Memoire sur la contestation actuelle du Roi avec la Ville de Dantzig

Edition du ms. 1124

[p. 1] Memoire sur la contestation actuelle du Roi avec la Ville de Dantzig

Le Roi a fait communiquer aux Ministres de Sa Majesté l’Imperatrice de toutes les Russies un Exposé conçis et verifié de Sa contestation actuelle avec la ville de Dantzig. Ils y auront vû que cette dispute a pris son origine de ce que le Magistrat de Dantzig s’est avisé, dès le mois d’Avril de l’année courante, d’interrompre, par les moyens les plus violents, la communication entre les Etats de Sa Majesté, qui sont coupés par la Vistule et le territoire de la Ville de Dantzig, et d’empêcher aux sujets prussiens le libre passage par leur ville, ainsi que la navigation sur la Vistule, dont ils ont joui jusques-là tranquillement et dont ils doivent jouir toujours, en vertu de la liberté naturelle, de la possession averée, de la réconnoissance du Magistrat de Dantzig même, faite par le memoire du 20 fevrier 1767, et enfin par le droit de la réçiproçité, par lequel les Dantzi[p. 2]cois jouissent de la libre navigation sur la Vistule enclavée dans le territoire du Roi à une etenduë, six fois plus grande que celui de Dantzig.

Au mépris de tous ces titres sacrés et incontestables, les sujets prussiens qui vouloient transporter leurs denrées du district de Marienbourg à celui de Pomerellie, en traversant la Ville de Dantzig, furent traînés par forçe aux marchés de cette ville, pour y vendre aux Dantzicois, à un prix arbitraire, ce que leurs concitoïens, les habitans de la Pomerellie moins fertile, leur avoient acheté pour leurs besoins, la ville de Dantzig pretendant que ceux-ci doivent tout acheter chés-eux, et dépuis ce tems-là elle ne laisse plus passer aucun vaisseau prussien sur la Vistule, mais elle les fait tous arrêter au passage de son fort, nommé Blockhauss.

Dès que le Roi fut informé, par les plaintes de ses sujets, de cette innovation injuste, il en fit dehorter le Magistrat de Dantzig, par des lettres réiterées de Son Ministère, [p. 3] auxquelles on ne refusera pas la justice de la moderation et de la solidité, mais le Ministère prussien, n’aïant reçu que des réponses vagues et nullement satisfaisantes, qu’on lit à la suite du susdit Exposé, et Sa Majesté ne pouvant pas abandonner ses sujets à l’avariçe des bourgeois de Dantzig, Elle crut pouvoir opposer à leurs violences injustes des répressailles moderées. Elle commença par faire arrêter, d’abord au mois d’août, la navigation des Dantzicois vèrs la mer et ensuite aussi de l’autre côté vèrs la Pologne, en assûrant pourtant la navigation libre aux nations etrangères ; mais ces repressailles n’aïant fait aucune impression sur la Ville de Dantzig, parce qu’elle n’avoit plus besoin de la navigation dans la saison avançée, Sa Majesté prit le parti, au commençement d’Octobre, de faire entrer un petit corps de quatre bataillons et de quatre escadrons [p. 4] sous les ordres du Général Major, Baron d’Eglofstein, dans le territoire de Dantzig, non pour prendre, ni pour assièger la ville, mais pour la resserrer et pour l’obliger, par cette nouvelle sorte de repressailles, mediocrement onéreuse pour elle, à faire cesser ses violences envèrs les sujets prussiens et à leur rendre la libre navigation. Ces troupes observent la plus exacte discipline, n’exigeant pour elles qu’une nourriture frugale. En se portant à cette demarche qui a êté extorquée à Sa Majesté, Elle a fait declarer à plusieurs reprises, tant au Magistrat de Dantzig, qu’à la Cour de Pologne, qu’Elle feroit retirer Ses troupes et cesser toute sorte de repressailles, dès que la ville de Dantzig mettroit fin à ses violences envèrs les sujets prussiens et leur assûreroit le libre passage, quand ce ne seroit que provisionellement et ad interim [p. 5] salvo jure, jusqu’à ce que les differends soïent ajustés à l’amiable. Le Magistrat n’a jamais osé ou daigné repondre d’une manière claire et directe à une proposition aussi juste et raisonnable. La Cour de Pologne fit à la fin entendre vaguement, qu’elle pourroit determiner la ville de Dantzig à accorder le libre passage, salvo jure, pendant deux mois, mais seulement pour la consommation nécessaire des sujets prussiens et sous la condition du rappel immediat des troupes. Le Roi qui avoit proposé un provisoire indeterminé, ne put accepter une proposition aussi imperieuse, ni la regarder que somme illusoire, parce que la nature et la saison ne permettoient pas à ses sujets de faire usage de la navigation, pendant les mois de Novembre et de Decembre, qu’on la restreignoit arbitrairement à la simple consommation, que la ville ne devoit suspendre son [p. 6] usurpation que pour deux mois et qu’on pouvoit prévoir, qu’elle feroit infructueusement écouler ce court espace de tems et qu’ensuite elle reviendroit à ses injustes principes, dès qu’elle se verroit delivrée des repressailles aussi éclatantes, qu’elle sait bien qu’on n’aime pas à récommençer.

Après avoir tant de fois proposé un arrangement provisionnel et moderé, mais illimité, qu’on n’a jamais voulu ni accepter, ni examiner, le Roi ne pouvoit pas y être tenu eternellement, mais, se voïant veritablement joué par la proposition d’un [...]11 Ms. mot incompréhensible : interremistique ? de deux mois, Sa Majesté crut pouvoir à la fin demander, que la dispute entre Elle et la ville de Dantzig fut arrangée definitivement, pour prévenir de nouvelles chicanes. Cependant pour continuer Sa moderation [p. 7] jusqu’au bout, Elle a fait communiquer, tant au Magistrat de Dantzig, qu’à la Cour de Pologne, un projet d’accommodement, qui renferme des conditions aussi justes que moderées et qui sont calculées d’une manière propre à sauver les droits et les interêts, tant de la Ville de Dantzig, que des sujets prussiens, comme on le fera voir plus amplement çi-après. Ni le Roi de Pologne ni le Magistrat de Dantzig ne se sont expliqués jusqu’ici sur ces propositions. Le dernier s’est borné à faire des clameurs et des representations insidieuses et secrettes à toutes les Cours de l’Europe. Il cherche surtout à suspendre la religion et la grandeur d’ame de S. M. l’Imperatrice de toutes les Russies, et il a obtenu l’offre de Sa médiation, qui vient d’être faite au Roi par la note de Mr. le Comte d’Ostermann au Comte de Goerz. Une negociation appuyée par la mediation d’une puissance aussi éloignée que respectable, que la Ville de Dantzig interprète en sa faveur et en devient d’autant plus obstinée, ne peut à la [p. 8] verité qu’être longue et épineuse ; cependant le Roi n’a pas balancé un moment d’accepter cette médiation de S. M. l’Imperiale de Russie tant par deférence pour cette auguste Souveraine, que par la confiance qu’il a dans Sa justice, et en même tems dans la bonté de Sa propre cause. Sa Majesté a ordonné en conséquence au Sr Buchholz, son Résident auprès de le Cour de Varsovie, qui est de longue main informé du fond de toute cette affaire, de se rendre incessamment devant Dantzig, pour y entamer la negociation d’un accommodement avec le Commissaire du Roi de Pologne et les Deputés de la Ville de Danzig, sous la médiation du Résident de Russie. Sa Majesté l’Imperatrice, ayant desiré dans la Note Susdite, d’apprendre les vrayes intentions du Roi sur cette affaire : S. M. a deja chargé Son ministre le Comte de Goerz de les exposer par une Note préliminaire, mais Elle se fait un plaisir de le faire détailler encore davantage dans ce memoire, et d’y opposer en précis les principes sur lesquels Elle fonde ses prétensions et ses démarches dans toute cette affaire. On ne cachera donc pas au Ministère de l’Imperatrice que S. M. a préscrit au Sr Buchholz [p. 9] de prendre pour base de Sa negociation le Susdit Projet d’accommodement que le Roi a fait proposer à la Ville de Danzig, qui a été également communiqué à la Cour de Petersbourg et que le Roi regarde toujours comme l’arrangement le plus propre à conserver les droits et interêts des deux parties, sans leur porter aucun préjudice. Un petit nombre d’observations suffira pour constater cette assertion.

Le Roi est le Souverain et Possesseur legitime et reconnu de la Vistule et des contrées adjacentes, depuis son embouchure jusqu’aux frontieres de la Pologne, dans une étendue de 20 miles d’Allemagne à l’exception de la petite lisiere, qui dans le Traité de 1773 a été reservée à la Ville de Danzig. Par les effèts de cette Souveraineté, Sa Majesté doit avoir un droit incontestable à la navigation et au Commerce de la Vistule pour toute l’étendue de Sa Possession, et la Ville de Danzig ne sauroit y prétendre, qu’en concurrence et à proportion de son territoire. Si Elle en prétend davantage et méme le Commerce exclusif de la Vistule, il faudroit qu’elle prouve d’y être autorisée par quelque titre legitime, mais elle n’en a pas produit jusques ici et elle n’en peut produire aucun ; [p. 10] il n’en existe aucune fondation, aucune concession, aucun Privilège, ni même aucune agnition d’aucun Souverain de la Prusse ou de la Pologne, qui assure à la Ville de Danzig un droit d’étape, un jus emporii, ou un Commerce exclusif de la Vistule ; la nation polonoise le lui a contesté plutôt en toute occasion. Sans pouvoir donc produire aucun titre positif, la Ville de Danzig allegue tantôt un soi-disant jus emporii, tantôt une possession du Commerce exclusif, où enfin son existence qu’elle prétend être attachée à cette exclusive, mais elle ne peut rien prouver de tout cela, et elle ne s’en est pas même donné la peine jusqu’ici. Le jus emporii est un mot vuide de sens, qui n’a été prouvé jusqu’ici que par une assertion arbitraire sans la moindre22 Ms. sans la moindre, sans la moindre allegation d’aucun titre. Quand on prétend quelquefois qu’il est fondé sur la qualité d’une ville anséatique, on ne reflechit pas que la ligue anséatique, éteinte depuis plusieurs Siècles, ne sauroit donner des loix à un païs étranger tel que la Prusse, sans concession des Souverains de cette province, laquelle n’existe pas. La possession du Commerce exclusif de la Vistule, que la Ville de Danzig allegue principalement, n’est pas plus prouvée, elle lui a toujours été constesté par les [p. 11] Polonois et par les Prussiens, et elle est détruite à l’égard des Sujets du Roi par leur possession contraire, puisqu’ils ont navigué à travers la Ville de Danzig et trafiqué le long de la Vistule avant et après la Cession de la Prusse Occidentale, jusqu’à l’interruption violente et arbitraire que les Danziois en ont faite au mois d’Avril de l’année courante, ce qu’on leur prouvera toujours en tems et lieu par des temoins et des Documens. La quantité plus grande ou plus petite des exemples d’une pareille navigation ne fait et ne deroge en rien au droit des Sujets Prussiens. Il leur suffit d’avoir en ce droit et de l’avoir exercé sans contradiction. Le Magistrat de Danzig a aussi lui-même reconnu dans le memoire remis le 20 fevrier 1767 au Resident de Prusse de Iunck « que la Ville de Danzig n’avoit jamais prétendu le droit d’étape vis-à-vis des Sujets Prussiens, qu’il auroit été injuste d’arréter les marchandises venant de Prusse, en y allant et passant par Danzig, et qu’on leur avoit accordé de tout tems le libre passage ». On ne comprend pas ce que la Ville de Danzig pourroit opposer à un aveu aussi positif. En supposant même sans l’accorder que les Souverains de la Pologne et de la Prusse, par des motifs particuliers à eux, ayent permis à la Ville de Danzig, soit par connivence soit expressement, qu’elle puisse seule exercer le Commerce et la navigation de la Vistule, et qu’ils [p. 12] ayent ainsi sacrifié au bienêtre des habitans de Danzig celui de leur autres Sujets habitans de la Prusse, ils pourront le faire pendant la durée de leur Possession de la Prusse, mais ils n’ont pû transferer une obligation aussi adieuse au Roi, Possesseur et Souverain de la Prusse, sans la stipuler expressement dans le Traité de Cession. Le Roi de Pologne n’y a rien reservé que la Ville de Danzig même et son territoire sans lui stipuler aucun Privilege, ni même aucune possession dans la Prusse Occidentale qui, par la Cession faite au Roi, est devenue étrangère à la Ville de Danzig et au Roi de Pologne, et dans laquelle le Roi peut et doit exercer à présent tous les droits de la Souveraineté, et par conséquent aussi celui du Commerce et de la navigation sur la Vistule. Il est vrai que le Traité de Cession a asservé à la Ville de Danzig son existence comme dependante du Roi de Pologne, mais elle peut exister sans exercer le monopole du Commerce de la Pologne et de la Prusse, et de la Navigation sur la Vistule. Si même elle n’est pas aussi riche qu’elle l’a été autrefois au depens de ses concitoyens prussiens, elle gardera toujours un Commerce florissant et très étendu, qui lui est garanti par sa situation, par les assu[p. 13]rances les plus solemnelles du Roi, qu’on se fait plaisir de repéter ici, et enfin par le propre intérêt que Sa Majesté doit avoir actuellement à la conservation d’une Ville riche et commerçante, située au milieu de ses états. Si donc la Ville de Danzig ne peut prouver aucun droit exclusif à la navigation et au Commerce de la Vistule, elle ne peut pas contester au Roi, comme Souverain de cette riviere, et à ses Sujets, du moins la concurrence à ce Commerce, ainsi que le transit et la libre navigation sur la Vistule. Après qu’elle la leur a contestée sans aucun titre ni fondement, Sa Majesté pourroit exiger avec raison que cette Ville renonce solemnellement à une prétension aussi injuste, qu’elle reconnoisse publiquement aux Sujets Prussiens le droit illimité du Commerce et de la navigation sur la Vistule dans toute son étendue, qu’elle repare les dommages qu’elle leur a causés, et qu’elle se contente qu’on lui assure Sa concurrence au Commerce et à la navigation de la Vistule. C’est aussi ce que Sa Majesté ne pourra pas se dispenser d’exiger à la fin, si la Ville de Danzig ne se rend pas bientôt à la raison et accepte les conditions moderées qu’on lui a [p. 14] offertes. Le Roi, sans insister pour le moment présent avec rigueur sur toute l’étendue de ses droits, offre encore principalement par égard pour l’intervention respectable de Sa Majesté Imperiale de Russie, à la Ville de Danzig les mêmes conditions qu’Elle lui a proposé dans Son Projet d’accommodement. Selon ce Projet, Sa Majesté propose à la Ville de Danzig proprement deux Articles essentiels.

Que le Magistrat de Danzig reconoisse, accorde sans difficulté et rende aux Sujets Prussiens l’exercice du droit de naviguer sur la Vistule et de transporter par la Ville et par son territoire, par terre et par eau, leurs denrées et leurs effets d’une partie des Etats du Roi dans l’autre.

Il semble que la justice de cette demande est si claire qu’elle ne peut pas être revoquée en doute. Elle est fondée non seulement sur le droit que le Roi a en général au Commerce et à la navigation de la Vistule, mais encore plus particulierement sur la reciprocité, puisque si la Ville Danzig veut jouir du transit et de la navigation de la Vistule dans toute son étendue que le Roi possede depuis son embouchure jusqu’au[x]33 Ms. au frontieres de la Pologne, que font 20 miles d’Allemagne, elle ne sauroit sans une injustice crainte refuser aux [p. 15] Sujets Prussiens le transit reciproque par son territoire et par le petit bout de la Vistule, qui le baigne dans l’étendue mediocre de 3 à 4 miles. Par la même raison, la Ville ne sauroit aussi decliner le passage qu’on lui demande par le petit chemin qui mene au Gänsekrug. C’est un objet d’une commodité particuliere, qui abrége la route aux Sujets Prussiens, qui ne peut faire aucun tort ni au Commerce ni aux fortifications de la Ville de Danzig, et qu’elle n’a dechoué jusqu’ici que par caprice ou mauvaise volonté. Si le Magistrat de Danzig continuoit donc à refuser aux Sujets Prussiens qui demeurent aux deux côtés de la Vistule le passage par ou près de la Ville, s’il veut leur imposer la dure necessité de ne porter leurs productions qu’aux marchés de Danzig, et d’y acheter leurs besoins, sans que les mêmes Sujets Prussiens puissent se communiquer entre eux et se vendre mutuellement leurs denrées et effets, la Ville de Danzig s’arrogeroit par là l’exercice d’un monopole dans le cœur des Etats Prussiens, qui seroit aussi odieux qu’insupportable, auquel elle n’a pas le moindre droit et qui derogeroit ouvertement à l’autonomie et à l’independence de la Prusse.

Ce qu’on a proposé encore dans cet Article [p. 16] pour les Juifs Prussiens est une affaire particuliere d’une utilité réciproque qu’on a crû pouvoir exiger par voye de composition et qu’on remet à la négociation.

Le Roi pourroit insister par les principes énoncés et constatés ci-dessus, que le Magistrat de Danzig, après avoir excité cette contestation injuste, reconnoisse solemnellement à ses Sujets la concurrence au Commerce général qui se fait sur la Vistule du côté de la mer et de la Pologne, et Sa Majesté n’y rénoncera aussi jamais et n’y auroit jamais été engagée par aucune raison valable. Cependant pour menager autant que possible les interêts de cette Ville et pour ne pas troubler ni diminuer essentiellement son Commerce, dont la conservation tient sincerement à cœur à Sa Majesté par tous les motifs du bon voisinage et de son propre interêt, Elle ne demande le passage et le transit par la Ville de Danzig pour les Vaisseaux Prussiens, qu’autant qu’ils seroient munis de Passeports signés de Sa Majesté même ou par son Ministère de Cabinet. Elle propose cette précaution à bonnes enseignes et ne donnera surement ces Passeports qu’avec discretion et d’une manière, que le Commerce de la Ville de Danzig n’en souffre pas essentiellement. [p. 17] Le Magistrat de Danzig sait assez, s’il ne veut pas dissimuler la verité, par combien de motifs Sa Majesté est interessée à ce que le Commerce maritime de la Vistule et celui de la Pologne se fasse principalement par la Ville de Danzig. Sa situation et ses autres avantages ne lui laissent pas beaucoup craindre de la concurrence des Sujets Prussiens. Si ces considerations sont pésées sans préjugé, on peut ésperer que la Cour de Russie réconnoitra elle-même le ménagement et la moderation qui regnent dans cet article, et qu’elle voudra par conséquent concourir à le faire adopter à la Ville de Danzig.

On demande à l’Article 5 du Projet d’accommodement que le Magistrat de Danzig ne reçoive dans la Ville des Cantonistes ou autres habitans de la Prusse Occidentale, sans être muni d’une permission écrite de la régence prussienne et qu’il étende expressement cette obligation pour la Prusse Occidentale, à la Convention qu’il a dejà conclue avec le Roi en 1771. Le Magistrat de Danzig étoit deja obligé à l’extradition des fuyards prussiens tant par les anciennes Conventions et Observances, qui subsistent à cet égard entre les Etats Prussiens et la Pologne, que par la Susdite Convention de [p. 18] 1771, qui a été conclue pour tous les Etats Prussiens sans exception. Comme le Magistrat s’y est pourtant soustrait par une chicane ouverte sous le prétexte frivole que la Convention de 1771, conclue avant que la Prusse Occidentale fut cedée au Roi, ne pouvoit pas l’obliger pour cette province, Sa Majesté demande avec raison et avec justice que cette Convention de 1771 soit dans la présente Transaction expressement étendue à la Prusse Occidentale. Si le Magistrat de Danzig vouloit continuer à s’y refuser, il s’arrogeroit le droit et la faculté de dépeupler à son gré toute la Prusse Occidentale et d’en attirer les habitans, ce que le Roi ne permettra jamais, et ce qui ne pourra aussi être approuvé ni par la Cour de Russie ni par celle de Pologne, laquelle demande à tout moment au Roi, et obtient aussi ordinairement l’extradition de ses Sujets fuyards.

Le Roi se trouve encore dans le cas et dans la nécessité de demander que dans la transaction dont il est question présentement, le Magistrat de Danzig promette d’administrer à ses Sujets meilleure justice qu’il ne fait ordinairement, sur quoi on pourroit alleguer des griefs aussi graves que fondés, mais qu’on reserve pour la [p. 19] Negociation future, pour ne pas donner trop d’étendue à ce Memoire.

Il s’entend de soi-même que le Magistrat de Danzig ne pourra pas se dispenser de donner au Roi quelque Satisfaction publique, pour reparer les insultes et les violences outrageantes, que la populace de Danzig a commises de tems à autre envers les Officiers et autres Sujets de Sa Majesté, et auxquelles le Magistrat a connivé.

Ce sont là les articles de l’accommodement que le Roi a toujours fait proposer à la Cour de Pologne et à la Ville de Danzig, d’abord provisionellement, salvo jure partium, et qu’il a proposé depuis et encore à present pour un arrangement définitif, afin de prévenir toute collision ultérieure, Sa Majesté ayant dejà reduit les demandes au dernier degré possible et n’étant pas accoutumer à marchander, Elle propose ces Articles comme Son Ultimatum, et si la Ville de Danzig continue de s’y refuser, Elle ne pourra que revenir à Son droit plenier d’un Commerce illimité sur la Vistule et à reconnoitre solemnellement par la Ville de Danzig.

Si cette Ville se permet à faire sonner trop haut, [p. 20] mais toujours d’une manière vague, de pretendus griefs de transit et de péage, elle auroit dû et devroit encore les exposer au Roi d’une maniere convenable et les verifier, dans lequel cas on ne manqueroit pas de lui rendre justice quoiqu’on sache d’avance que ces plaintes sont exagerées, et qu’on peut lui en opposer d’autres mieux fondées surtout pour la Contrebande que ses habitans exercent et multiplient librement dans les Etats Prussiens, mais comme le Magistrat de Danzig mele ces prétendus griefs à la présente contestation qui n’y a point de rapport, il fait voir clairement qu’il ne les a recherché que pour avoir un prétexte d’exciter une dispute et de contester au Roi et à Ses Sujets le Commerce et la navigation de toute la Vistule.

Le Roi se flatte que, quand Sa Majesté l’Imperatrice de toutes les Russies aura fait examiner tout ce qu’on vient de détailler, Elle trouvera Elle-même que ce n’est pas la Ville de Danzig, mais la Prusse qui est la partie lezée et offensée, que la Ville a commencé à maltraiter les Sujets Prussiens et à les déposseder par violence de la navigation de la Vistule, à laquelle ils ont du moins autant de droit que la Ville, que le Roi, après avoir épuisé toutes les voyes de la representation et de la con[p. 21]ciliation, n’a opposé aux premieres attaques des Danzicois que de justes repressailles, haussées à la verité par degré, mais toujours avec moderation ; que Sa Majesté a proposé dès le commencement, des Articles d’accommodement doux, équitables et peu préjudiciables à la Ville de Danzig ; que Sa Majesté les a d’abord proposés provisionellement et ensuite définitivement, que par conséquent Elle n’a pas varié dans Ses principes, qu’enfin les conditions, conformes à l’équité et à la justice ne font que sauver d’une maniere quelconque les droits incontestables de Sa Majesté ; qu’elles ne dérogent pas ceux de la Ville de Danzig, et qu’elles lui en conservent plus que cette Ville ne sauroit prétendre à la rigueur. Sa Majesté se promet donc de l’amitié et de la prudence consommée de Sa Majesté l’Imperatrice de toutes Russies, ainsi que de son amour constaté pour la justice et pour l’équité, qu’Elle fera serieusement exhorter la Ville de Danzig d’accepter sans plus long delai les Articles d’accommodement que le Roi lui a fait proposer, et qu’il fera renouveller par son Resident. Elle se flatte encore que Sa Majesté Imperiale voudra adresser des Instructions précises à Son Resident à Danzig, qui est chargé de sa médiation dans les Conferences [p. 22] futures, de s’en acquiter avec impartialité et avec le zèle qui sera necessaire pour finir bientôt cette contestation désagréable par un accommodement juste et proportioné aux droits et aux intérêts des deux parties. Dès qu’un pareil accommodement sera arrangé ou assuré, le Roi ne perdra pas un moment de faire rétirer ses troupes du territoire de la Ville de Danzig. Sa Majesté a crû cette force de repressailles et la croit encore nécessaire par ce qu’elle est la plus propre à abréger le différend, et à faire rentrer les choses de part et d’autre dans l’état ancien et légal. Si Sa Majesté se bornoit à exercer ces repressailles pour l’interruption du Commerce des Danzicois du côté de la mer et de la Pologne, la fin de cette querelle pourroit trainer jusqu’au printems et même jusqu’à l’Eté prochain, et elle seroit alors beaucoup plus préjudiciable au Commerce de la Ville et des Nations étrangeres que si on la finit pendant l’hiver où la navigation cesse d’elle-même.

L’occupation du territoire de Danzig qui pourroit à la verité être une sorte de répressailles dures, mais qui l’est moins que l’interruption du Commerce de la mer et de la Vistule, et qui ne fait pas tant de mal aux Danzicois, que celui-ci en fait aux [p. 23] Sujets Prussiens, par la prohibition violente de leur Commerce, comme la Ville de Danzig a commencé par ce moyen les voyes de fait contre la Prusse, comme elle les continue encore toujours, et qu’elle s’est attiré par là les repressailles du blocus, on ne sauroit exiger avec justice que le Roi fasse lever le blocus pendant la negociation, et avant que la Ville de Danzig ne remette les Sujets Prussiens dans l’exercice de la libre navigation, ce seroit trop déroger à la dignité et aux droits fondés de Sa Majesté, en cédant ainsi aux caprices des Danzicois, on ne feroit qu’asserver encore davantage l’obstination d’une Ville insolente qui n’est pas gouverné par un Sage Magistrat, mais par une populace effrenée et par des marchands avares et orgueilleux. Le Roi se croit donc fondé à esperer que par le concours de toutes ces raisons Sa Majesté Imperiale de Russie ne trouvera rien d’injuste ni de trop dur au blocus assez étendu de la Ville de Danzig ; qu’Elle n’en attribuera la faute qu’à l’obstination de cette Ville, et qu’Elle lui conseillera de s’affranchir de ces represailles en rendant sans plus long delai aux Sujets Prussiens l’exercice du libre passage et de la navigation sur la Vistule, et en la leur assurant d’une manière stable.

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