyen est laborieux. Semblable à la fourmi qui fait pendant l’été sa provision pour l’hiver. Il se men[a]ge, pendant qu’il est jeune, les moyens d’exister dans la vieillesse. Pour n’avoir besoin de personne, il faut travailler. La paresse engendre les soucis. Elle est la mere de tous les vices. L’industrie, au contraire, produit tous les plaisirs. Elle rend le peuple et les individus riches et puissans. Ainsi, l’homme laborieux est en meme tems utile à sa patrie et à sa famille et à lui-meme.

La patrie est elle en danger ? Nous devons, sans hesiter, voler à sa défense. C’est ce dévouement absolu, qui fait seul la sureté de l’état [47v] en general et de chaque citoyen en particulier. Faisons des voeux pour qu’enfin tous les hommes ne voient entre eux que des freres et qu’ils cessent de se detruire les uns les autres. Mais si notre pays est attaqué, le seul moyen d’avoir une paix solide est d’opposer une vigoureuse défence : sans cela, tous les habitans seraient les victimes de l’ennemi.

Tous sont donc obligés, autant par interet que par devoir, de réunir leur[s] efforts pour les repous[s]er. Il est indispensable au sou[t]ien de la patrie que chaque individu soit soumis aux loix et paye à l’etat les contributions qui lui sont dues.

Chaque membre de la société doit à la société entiere [48r] l’exemple de son respect pour les moeurs, pour les lois, pour les magistrats, pour tous les cultes publi[c]s et pour leurs magistres, pour les usages generalement reçus, qui ne choquent pas la morale ; l’exemple, en un mot, de toutes les vertus qui font le bon fils, le bon époux, le bon Pere, le bon citoyen.

La Fin.

[48v] Conduite journaliere des Sages.

Le Sage n’accorde au sommeil que le tems necessaire pour réparer ses forces. A son reveil, il eleve son ame vers la divinité et lui adresse au moins par la pensée, l’invocation qui va etre recitée dans un moment.

Il fuit l’oisiveté, comme l’état le plus dangereu[x]. Il travaille avec zele. Il se delasse en v[a]riant ses travaux. Toujours il s’occupe, meme dans ses loisirs. L’invocation enerve l’ame et le corps.

Il pense quelque fois dans la journée, qu’il est en presence de la divinité. Ce temoin de toutes ses actions et sa conscience le soutiennent dans la pratique du bien, le detournent du mal, l’avertissent de ne pas abuser de la fortune et de [49r] supporter l’adversité avec courage.

Au moment de ses repas, il temoigne par la pensée sa reconnaissance à l’auteur de la nature.

Il ma[n]ge et boit sobrement. La santé accompagne la sobriété. L’indigence et les maladies sont la suite de l’intemperance.

Il ne cherche pas à se faire remarquer par des singularités. Il porte partout la franchise et la serenité qui caracterisent les gens de bien.

A la fin de la journée, il s’interroge lui-meme de quel défaut t’es-tu corrigé aujourd’hui ? … Quel penchant vicieux as-tu combatu ? … En quoi vaux-tu mie[u]x ? Le resultat de cet examen de conscience est la resolution d’etre meilleur le lendemain.

Après cela, il prononce l’invocation suivante.

[49v] L’invocation

Pere de la nature, je benis tes bienfaits, je te remercie de tes dons.

J’admire le bel ordre de[s] choses, que tu as etabli par ta sagesse et que tu maintiens par ta providance et je me soumets pour toujours à cet ordre universel.

Je ne te demande pas le pouvoir de bien faire. Tu me l’as donné, ce pouvoir, et avec lui, la conscience pour aimer le bien, la raison pour le connaitre, la liberté pour le choisir. Je n’aurais point d’excuse, si je faisais mal. Je prends devant toi la resolution de n’user de ma liberté que pour faire le bien, quelques attraits que le mal paraisse me presenter.

Je ne t’adresserai point d’indiscretes prieres, tu connais les creatures sorties [50r] de tes mains ; leur[s] besoins n’echappent pas plus à tes regard[s], que leurs plus secretes pensées. Je te prie seulement de redresser les erreurs du monde et les miennes, car presque tous les maux qui affligent les hommes, viennent de leurs erreurs.

Plein de confiance en ta justice, en ta bonté, je me resigne à tout ce qui arrive. Mon seul desir est que ta volonté soit faite. Ainsi soit-il.

Après cela nous devons examine[r] devant Dieu, si nous avons rempli tous les devoirs qu’il nous a imposés :

Envers nous-memes,

Envers notre famille,

Envers la société.

Rien de plus important que cet examen. N’ayant été placés sur la terre que pour travailler à la perfection de notre etre et au bonheur [50v] de nos semblables, nous ne remplirons le but du createur qu’en nous corrigeant de nos vices et en nous fortifiant dans la pratique de toutes les vertus.

Interrogeons-nous donc sur les progrés que nous avons faits dans la vertu et mettons nos vices à la question.

Devoirs envers nous memes.

Avons-nous cherché à acquerir et à perfectionner en nous cette science dont personne n’est dispensé, celle qui nous procure des res[s]ources et de[s] moyens pour subsister, qui donne la prudence et la sagesse, et qui garantit de toutes les erreurs funestes que produit l’ignorance ?

Avons nous été sobre ? Avons nous énervé la force de notre corps et de notre ame, en nous abandonnant [51r] à la paresse, à l’oisiveté, mere de tous les vices ? Avons-nous usé de la bonne fortune avec moderation et supporté l’adversité avec courage ? Avons-nous entretenu, tant dans nos vetemens, que dans notre habitation, cette propreté qui accompagne ordinairement la pureté de l’ame et qui preserve le corps d’une foule d’incommodités et de maladies graves ?

Devoirs envers notre Famille.

Chefs de famille, savons nous regler l’administration de notre maison avec une sage économie qui preserve nous et notre famille de la pauvreté et de la misere, de l’avilissement qu’entraine la prodigalité ?

Avons-nous pour nos enfants un amour assez eclairé, pour leur faire contracter de bonne heure l’habitude de la vertu ?

Epoux, entretenons-nous, par des égards [51v] et des a[tt]entions reciproques, la paix, l’amitié, la concorde, dont l’absence remplirait notre maison de troubles, produirait les infidelités, ferait negliger l’education des enfans et entrainerait une foule de desordres ?

Avons-nous pour nos parens tout le respect, toute la déférence, le pieux attachement, dont la nature et la reconnaissance nous font un devoir ? … Enfans, vous devez voir un second pere dans celui qui vous donne l’instruction.

Conservons-nous avec nos freres cette union qui fait la prosperité des familles ? Rien ne doit rompre des noeuds que la nature elle-meme a formés.

Maitres, traitons-nous nos domestiques ou nos subordonnés avec cette douceur et cette fermeté qui concilient l’amour et le respect ? … Sommes-nous justes envers eux ? … Subordonnés, remplis[s]ons-nous nos devoirs avec zele, fidelité et affection ?

[52r] Devoirs envers la société.

Observons nous envers nos semblables la justice, loi immuable de l’auteur de la nature, qui veut que tous s’aident les uns les autres ; loi que nous impose notre propre interet, puisque nous n’avons droit d’attendre du bien des autres, qu’autant que nous leur en faisons nous-memes, et que si nous leur faisons du mal, nous nous exposons à etre traités de la meme maniere ?

Avons-nous, d’après cet esprit de justice, fait aux autres tout ce que nous aurions voulu qu’on nous fit ?

N’avons-nous fait à personne ce que nous n’aurions pas voulu qu’i[l] nous fut fait ? Avons nous rempli toutes les obligations que nous impose cet esprit de justice ?

Celle d’aimer notre prochain comme nous-memes ; de faire du bien aux malheureux ; de respecter l’honneur, les propriétés et tous les droits de nos semblables ? Avons-nous [52v] à nous reprocher des actes contraires à la douceur, à la modestie, à la simplicité des moeurs, à la sincerité, à l’amour de la Patrie, vertus qui toutes sont necessaires à la conservation et au bonheur de l’homme en société ?

Nous sommes-nous arrétés à la pensée d’une mauvaise action ?

L’invocation

Pere des humains, en p[a]ssant en revue tous mes devoirs envers moi-meme, envers ma famille, envers la société, je reconnais que tu m’as lié à la pratique de ces devoirs par mon propre interet, et que la vertu seule peut faire mon bonheur, meme dans cette vie passagere. Je te remercie de ce bienfait qui est une nouvelle preuve de ta bonté infinie. Ah ! si tous les hommes etaient assez éclairés pour voir combien le vice entraine de desordres funestes à eux memes et à la Société, ils seraient tous [53r] vertueux et cette terre serait un lieu de délices. Il est donc bien vrai que presque tous les maux, qui affligent les hommes, proviennent de leurs erreurs et [de] leur ignorance. Corrige, Dieu bon, ce fatal ave[u]glement et inspire à tes enfans le desir de s’instruire.

Je te supplie d’ensevelir mes fautes dans la nui[t] des temps, en faveur du bien que j’ai voulu faire. Je prends devant toi la resolution de devenir meilleur et de remplir le but pour le quel tu m’as placé sur la [t]erre, en reveillant par de bonnes actions, à la perfection de mon etre et au bonheur de mes semblables.

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[54v] Discours sur l’existance de Dieu.

Qu’elle est belle et consolante, cette idée grand[e] et sublime de l’existance de Dieu ! Le cours de la nature le proclame partout et le demande à l’univers entier.

Elevons-nous jusqu’à ces verités sublimes, sur les quelles la lime du temps ne peut rien et qui doivent surnager sur l’abyme des siecles. Parlons de ce grand etre dont l’essence est infinie et inconcevable, que nous ne pouvons comprendre et dont nous adorons les bienfaits, devant le quel toute notre raison s’aneantit et qu’on a [e]ssayé de definir par cette idée.

L’eternel est son nom ; le monde est son ouvrage.

Tout parle hautement à l’homme en faveur de la divinité. Il la trouve [55r] en lui et hors de lui.

En lui, parce qu’il sent bien qu’il ne s’est pas créé lui-meme et que pour comprendre comment il existe, il faut nécessairement recourir à l’idée d’une main puissante qui l’ait tiré du neant.

Hors de lui, dans ce vaste tableau de l’univers il reconnait les traces de ce grand ouvrier qui s’est peint lui-meme dans ses ouvrages. Partout on y voit les preuves d’une intelligence puis[s]ante et sans bornes. Eh ! qui peut contempler les cieux sans éprouver les plus vives emo[t]ions et les elans de l’enthousiasme ! o ! ouvrage inconcevable ! Oui, tu es digne du Dieu qui t’a fait.

L’homme est trop faible pour te louer assez.

Quelle richesse ! quelle b[e]auté ! quelle masse et quelle force de mouvemens ! quelle harmonie admirable !

Quel dessein mer[v]eilleux dans le plan ! quelle justesse de proportion dans les moyens ! quelle grandeur dans la fin ! comme tout l’ensemble [55v] concourt au bien general !

Mais au millieu de l’action continuelle et simultanée de cette machine immense, quel vaste filace dans l’univers ! c’est le calme de la plus grande solitude. Pas le moindre desordre. Tout cet amas de globes marche en foule dans un silence respectueux.

Dieu leur a defendu de se reposer jamais, il leur a ordonné de respecter le repos de l’homme et de glisser sans bruit sur sa tete, en ne laissant tomber qu’une douce clarté sur ses yeux fermés par le sommeil. C’est en lettres de feu que le tout puissant a tracé son nom dans les cieux. La main de l’homme ne peut y atte[i]ndre. Ne cessons de lire ces grandes verités sans cesse offertes à nos regards.

Ce vaste spectacle, qu’il est autre chose que le systeme complet de l’existance de Dieu, que la nature étale et developpe à l’oeil attentif ?

[56r] Il n’est que trop vrai qu’il est des hommes qui ne peuvent s’elever jusqu’à Dieu, qui prononcent sans appel, que c’est une folie de croire ce qu’on ne peut concevoir, et pour qui l’invisible et le néant n’ont point de difference.

Quel fut donc le but de l’eternel geometre, lorsqu’aprés avoir debrouillé cet immense chaos, il laissa tomber de sa main, dans le sein de l’univers, cet insecte pensant, l’homme, pour y voir en rampant cette scene de merveilles, pour y vivre dans une surprise continuelle, et mourir toujours cofondu sans l’idée de la toute puissance de leur auteur ? N’est-ce pas pour apprendre à l’homme presomptueux à ne pas nier dans Dieu ce qu’il n’y peut comprendre ?

Etonné et fatigué de ce grand spectacle, veux-tu une preuve plus simple de l’existence de la divinité ? Re[56v]tire-toi du tumulte du monde, ferme sur toi les portes de ton ame, tire un rideau sur tous les sens, etein[s] pour un moment les clameurs de tes passions ; et alors, dans un calme parfait, dans le silence de la nature et de la raison interroge toi.

Qui suis-je ? d’où suis-je tiré ? je l’ignore. Tout ce que je fais, c’est que j’existe. Il doit donc exister un etre eternel. Car s’il y eut en un seul instant, où rien n’existat, jamais il n’y eut en […] d’etre.

S’il y a quelque chose d’eternel, ce n’est pas l’espece humaine. Chacun de ses anneaux est si fragile et passe si vite ! Tout annonce des desseins et de[s] […] sublimes. Des […] supposent un art et de l’intelligence. L’homme peut-il etre l’auteur d’un ouvrage dont il a peine encore à concevoir l’idée, en le voyant fini ?

[57r] La Matiere, dit-on, s’est ainsi arrangée elle-meme. Mais le mouvement est etranger à la matiere ; elle n’a ni la pensée, ni le jugement, ni le genie. Aurait-elle créé ces lois dont la seule conjecture a rendu Nevton immortel ? S’il etait ainsi, quelle superiorité les sages atomes auraient-ils sur l’homme ?

Il a donc fallu un art et une sagesse surnaturels, bien superieus à la faiblesse de l’homme. Il a donc fallu un sublime géometre, pour presider à cette grande fabrique de l’univers, et parmi toutes ces clameurs de l’incertitude et de l’incredulité, la raison d’une voix plus forte ne cesse de nous crier : Crois [en] Dieu.

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[72r] Extraits de divers Moralistes sur la Nature de Dieu et sur les preuves phisiques de son existence.

Ne demandez pas ce que c’est que Dieu. Beaucoup de pretendus philosophes ont cherché à definir sa nature et ont prouvé par leur[s] deresonnemens qu’entre l’essence divine et notre intelligence il y a un immense intervalle. On demandait au leg[i]slateur de l’Arabie ce que c’est que Dieu, Dieu est Dieu, repondit-il, voulant dire par là que l’idée de Dieu embrasse toutes les perfections et qu’il ne peut se definir que par lui-meme.

On fit la meme question à un sage de [72v] l’antiquité. Il demanda un temps fort long pour y reflechir. Au bout du terme il fit prolonger, le de lui, et repeta ainsi plu[s]ieurs fois le meme expedient. Sur ce qu’on parut étonné de son embarras, il repondit que plus il examinait la question, plus il la trouvait au dessus de sa portée.

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Que nous importent des raisonnemens subtiles sur l’essence divine. Ces raisonnemens ne nous rendron[t] pas meilleurs. L’objet essentiel est d’etre bien convaincus de l’existence d’un premier etre, cette croyance salutaire peut seule assurer le triomphe de la vertu sur le crime.

[Je] ne sais, a dit l’un de plus brillans genies de ce siecle, s’il y a une preuve [73r] plus formelle et qui parle plus fortement à l’homme, que cet ordre admirable qui régne dans le monde, et si jamais il y a eu un plus bel argument que ce verset :

Le ciel publie la gloire de Dieu, etc.

Aussi Nevton ne trouvait de raisonnement plus convaincant et plus beau en faveur de la divinité, que celui d’un sage de l’antiquité : « Vous jugez que j’ai une ame intellig[e]nt[e], parce que vous appercevez de l’ordre dans mes paroles et dans mes actions, jugez donc, en voyant l’ordre de ce monde qu’il y a une ame souverainement intelligente. »

L’auteur « De l’esprit des [l]ois » a fait valoir le meme argument avec une precision digne de son genie : « Ceux qui ont dit qu’une fatalité aveugle a produit tous les effets que nous voyons dans le monde, ont dit une grande [73v] absurdité, car quelle plus grande absurdité qu’une fatalité aveugle qui aurait produit des etres intelligens. »

« Supposons, disait un celebre Orateur de l’ancienne Rome, des hommes qui eussent toujours habité sous terre, dans de belles et grandes maisons, ornées de statu[e]s et de tableaux four[r]és de tout ce qui abonde chez eux, qu[e] l’on croit heureux ; supposons que sans etre jamais sortis de là, ils eussent entendu parler de Dieu et que tout à coup la terre venant à s’ouvrir, ils quittassen[t] leur sejour tenebreux pour venir deme[u]rer avec nous, que penseraient-ils en decouvrant la terre, les mers, le ciel, en considerant l’etendue des nues, la violance des vents, en jettant les yeux sur le soleil, en observant sa grandeur, sa beauté, l’effusion de sa lumiere qui eclaire tout ? Et qu[a]nd la nuit [74r] aurait obscurci la terre, que diraient-ils en contemplant le Ciel, tout parsemé d’astres differens, en remarquant les verités surprenant[es] de la lune, son croissant, son decours, en observant enfin le lever, le coucher de tous ces astres, et la regularité convenable de tous leurs mouvemens ! Pourraient-ils douter qu’il n’y eut en effet un Dieu, et que ce ne fut là son ouvrage ?

Cette supposition est ingenieuse, mais sans doute des etres pensans n’ont pas besoin d’avoir été, pendant un tems, privés du magnifique spectacle de la nature pour l’admirer et pour en reconnaitre l’auteur.

La pre[u]ve de l’existence de Dieu tirée de l’ordre et de la bea[u]té du monde, a toujours frappé les bons esprits. Elle se trouve developpée d’une maniere aussi touchante que sublime dans la lettre [74v] suivante d’un homme de bien à son fils :

« O ! mon fils, contemple le monde que tu habites, de quelque coté que tu tournes tes regards, dans le tout et dans les parties, quel ordre, quels raports n’apperceveras tu pas ? Chaque chose est evidemment [s]uite, l’une pour l’autre, la terre, les cieux, les mers, les élémens et les saisons, tout se lie, tout s’ench[a]ine et concourt à l’armonie de tous les etres, et songe que les proportions ne s’etendent pas à ce monde tout seul, il faut qu’elles embrassent l’immensité de l’univers et l’assemblage de ces corps celestes dont les distances prodigieuses et l’etonnante grandeur epuisent les calculs de[s] plus vaste[s] genies. Ces astres qui roulent sur nos tetes, ces globes de lumiere qui brillent au firmament, ces mondes semés de toute[s] parts avec tant de magnificence et d’ec[l]at, forment un systeme comple[t] où tous les corps pesent [75r] les uns sur les autres, et s’impriment un mouvement reciproque où tout se lie et par des lois generales se prete un secours mutuel, et est soumis à une mutuelle dependence. Si l’ordre, si la proportion, si les rapports se dementent dans un seul de ces vastes corps, si etroitement liés, si necessairement enchainés, le reste du Systeme s’ecroule, et ici les proportions sont immenses et les rapports sont infinis.

Maintenant, mon fils, de l’infiniment grand descends à l’infiniment petit. À l’aide du Microscope considére les animalcules qui sont des milions de fois plus petits qu’un grain de poussiere, ils ont leur tête, leur bouche, leurs yeux, et dans ces yeux leurs fibres, leurs muscles et leurs prunelles, ils ont leurs veines, leurs nerfs et leurs arteres, ces vaines ont leur sang, ces nerfs – leurs esprits, ces particules ont leurs pores, [75v] et ces pores sont remplis de parcelles, qui chacune ont leur figure, et se rompent, se divisent en de moindres parties. De toutes ces parties inombrables, et dont aucun effort d’esprit ne peut nous faire concevoir la petitesse, se forme dans la proportion la plus exacte, un etre vivant et animé. Cet etre a des alimens qui lui sont pro[p]res, il a son chyle et ses humeurs, il a ses fonction[s], comme les autres corps, la trituration, la circulation du sang, la digestion, la generation et toutes ces operations qui sont autant de merveilles de la Nature, et des temoignages irresistibles de l’intelligence, de la sagesse et de la toute puissance de son Auteur.

Si tu veux des objets qui soient plus à ta portée, choisis, mon fils, parmi ceux qui t’environnent, ou si tu l’aimes mieux, prends au hasard et examine l’oiseau qui vole, le poisson qui nage, l’araignée qui file, [76r] l’abeille qui a sa police et ses lois, l’insecte industrieux qui pourvoit avec tant d’art à ses besoins et à ceux de ses petits qui vont eclore, la chenille rempante qui se metamorphose dans le plus leger papillon, la plante qui vegeste, l’arbuste qui croit à l’aide des sucs qui le nourrissent, la semence que la terre reçoit dans son sein et rend au centuple, le pepin qui devien[t] pour ton usage, arbre, fleurs et fruits, l’edifice mobile de ton propre corps, dont Galien n’a pu exposer la structure, sans s’ecrier dans l’enthousiasme dont il etait saisi, qu’il avait chanté le plus bel hymne en l’honneur de la divinité. Chaque partie de la nature, chaque etre, examine le, selon les lois les plus severes, considere bien sa construction et sa fin, partout, mon fils, partout tu trouvera[s] de l’ordre, et tu en seras transporté. Tu verras que dans la moindre fleur, la plus petite feuille, la [76v] moindre plum[e], l’auteur de toutes choses n’a pas negligé le juste rapport des parties entre elles, tu verras que l’art est toujour[s] grossier auprès de la nature, que plus on soumet l’un à la critique, plus il parait imparfait, et plus on etudie les ouvrages de l’auteur, plus on y decouvre de beauté et de perfection, tu verras dans tout l’univers un arrangement de causes sans nombre, qui agissent par tout avec poids et mesure pour opperer des effets prevus et determinés, et saisi d’admiration, tu t’ecrieras avec Pope :

L’ordre est la premiere loi du ciel.

Ainsi, mon fils, l’univers est un livre ouvert à tous les hommes, et si tous ne savent pas y lire l’existence de l’etre supreme, tous au moins en trouvent malgré eux les sentimens dans leurs coeurs. Et d’où vient-il, ce sentiment de la divinité, si naturel que, quelques [77r] sophismes qu’on invante pour le combatre, un cri sourd et invol[o]ntaire le dement toujour[s] en depi[t] de nous memes, si constant, si universel que les nations les plus barbares, que les peuples les plus s[a]uvages, meme en la defigurant, s’accordent tous à la reconnaitre. D’où vient-il puisqu’enfin il n’y a point d’effet sans cause, et que ces sentimens pris dans la nature, ne peuvent avoir que l’auteur meme de la nature pour principe. »

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[78v] Contemplation de la Nature dans les premiers jours du Printemps.

Plus nous approchons de l’epoque brillante qui doit offrir à nos yeux les campagnes, les prairies et les jardins dans toute leur beauté, plus on voit s’eclairer cet aspect triste et sauvage qu’avait la Nature. Chaque jour amene quelque production nouvelle, chaque jour la nature s’approche de sa perfection. Deja l’herbe commence à poindre et les troupeaux la cherchent avec avidité, deja les blés poussent dans nos campagnes et les jardins meme reprennent leur riante parure. D’espace en espace, quelque[s] fleurs se montrent et semblent inv[i]ter l’homme sensible aux beauté[s] [79r] de la nature, à venir les contempl[e]r. L’odoriférante et modeste violette est un de[s] premiers enfans du printems, son odeur est d’autant plus agreable que nous avons été plus long tems privés de ces parfums delicieux. La belle jacinthe s’eleve insensiblement du m[i]llieu de ses feuilles, et lais[s]e voir ses fleurons qui rejouissent agreablement et la vue et l’odorat. La tulipe ne se hasarde pas encore à s’ouvrir, parce que des nuits ou de[s] pluies froides pourraient effacer tout d’un coup l’eclat de ses couleurs. La renoncule, l’oeillet et la rose attendent pour s’epanouir que des jours plus doux, [l]eur permett[a]nt de se montrer à nos yeux dans toute leur beauté.

Un observateur attentif trouvera ici bien de sujets d’admirer la bonté du Createur. C’est dans des vues tres sages, qu’au retour de la belle saison chaque plante commence [79v] precisement dans le tems et dans l’ordre qui lui sont prescrits à développer les feuilles et ses fleurs, et à tout preparés pour la production de ses fruits. Dans le regne vegetal les especes se succedent, les unes aux autres, depuis le commencement jusqu’à la fin de l’année. A peine les unes sont-elles visibles, que d’autres s’appretent à paraitre, et celles ci sont suivies de plusieurs centaines d’autres, qui se montreront chacune à son tour et au tems marqué. Tandis qu’une plante amene son fruit à la maturité, la Nature en évite quelqu’autre à se propager, afin que ses fruits soient prets, lorsque la premiere aura deja rempli sa destination. Ainsi la Nature nous offre continuellement une agreable succession de fleurs et de fruits, et depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre, elle veille à la generation successive de plantes. [80r] Le bienfaisant Createur a pourvu à notre entretien et à nos plaisirs, en ordonnant à la terre de ne pas produire les vegetaux tous à la fois, mais successivement et par degrés.

Les fleurs printanieres nous conduisent naturellement à penser au plus bel age de la vie. Aimable et vive jeunesse considere dans ces fleurs l’image de la destinée. Tu es placée dans un sol fertile et tu as mille charmes qui te font aimer et rechercher. Mais n’as tu pasobservé combien la violette ou la jacinthe se fanent, lorsque le cruel aquilon vient à passer sur elles ? Ah ! pense au sort dont tu es toi-meme menacée. Ne te glorifie point de la fleur de tes ans. Hate toi de produire les fruits qui ne perissent jamais, ceux de la Sagesse et de la vertu.

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