Poëme Séculaire en 1800, imité du Polonois de Son Excellence M. Le Comte Severin Rzewuski

[1r] Poëme Séculaire en 1800, imité du Polonois de Son Excellence M. Le Comte Severin Rzewuski.

Dedié à Son Excellence Madame La Comtesse Rzewuska, née Princesse Lubomirska.

[2r] A Madame La Comtesse Rzewuska

Née Princesse Constance Lubomirska.

De votre illustre Epoux vous présenter l’ouvrage

C’est, dira-t-on, vous offrir votre bien ;

Mais je crois cependant cette Sorte d’hommage

de vous interesser l’infaillible moyen,

Car en dépit du Bel usage

qui trop souvent, Helas, dans les noeuds de l’hymen

rend l’un ou l’autre Epoux, volage,

ou fait à tous les deux regarder le lien

comme un ennuyeux esclavage,

Malgré la mode, on le sait bien,

Constance et Sentiment font toujours bon ménage.

Modele accompli des mamans,

Des Epouses parfait modéle,

C’est votre Séverin, c’est cet Epoux fidéle

dont la Muse enfanta ces chants :

j’osai les imiter, aveuglé par mon zéle,

Dans leur langue natale ils etoient plus touchants,

Daignés leur conserver dans leurs nouveaux accents

une indulgence Maternelle.

Le Vicomte De B.

[3r] Poeme Séculaire en 1800

ou

Ode au Tems

imitée du Polonois de M. Le Comte S. Rzewuski.

I.ere Strophe

O Tems actif, Tems impalpable,

O toi que dans ton vol rien ne peut arréter,

Pour les foibles mortels Problème inconcevable,

Tes changements divers qui pourroit les compter ?

2.

Du meme Vol c’est toi qui causes

presque dans les memes moments

les Succés, les revers, les plaisirs, les tourments :

Par tes Contrastes étonnants

Tu produis les effets, Tu fais naitre les causes.

3.

Eux Etres, mais sans leur concours

Tu donnes tour à tour et ravis l’existence :

Sur les Ans, les heures, les jours

dont toi meme abreges le cours,

O Tems, Tu fondes ta puissance.

[3v]

4.

Sans But, sans Détour, sans Repos

Volant pendant le jour, pendant la nuit obscure,

Le Monde, l’homme, la Nature,

T’ont toujours pour témoin de leurs divers travaux.

5.

Partout présent, mais partout invisible,

Tu n’annonces ton cours que lorsqu’il est passé,

A tous nos Sens inaccessible

Par l’Eternel lui Seul Tu peux etre embrassé.

6.

Tantot d’une terre féconde

tu détruis la fertilité,

Tantot Réparateur du monde

tu lui rends sa Fécondité.

7.

Tantot d’une Fraicheur brillante

tu te plais à parer les Fleurs,

Tantot les dépouillant de leurs vives Couleurs

tu flétris de leur sein la parure éclatante.

8.

Ainsi toujours pret à ravir

tous les dons que tu sçus répandre,

on Te voit tour à tour prodiguer et reprendre,

n’enrichir que pour appauvrir.

[4r]

9.

Aux efforts de la mer opposant des obstacles

Tu bornes son immensité ;

et tu sçais par d’autres miracles

en reculant ses Bords etendre sa Fierté.

10.

Ainsi, ce qui jadis fut un abime horrible

où menaçoient de fougueux tourbillons,

est maintenant un champ paisible

où le Soc a tracé de fertiles Sillons.

11.

Et ce Roc escarpé dont la Baze profonde

repoussa tant de flots qui venoient l’assaillir,

renfermé maintenant au vaste sein de l’onde

dans des voiles de lin voit jouer le Zéphir.

12.

Porté sur des ailes enormes

Tu parcours à la fois mille climats divers,

et d’un Coup d’aile seul, tu détruis ou tu formes

tous les Trônes de l’univers.

13.

Il n’est point avec Toi de larmes11Graphie incertaine. eternelles,

Tu sçais de la souffrance amortir les douleurs,

on te voit enfanter les haines, les noirceurs,

et les affronts et les querelles.

14.

La Vertu te doit son renom,

Tu creas le mepris, Tu produisis la gloire,

[4v]

Mais dans les fastes de l’histoire

Tu consignes aussi l’infame Trahison.

15.

Tu plonges dans l’oubli les exploits magnanimes,

Ta main sçait dévoiler les crimes ;

Des Bons et des méchants sur le marbre tracés

par cette meme main les noms sont effacés.

16.

Oui, jusqu’au monstre épouvantable

de la nature entiere et l’opprobre et l’horreur,

Oui, ce Robespierre exécrable

(O Tems, de ton pouvoir effet presque incroyable)

te devra quelque jour l’oubli de sa fureur.

17.

D’un Torrent de Siecles sans nombre

les atroces forfaits de ce monstre inhumain

seront un jour couverts par ta puissante main ;

et versant sur eux ta nuit sombre,

Tu sçauras cacher dans son ombre

qu’il fit sur l’échaffaut perir son Souverain.

18.

O Tems, dans ce Siecle perfide,

dans ces jours qu’enfanta le plus funeste Sort,

Qu’as tu semé sur nous dans ta course rapide ?

les affreux tremblements d’une terre homicide,

la peste, la Révolte et le noir régicide,

la Terreur, le Sang, et la Mort.

[5r]

19.

D’attentats inouïs les rois sont les Victimes,

jusqu’au milieu des jeux ils trouvent le trépas ;

Ceux qu’epargna le fer, privés de leurs Etats,

et des droits les plus légitimes

dépouillés par des Scélerats,

font abhorrer un Siecle où triomphent les crimes.

20.

Et cet horrible jour où bravant toute loi,

des monstres à Louis arracherent la vie,

où ces laches Bourreaux égorgérent leur Roi…

Quel mortel sans palir d’effroi

peut penser à ce jour impie ?

21.

Et Toi, Grand par ta Vie, et plus grand par ta mort,

De ton Siége arraché, privé de ta Thiare

implorant l’Eternel pour un peuple barbare,

Vénérable Captif, quel est ton triste Sort ?

22.

Pasteur, à ton troupeau sacrifiant ta vie,

chés le Français perfide expirant dans les Fers,

De Tes tyrans la Barbarie

indignant le Chrétien, l’infidele, l’impie,

couta des pleurs à l’univers.

[5v]

23.

Et vous qui d’instruire le monde

Faisiés votre unique devoir,

Vous dont la pieté profonde

egaloit le vaste Sçavoir,

Vous qu’une durable mémoire,

Vous qu’une impérissable gloire

Consacre à notre Souvenir,

Ordre Saint, Ordre respectable,

C’est dans ce Siecle abominable

que vous deviés aussi périr !

24.

Sainte Societé, Tes vertus et ton zéle

Te firent de l’impie un ennemi mortel :

Le Blaspheme leva sa tete criminelle

dés qu’on te vit cesser de soutenir l’autel.

25.

O Warsovie infortunée,

Sur tes égarements jettons un voile epais :

Par l’esprit de ce Siecle, Helas, trop entrainée,

chés une race forcenée

Tu pris l’exemple des Forfaits ;

Et ta funeste destinée

Te fit trop imiter les crimes des Français.

[6r]

26.

Malheureuse, ah combien d’allarmes

ont causé les tristes Fureurs ?

Combien tes coupables Erreurs

Feront encor couler de larmes ?

Par plus d’un sinistre attentat

tu te perds, Ville déplorable,

et ta ruine lamentable

Entraine celle de l’Etat.

27.

C’est ainsi que jadis heureuse

à l’ombre de la liberté

cette Pologne glorieuse

d’une longue prosperité,

par Ses propres mains ravagée,

par les rois voisins partagée,

Victime de l’ambition

Cessant d’exister sur la terre

Sous les coups d’un Triple Tonnerre

a vû perir jusqu’à son nom.

28.

O Tems, que tous ces jours par le crime tissus

avec le vieux Siecle périssent :

Que tes puissants efforts enfin nous enrichissent

des jours d’un bonheur pur trop long tems attendus.

[6v]

29.

Si malgré toute ta puissance

Tu ne peux cesser de changer,

C’est à Toi meme d’alléger

ce que tu produisis de maux et de Souffrances :

Trop souvent tes fléaux vinrent nous affliger,

fais nous sentir enfin l’heureuse différence

des dons que tu sçais partager.

30.

Mais quel soufle divin m’electrise et m’enflamme,

Quel prophétique esprit de moi vient se saisir ?

et pénétrant toute mon ame

déchire le rideau qui couvroit l’avenir ?

31.

Je vois avec transport un nouveau monde éclore

d’où disparoissent les forfaits :

de ce monde naissant pur et saint à jamais

les crimes des vieux jours ne souillent point l’aurore.

32.

La Paix sur ses traces brillantes

conduit les arts et les vertus ;

et les Sciences florissantes

relévent leurs fronts abattus.

[7r]

Des plus interessants mysteres

l’art des mobiles caractéres

nous révele la profondeur ;

Des oeuvres d’une main divine

il nous enseigne l’origine,

et nous ramene à leur auteur.

33.

C’est vainement que la nature

cherchant à voiler ses travaux

filtre au Sein d’une nuit obscure

les diamants et les metaux :

Epiant sa marche cachée,

à ses Tenebres arrachée,

l’homme parvient à la saisir,

et malgré cette nuit profonde

jusques sous les voutes du monde

il parvient à la découvrir.

34.

Mais bientot plus hardi dédaignant les orages

et bravant un nouveau danger,

Porté sur un Esquif leger

qu’il trouve l’art de diriger,

l’homme ose s’elever jusqu’au Sein des nuages :

Dans les plaines de l’air il maitrise les vents

[7v]

comme il les maitrise sur la plaine liquide

et voit fuir sous ses pieds dans sa course rapide

des Alpes, du Carpat, les Sommets blanchissants.

35.

Et ce que des Essais sans nombre

nous promirent toujours et toujours vainement,

Ce beau probleme qui dans l’ombre

se renfermoit obstinément

Par Perpetuel mouvement

sortant enfin de la nuit sombre,

est du Génie humain le plus beau monument.

36.

Par de folles erreurs, par d’atroces Spectacles

les esprits long tems égarés,

à la touchante voix des célestes oracles,

à la voix de ce Dieu qu’annoncent les miracles

enfin se sentent éclairés.

37.

Sainte Religion, je te vois reparaitre,

L’ordre de Loyola Te ramene et Te suit :

Je vois cet ordre illustre heureusement renaitre,

et le jour le plus pur succeder à la nuit.

[8r]

38.

Couvert par les Graces du Pere

du Christ, Son divin Fils, je vois le Saint Vicaire

que l’Esprit Saint lui meme au monde désigna,

au haut du Vatican s’asseoir sur cette chaire

d’où Pierre jadis enseigna.

39.

Des Vertus d’un pasteur respectable modéle

au Ciel pour Son troupeau Pie eleve Sa voix ;

Les Graces qu’en obtient son zéle,

il les répand d’abord sur la tête des Rois,

et puis sur le peuple fidele

qui sçait reconnoitre leurs loix.

40.

Je vois des Potentats la pieté profonde

fléchir le Genou devant lui :

Je vous vois à l’envi, Dominateurs du monde,

au Vicaire du Christ préter un ferme appui.

41.

Les Soins de ce pontife auguste

autour des Souverains rassemblent les Sujets,

et par le frein sacré d’une loi sainte et juste

les peuples sont enfin soumis et satisfaits.

[8v]

42.

Je vous vois, O Bourbons, o race précieuse,

recouvrer vos etats, reconquerir les coeurs,

Je revois sous Louis la France glorieuse

renaitre aprés tant de malheurs.

43.

Des Temples renversés par une horde impure

je vois ce roi pieux rélever la Structure,

et reprimer enfin le meurtre et la fureur.

Son Trône est appuyé sur sa noblesse illustre

qui lui devant son lustre

l’environne à son tour d’eclat et de grandeur.

44.

François et Paul, coeurs magnanimes,

je vous vois réunis par des efforts sublimes

rappeller du tombeau le Sarmate mourant,

et plus grands que l’éclat du Trône

lui rendre avec son nom, son pays, sa couronne,

aux yeux d’un Rival mécontent.

[9r]

45.

C’est ainsi, Ma chere patrie,

que touchés de ton triste Sort

Deux Souverains rendront la vie

au Polonois à demi mort :

C’est ainsi que malgré les Parques

Paul et François, ces grands monarques

Vivront toujours dans l’avenir,

et que notre reconnoissance

de la plus juste Bienfaisance

Consacrera le Souvenir.

fin

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