Portraits des ministres de la cour du roi de Pologne

[fol. r1] Portraits des ministres de la cour du roi de Pologne et electeur de Saxe lesquels Sa Majesté le Roi avait commandé de faire à monsieur le Chambellan de Wolfframsdorff parce qu’il connoissait le mieux la cour, mais ayant fait les portraits et donné au roi, il fut mis au Königstein d’ou il n’est rechappé.

[fol. 2] Avertissement

On ne trouvera point les portraits de toute la cour, mais de ceux seulement, qui y jouent le plus grand rôle. Et comme l’auteur n’a fait ces portraits que pour l’usage du roi afin qu’il eut une juste idée de sa cour. Il ne s’est guére piqué de grand ordre et n’a mis les courtisans selon leur rang, mais plutot selon leur cabale à liaisons, aussi a-t-il souvent répété le portrait de l’un dans celui de l’autre, afin que le roi puisse d’autant plus facilement s’imprimer le caractére de chacun.

[fol. 3r] 1. Le Stadhalter

Monsieur le Prince de Fürstenberg est un honete homme de grande qualité qui sent sa naissance dans ses maniéres nobles et cavalliéres, qu’il a. Il est agreable en compagnie, c’est ce qu’on apelle bon vivant, d’une conversation libre et diversifiée. L’age qu’il a et l’epuisement de ses forces fait que sa galanterie ne consiste qu’en parôles et, l’on voit bien qu’il ne se trouve pas en compagnie de dames, parce qu’il est pris de leurs charmes, mais par le respect que les hommes ont naturellement pour le beau sexe. Son naturel est aussi fin et rusé mais il lui manque de la solidité. C’est pour cela qu’il est variable dans ses sentiments : en un mot, il seroit plus propre à negocier dans une cour et pour y faire des intrigues, ayant une grande connoissance du monde, que d’etre Stadhalter dans un pays, aussi sujet à la chicane, et ou les ministres, depuis quelque [fol. 3v] temps, sont si independant du maitre qu’en Saxe. L’amour qu’il a pour la comtesse de R… et le parentage par consequent avec le Chancelier, le rend paresseux et le tient en esclavage a peu pres comme Delile avait dompté Samson, et fait qu’il neglige quelque fois les interets du Roi, plus qu’il ne devroit.

2. Le Grand Marechal

Il a l’esprit vif, pénetrant et souple, son education à la cour et sa grande aplication l’ont rendu courtisan. Il sait comment il faut se mettre proprement et donner dans l’exterieur, mais, a le considerer de pres, il n’y a que du faux brillant. Ses sentiments sont bas et vulgaires et il se defie de ses propres forces, c’est pourquoi il est timide et jaloux de tout le monde qui aproche le maitre. Et s’informe avec un grand empressement de qui l’on a parlé avec lui, de peur que l’on ne decouvre ses [fol. 4r] faiblesses. Il ne voit pas de bon œil ceux qui donnent des conseils au Roi pour s’agrandir, mais il se persecute, cause d’envie, vice ordinaire des petits esprits comme le sien, qu’il porte a ceux qui veulent seconder les intentions de Sa Majesté et la servir fidélement. Au contraire, il souhaiteroit que le Roi s’abandonnat et negligeat entiérement ses affaires. C’est pour cela qu’il aime tant la bouffonerie et a faire voir au Roi tout le mechant coté. Sa moderation et son flegme afecté, qu’il temoigne avoir dans toutes ses actions, n’est que pour couvrir son ignorance dans les affaires. Il est d’autant plus dangereux qu’il paroit sans intrigue et tout a fait attaché a l’interet du maitre, quoi qu’en effet, c’est lui qui cause le retardement du temps. Et pour ecouter ce que disent les conseillers de Saxe dont il est protecteur et sans l’avis desquels il ne fait rien. Ceux-ci lui envoient leurs instructions, comme il faut rendre inutile les ordres du Roi et les diriger au but qu’[fol. 4v]ils demandent savoir leurs interets propres et que le Roi ne puisse rien faire, qui s’accorde avec leur caprice. Cela est cause que l’on ne se soucie d’aucun ordre du Roi et que les ministres de Saxe sont plus maitres de pays que le Roi même, en se piquant de faire justement le contraire de ce que Sa Majesté ordonne. C’est encore de la que vient, que l’Assemblée des Etats repond si mal à l’intention du Roi, parce qu’ils sont de concert avec le Grand Marechal. Et les conseillers privés qui font tout ce qu’ils peuvent pour entretenir le Roi dans la confusion, et pour l’empecher de connoitre ses forces, afin de pecher en eau trouble. Quand S.M. donne un ordre, on est un mois à l’expedier, on attend, on s’informe et d’ou il vient par inspiration du Stadhalter ou de quel qu’autre, alors on sçait déja que la jalousie qui règne entre lui et le Grand Marechal empechera qu’il n’ait aucun [fol. 5r] effet. S’il vient du Roi même et que l’on croit ferme la dessus, on ecrit au Grand Marechal  pour le contrecarer, soit par la longeur du temps, soit en faisant naitre mille difficultés et obstacles pour rebuter seulement S. M. de ses intentions, ordinairement les plus justes et les plus salutaires. Voila par ou le Roi perd son respect et fait echouer les plus grands desseins. Tout cela par des vues particulieres parce qu’ils sont peut-être prejudiciables à l’interet de l’un ou de l’autre parti ou famille. Il paroit pas interessé, mais il n’evite ce defaut que par politique, car fin courtisan, comme il est, il voit bien que cela lui rendroit suspect auprès du maitre. Et qu’il eclateroit bientôt et même ne se rendant par fort necessaire par ses services. Il est inutile a tout le monde et, en affectant un désinteressement en toute chose, il persuade au Roi qu’il lui est fidéle. Mais quand le Roi considére que [fol. 5v] tant d’argent, qui est destiné pour sa cour, passe par ses mains et, qu’il le fait rouler sécretement par les juifs et par les Cammer-Schreibers, sans conter qu’il fait du bien à ses parents et sa femme par-dessus la tete, le Roi sera bientot detrompé de cette integrité et ne lui tiendra aucun compte. Enfin, c’est un homme d’un faux merite qui a eté sage auprès du père du Roi d’heureuse memoire, ou il s’est fait valoir par ses petites intrigues et ses messages d’amour dans la maison de Mr. Haubi[.]z, autrefois, Grand Marechal, dont il a toutes les maximes, quoi qu’il soit plus fin, son naturel malicieux fait, qu’il sait donner adroitement un coup de langue qui fait beaucoup de tort aux honnêtes gens et, par consequent, aux interets du maitre. Car en lui faisant voir tout mauvais coté, il fait souvent que le maitre prend du degout pour des gens ou les meprise avant que de les ecouter en leurs conseils. Il est capable de boire jusqu’a dix pots de vin sans perdre la contenance, mais il n’est rien moins qu’agreable en débauche. Outre que c’est plûtot la qualité d’un homme qui se pique d’avoir un bon estomac, [fol. 6r] qu’une bonne tête, son air et les manieres avec lesquelles il traite les ministres etrangers qui résident à la cour du Roi et les Polonais, choquent et rebutent extremement et font grand tort au Roi. Son poison est d’autant plus a craindre qu’il sait deguiser adroitement et jouer toute sorte de rôles, à moins que l’on y prenne garde de fort près, car sous une fidélité apparente, il etudie l’esprit du Roi. Il gagne les valets de chambre du Roi et les caresse, pour lui dire jusqu’a moindre chose que le Roi fait, pour pouvoir prendre ses mesûres la dessus et, il n’y a pas un valet de chambre, que le jeune Spiegel, qui garde les secrets, Fischer et Lange sont dans son parti et Turci est un bon garçon. En un mot, le Roi n’a qu’a l’examiner par sa physionomie, ses regards et les mouvements de ses yeux, les grimaces qu’il fait avec le nez et la bouche, quand les affaires ne vont pas a son gré et le ton de sa voix il tombera d’accord, que c’est l’homme le plus faux et qu’il oublie souvent le respect qu’il doit au maitre. Car il cherche par la maniére aigre, avec laquelle il represente les choses à degouter le Roi et à le rendre confus [fol. 6v] dans ses raisonnements. Au reste personne ne l’aime à la cour, mais tout le monde le craint comme un homme qui, par sa conduite et ses intrigues, augmente son respect, en abaissant celui de son maitre.

3. Le Feld-Marechal

Monsieur de Steinau est bon soldat et intrepide dans l’action. Il a le jugement droit, mais son trop grand feu l’empeche d’entrer dans le detail d’une affaire. La cavalerie est son fort, s’il fallait qu’il songeat à la subsistance des troupes et aux autres choses necessaires dans une campagne, son esprit le laisseroit bientot. Au reste il est mauvais courtisan et encore plus mauvais oeconome et se repose toujours sur les autres. Les intrigues qui regnent à l’armée aussi bien qu’a la cour, au grand prejudice du Roi le rendent confus d’une maniere qu’il ne sçait ce qu’il fait. Le mauvais succès qu’il a eu jusqu’ici dans son commandement, lui a fait perdre sa reputation et le rend inutile au service de Roi. Sa plus grande faute à eté qu’il s’est pas fait valoir au commencement et [fol. 7r] qu’il a fait tort a sa charge, en s’assujetissant trop aux ministres. Cependant, comme on n’en a pas de meilleur, il faut le garder, car les ministres du Roi ne demanderoient pas mieux, si non que la charge fut tout a fait supprimée. Mais les officiers vivraient sans discipline et sans subordination, qui sont se necessaires à la guerre.

4. Le Chancelier

A le considerer à sa mine, il ressemble à un magistrat serieux et grave, mais quand on l’examine de pres, il a l’esprit present en bon, c’est ce qui le rend opiniatre, car comme il ne penetre pas une affaire a fond, il aime mieux garder son prejugé, que d’avoir honte de se laisser desabuser. Son jugement faible est cause qu’on les meprise dans la Regence. Il favorise la chicane et la malversation des avocats auxquels il ne peut remedier faute d’autorité. Cependant ceux qui ont des procés en souffrent terriblement, aussi bien que tout le pays, qui est epuisé par la chicane des avocats. L’on peut dire hardiment qu’ils ont [fol. 7v] un commerce en Saxe tous les ans de 4 ou 500000 ecus qui ne sortent pas de leurs mains. Il ne prend point de present, mais il donne aveuglement dans la volonté de sa famille qui en prend autant qu’on lui en offre. Sa femme et sa sœur madame Gersdorf, femme pleine d’intrigue et dangereuse a l’interet du Roi et qui sait couvrir sa malice sous pretexte d’une fausse dévotion, le gouvernent absolument. C’est elle qui l’a fait Chancelier qui corrompt par ce moyen le Stadthalter et qui fait que les ordres du Roi ralentissent entre ses mains et ne font d’aucun effet.

5. Bosse le Jeune

La voix commune dit que c’est le plus habile ministre du Roy. Il a eté employé au traité de Ryswick et auprés de plusieurs cours de l’Europe. Enfin, c’est lui qui dispose les affaires d’Etat et de guerre du Roi. Nous ne voulons pas examiner ici, si le mérite de ce ministre est aussi grand que le bruit en court. Mais je soutiens hardiment que, quand il seroit deux fois plus grand que les [fol. 8r] moyens dont il sait se servir pour y parvenir, le rend tellement coupable, que si le Roi n’etoit pas le Prince le plus clement du monde et le plus indulgent envers ceux qui violent le respect qui lui est du, il l’auroit mis au Königstein depuis longtemps. Premierement, il faut savoir qu’il entra fort jeune dans les affaires par la recommandation de son pére qui, se sentant agé et la cour changée par la mort de l’electeur Jean George III, etoit bien aise d’avoir un fils dans ministere qui lui put succeder un jour dans sa charge et suivant la cour put d’autant plus facilement ètudier les actions du nouveau maitre Jean George IV, non pas par un mouvement de zéle, et par l’envie de lui plaire, ce qui auroit eté louable, mais pour prendre des mesures justes sur le rapport qu’il en feroit à son pére, à mr. Knoch et a tous ceux qui seroient de cabale du vieux ministére. Comment il fallait etouffer l’ambition du jeune prince, qui leur paraissait avoir trop de feu et pour [fol. 8v] lui oter la veritable connoissance de son Etat malheur qui a eté presque commun a tous les electeurs de Saxe, lesquels, choisissant toujours des ministres du corps de leur noblesse, ont perdu par la les plus grands avantages. Depuis ce temps la monsieur Bose s’est tellement accoutumé à etudier les actions de son maitre, pour pouvoir se regler la dessu, qu’il ne fait presque rien, que de le critiquer tous les jours et de se plaindre de ce qu’il ne peut pas toujours les pénetrer et donner commission a tous les couriers et gens qu’il envoye au Roi, de s’informer le plus exactement qu’ils pouroient et de lui en faire un fidele recit, pour en pouvoir faire son usage. Premiérement, il fut envoyé a la cour de Vienne pour solliciter le relachement de monsieur de Schöning. Mais lui etant plus à la cour de l’empereur qu’a la sienne meme, et ayant d’ailleurs une autre instruction des vieux conseillers [fol. 9r] privés, il fit tout le contraire de ce que son maitre lui avoit ordonné et, au lieu de songer à la delivrance de monsieur Schöning, il debauchoit meme le colonel Roland que monsieur Schöning avoit envoyé pour observer sa conduite qui lui avoit eté toujours suspecte, et le mit si avant dans ses interets qu’il s’en sert encore aujourd’hui pour lui rapporter tout ce qui se passe à la cour. Ce coup contre le respect du maitre lui ayant heureusement reussi, quoique fort hardi et insolent, le fit juger digne après son retour de l’alliance d’une maison qui ne cede rien ne fourberie et en intrigues contre l’interet du maitre, a la sienne savoir celle de Friesen, dont il epousa une proche parente, la mére de sa femme, etant de cette maison et sœur du Chancelier par quel moyen il devint bientôt ministre d’Etat et eut la maniement des affaires de la plus grande im- [fol. 9v]portance, a cause que les vieux conseillers, auxquels il servoit d’espion, s’abandonnoient à la paresse et laissoient toujours quelqu’un auprès de la personne du Roi, qui les avertit de tout ce qui se passoit et excusoit leurs fautes. La continuation de l’heureux succés, dont les fourberies etoient accompagnées, joint au grand appui qu’il a de l’alliance de sa femme, son ambition naturelle et l’envie qui l’occupe jour et nuit d’amasser du bien (car il est pauvre et fait des grandes dépenses), l’ont rendu si insolent qu’il se moque hautement et du maitre et des conseillers privés, ses camarades, qui lui ont donné la commission de tenir leur parti, quand il est auprés du Roi, ou il fait leur portrait le plus désavantageux du monde, et desaprouve leur conduite en tout, et quand il vient en Saxe, il ne se plaint que des demandes injustes et irrésonables du Roi et donne les conseils pour contrecarer ses ordres, et se fait valoir ainsi aux dépens du respect de son maitre et de ses ministres. Pour les ordres du Roi, il les change a sa fantaisie, pour peu seulement que les affaires ne vont pas a son gré. La pipe a la main, il raisonne [fol. 10r] des affaires les plus secretes et fait par la un tort considerable à celles du Roi et blesse par le respect qu’il lui doit. Il est insuportable à ses amis et subalternes qu’il tache d’attirer dans son parti, soit par des caresses feintes, soit en les intimidant par ses brutalités par les quelles il cherche toujours a preferer son respect à celui de son maitre. Son plus grand merite à ce qu’il dit lui-même, consiste en ce qu’il a l’approbation de plusieurs princes, auprès des quels, il a eté envoyér et qui ne demandent qu’a traiter avec lui, quand il a un traité a faire. C’est pourquoi, il se vante hautement, que le Roi ne peut pas se passer de lui, sur toutes choses il s’applaudit de ce que le Czar a ecrit exprès au Roi et proteste qu’il ne traiteroit qu’avec monsieur de Bose. Mais, outre que les louanges que l’on donne aux ministres dans le cours etrangéres, doivent etre toujours suspecte au maitre et montrent que le ministre qui les reçoit, est souvent le partisan de cette cour. Nous ne voyons aucun fruit de toutes [fol. 10v] les negociations dont il a eté chargé jusqu’ici et monsieur de B….. , qui lui a procuré toutes ces louanges, a eu grande raison de ne se confier qu’en lui, avec le quel il a eté d’intelligence depuis longtemps, au grand prejudice du Roi, l’on n’a qu’a examiner, ce qui s’est passé à Birsen la dessus, dans l’entrevuë du Roi avec Czar, ou monsieur B….. faisoit tout ce qu’il pouvoit, soit par des presents, soit par promesses, de le retenir dans le parti du Czar. Un autre ministre consciencieux, et plus fidéle à son maitre, n’auroit pas entrepris une levée de monde si pernicieuse, qui coute des sommes immences au païs, montant a un million et demi et le depeuple extraordinairement, sans que Sa Majesté en ait le moindre avantage, ne pouvant pas se servir d’une armée composée de nouveaux monde. Cette maniére de lever des troupes, est la piéce la plus malicieuse qu’il ait jamais jouée, le Roi et le païs en sont egalement dupés. Le premier a une armée avec la quelle il ne peut pas agir et qui, venant à etre ruinée comme cela, [fol. 11r] peut facilement arriver en temps de guerre, na sauroit etre recrutéé, le païs etant epuisé et d’hommes et d’argent. D’un autre coté, il fait croire au Roi et au païs qu’on lui a encore de l’obligation de ce qu’il a fait et, n’ayant pas pû detourner le Roi, de lever une nouvelle armée, il vaudroit mieux pour les ministres et pour les Etats qui ne regardent pas de bon œil, que le Roi ne ait une qui soit composée de nouvelles troupes gens du païs, que par des anciennes etrangéres, qui dependissent absoluement du Roi, et non pas d’eux, comme celle qu’il a levée présentement, et dont les officiers lui seroient rédevables, s’il les avoit payés. Lui et le Gr and Marechal sont tous des premiers ministres du Roi, mais cela n’empeche pas qu’il n’y ait une grande jalousie entre eux, puisque monsieur Bose a du mepris pour l’ignorance du premier. Neanmoins, comme la politique des tous les deux consiste a éblouir le Roi, et a l’empecher de voir clair dans les affaires, ils s’unissent presentement. Enfin, en voulant faire le portrait de monsieur Bose, [fol. 11v] nous avons fait son histoire, par ou le Roi, peut pourtant connoitre que c’est un des plus grands Fourbes, et des plus dangereux ministres de sa cour pour son autorité et son veritable interet, il est d’autant plus coupable qu’il a une haine contre le Roi qu’il ne sait pas dissimuler et qui ne vient pas que de sa mauvaise conscience, de peur que ses malversations ne soient pas decouverts, et parce qu’il a eté disgracié, il y a quelques années, il souhaiteroit bien a ce que je crois, que le Roi fut mort ou en mauvaise etat, ayant déjà pris son parti si cela arrivoit, par le moyen de son parentage et de ses conseils doubles, si bien qu’il pouroit vivre en repos et jouir paisiblement, de tout le bien qu’il a amassé par l’iniquité de son ministére. Le Roi ne sauroit mieux conoitre ses fausses demarches qu’en lui temoignant beaucoup de confiance en apparence, il verra comme il deviendra insolent et, changeant après tout d’un coup et traiter froidement, il ne manquera pas de se gendarmer contre lui, d’une maniére [fol. 12r] tout a fait condannable, et qui merite son juste ressentiment.

6. Pattkoul

C’est un des plus grands genies du siécle, soit par la profondeur de son jugement, soit par ses etudes. C’est dommage qu’il defend une mauvaise cause. Le dessein d’enlever la Livonie au Roi de Suède, a eté tres bien concerté par lui et, s’il n’a pas reussi, l’on ne peut pas dire, qu’il ait manqué par sa faute, mais a l’examiner de près, il ne valoit rien etant tout a fait contraire, aux veritables interets du Roi, car l’amité du Roi de Suède lui auroit eté preferable, a toutes les autres conquêtes qu’il auroit pû faire sur lui et, ceux qui disent le contraire n’entendent pas les interets de l’un et de l’autre, en quoi il manque c’est qu’il tache toujours, d’entretenir le Roi dans cette malheureuse guérre. Ses passions sont trop violentes, et son humeur trop emportée pour etre ministre, il veut absolument ce qu’il veut et, c’est pour cela que ses con [fol. 12v] seils sont d’autant plus dangereux, qu’ils sont profonds et opiniatres, s’il etoit une fois dans le ministére, il ne se comporteroit avec personne, mais il pretendroit le maniement des affaires tout seul. Il n’est pas interessé, mais il a beaucoup de penchant a la molesse et aux voluptés, grand defaut pour un ministre. La haine et la vengeance, qu’il a contre le Roi de Suède, lui ont fait prendre la résolution de le depouiller de la Livonie. L’origine de cette haine vient de l’amour et de la jalousie qui regnoit entre lui et le gouverneur de la Livonie le comte de Hassler, alors. D’ailleurs, ses veritables sentiments sont republicaines et tendent plus tot a diminuer qu’augmenter la puissance d’un prince, il n’entre au service du Czar, que par necessité et je voudrois bien parier que son gouvernement despotique lui deplait infiniment.

7. Le General Flemming

L’on peut dire qu’il a des qualités fort eclatantes, son esprit brillant et hardi le distingue [fol. 13r] par tout et, pour un homme de son âge, il est attaché au service d’un Prince, dont la valeur et la generosité sont sans égale, et qui recompense souvent les gens au dela de leur merite, dans l’esperance de les encourager par la, afin de se rendre plus dignes de son service. Il a les sentiments d’un homme d’honneur et la bonne grace de son maitre, l’ont fait fait genéral et ministre tout ensemble, c’est pourquoi il a eté employé fort jeune à des affaires d’une si grande importance, que dans une autre cour, on auroit eu de la peine de les confier tout seul au ministre le plus consommé en âge et en politique. Il s’en est acquité avec beaucoup d’effronterie et de hardiesse et, l’heureux succés dont ses desseins ont eté suivis pendant quelque temps, lui ont fait croire, qu’il entendoit les affaires et lui ont inspiré, une ambition demesuée blamable en tous ceux qui veulent fidelement servir leur maitre. L’on a remarqué pourtant par la suite de temps, ce que les plus sensés ont toujours cru de lui savoir qu’aux beaux talents qu’il avoit pour [fol. 13v] la guerre et non pas pour le ministére, il ne lui a manqué que de l’experience et, s’il etoit en France qu’on lui donneroit le titre de joli officier, et non pas celui de grand capitaine. Il commande de la cavallerie sans avoir jamais servi a cheval, la lettre qu’il a ecrite au general Steinbock sur la perte de la bataille de Binschow, lui fait plus de honte que d’honneur et a fait rire les Suédois. Il en est presque de meme de sa defence sur la perte de la meme bataille. La connoissance qu’il a des affaires n’est que superficielle et son esprit trop brillant l’empeche de les traiter avec succés. S’il reussit dans la negociation à l’election du Roi, il ne faut l’atribuer à son habileté, mais au Grand Trésorier de la Couronne, son allié et beau frére et aux grandes sommes d’argent, qu’il a prodigués mal à propos. Autrement, il n’entend ni quoi ni que sert pour negocier en Pologne. L’on remarque cela encore dans la negocia[fol. 14r]tion, qu’il a eu a Berlin et a celle de Dannemarck ou sa personne a eté très agreable au Roi. Ses ruses et ses maniéres de traiter les affaires le rendent suspect et ne sont guere propres a gagner des gens solides. Nous le laisserons passer pour un espion ou envoyé, qui doit simplement sonder les intentions d’une cour, mais, non pas pour un ministre du premier rang comme lui, qui a plain pouvoir de son maitre et le quel on prend au mot. La maxime qu’il a, qu’il suffit de tenter de grandes choses, quoi qu’il n’y reussisse pas, est plus digne d’un capitaine de dragons, qui risque sa vie en risquant une partie que d’un grand géneral, qui doit avoir les interets de son maitre, et la reputation de ses armes tellement a cœur, qu’il est responsable, s’il hazarde ou conseille la moindre chose mal a propos. La guerre de la Livonie est un triste exemple de [fol. 14v] cette mechante et legére maxime ou l’on n’a pas bien consideré, s’il etoit de veritable interet du Roi, de rompre avec la Suède ou non, sous quel pretexte sous quel apui, et de quelle consequence pouroit etre une semblable rupture, en cas quelle ne reussit point avec une puissance aussi considerable par ses propres forces, que par ses alliances, que la Suéde, et qui au lieu de la guerre, rechercheroit notre amitié. Il y auroit encore a redire contre l’execution de ce dessein, ou il ne s’est pas pris du tout a ce que l’on dit comme il faloit, et la quelle ne paroit tant avoir eté negligée par lui, que par ses intrigues particuliéres, qui l’arretent trop long temps à Dresde et a Berlin. Son ambition demesurée lui a encore fait faire des demarches lesquelles, si elles etoient bien examinées, il seroit difficile a juger, s’il a peché, parce qu’il n’entendoit pas mieux, les affaires dont il se meloit, ou s’il s’est laisser detourner de la fidelité, et de la [fol. 15r] reconnoissance qu’il devoit aux bienfaits du Roi par des vuës particuliéres. Il fut commandé en Lithuanie pour soutenir la noblesse contre les insultes de Sapieha et d’empecher ces derniers de la supprimer de gré ou de force. Cependant, il conclut une capitulation trop avantageuse, sans attendre les ordres du Roi la dessus, ni le consentement de la Noblesse, avec un ennemie juré contre autorité du Roi et contre sa liberté, auxquels, comme le plus fort, il auroit pû prescrire des conditions plus dures, veû qu’eux memes ne s’attendoient qu’a cela, en lui disant quand on format les articles de la capitulation : Le vainqueur donne les loix. Peu de temps après, il epousa une Saphiea, l’on sera surpris d’un autre conseil qu’il a donné au Roi, qui est la guerre contre les Suédois, dans le temps que son royaume etoit agité, par des guerres intestines par ou les Sapieha, qui ont toujours troublé le repos de la Repulique, ont pris l’occasion de faire entrer le Roi de Suede en Pologne en l’ap[fol. 15v]pellant à leur secours. Le conseil qu’il a donné au Roi de consentir à la royauté de Prusse, sans que le Roi de Prusse nous en ait eu la moindre obligation, est a peu près de la même nature. Pour ce qui regarde le premier, il est prejudicable a l’electeur de Saxe, que les electeurs de Brandebourg portent le titre de Roi. Pour ce qui est de la Pologne, tout le monde sçait quelle haine le Roi s’est attirée par la dans la République. Le conseil paroit etre suspect, comme d’un homme, qui est vassal et sujet du Roi de Prusse, comme monsieur de Flemming, le quel est obligé de garder de grandes mesures avec cette cour pour l’interet de sa famille. Au reste, il est de la faction de monsieur B…. qui font une bande et, par consequent, il ne peut pas donner que des conseils doubles, qui flattent en apparence les interets du maitre, quoiqu’ils n’ayent pour but que l’interet propre. Un ministre qui s’eloigne des interets de son maitre et s’attache à d’autres cabales, il lui de fidelité [fol. 16r] et fait connoitre que ses demarches sont fausses. Ses maniéres d’agir envers le Roi sont trop brusques et peu respectables. Il tache en tout de prendre un ascendant sur lui, soit en lui reprochant ses services, soit en autres choses. Le Roi fera bien de le negliger et de lui parler toujours en ton de maitre, pour lui faire sentir que, quand on fait pour son maitre tout ce qu’on peut, l’on n’a fait que son devoir.

8. Le Grand Tresorier de la Couronne Prebentoffsky

Celui-ci n’est pas a conter parmi les ministres allemandes de la cour du Roi, mais comme il entre dans toutes les affaires et qu’il cherche d’accomoder le interets du Roi, qu’il a en Saxe avec ceux de la Pologne, tant qu’il peut aussi bien que par rapport à la grande connexion qu’il a avec plusieurs courtisans, par alliance de sa femme, par le moyen de la quelle il s’est acquis un parti à la cour, et eux reciproquement par le sien en Pologne, [fol. 16v] nous ne pouvons nous dispenser d’en faire quelque mention. Il a rendu de bons services au Roi, et l’on peut dire a en juger par sa conduite qu’il a tenu jusqu'à present, qu’il a autant de bonnes qualités que de mechantes. Il faut que Sa Majesté se serve delicatement de lui, a cause de l’autorité qu’il a dans la Republique et de la confiance dont ils l’honnorent jusqu’ici. S’il a quelque sujet d’etre mecontent de lui, il ne feroit pas bien de le lui temoigner, nous l’avons toujours trouvé mieux porté, pour les interets du Roi et, plus veritablement attaché a sa personne, que les autres Polonois. Mais, il ne faut pas disconvenir aussi, que son propre interet et l’agrandissement de sa famille, qui ont depéndu jusqu'ici uniquement du Roi, n’ayant eté la principale raison de son attachement, etant certain qu’il est Polonois au fond du cœur, c'est-à-dire, [fol. 17r] quand il se pique d’une veritable génerosité et fidelité, ce ne sont que des parôles. Les mauvais succés des affaires du Roi et les revolutions arrivées dans la Republique, ont eté cause que l’on accuse de quelque changement envers le Roi et de celui de ses ennemis. Mais on n’en devroit point etre etonné considerant qu’il est senateur et, qu’en vertu de sa dignité, il faut qu’il se tienne toujours partagé entre le Roi et la Republique, et qu’il pouroit faire plus de tort que de bien aux affaires de Roi, en tenant son parti toujours trop chaudement. Et voici comme il excuse l’intelligence qu’il à avec les confedères contre le Roi. Il est allié depuis quelques temps avec les principales maisons de la Pologne dont il a un grand appui, c’est pourquoi, il faut le ménager et croire qu’il n’y a rien de plus sensible a un grand mi[fol. 17v]nistre, que de le soupçonner d’infidelité ou lui temoigner des rafroidissemens, sans en avoir des raisons bien fondées, il est vrai qu’il est tout a fait dans le parti des Sapieha, mais il s’excuse sur le meme pretéxte, que nous venons d’alleguer, sa voir celui du parentage et d’etre comme mediateur entre eux et le Roi. Quand l’amnistie seroit un jour publiée, il est seur aussi qu’il n’a pas donné les mains dans la guerre de Livonie, que dans la consideration de donner du temps à ceux ci de respirer et, pour empecher le Roi de les mettre sur le petit pied, comme ils le meritoient et comme la Noblesse le souhaité. C’est par l’occasion de cette malheureuse guerre que nous revenons toujours au meme principe, que celui qu’il à conseillé au Roi, lui a donné un trés pernicieux conseil qui n’a eu pour fondement au[fol. 18r]cune raison solide, rien que des vuës particulières. Quatre personnes, a ce qu’on dit, ont conseillé au Roi cette guérre. Patkoul l’a fait par vengeance, Flemming, par insolence et par ignorance, ne connoissant pas les veritables interets du Roi, d’autant plus que toute la machine n’etoit point de son invention, mais de celle de son oncle, le vieux Feld Marechal de Brandebourg. Monsieur B…. à donné des blancs par complaisance pour les gens de sa cabale, celui ci connoissoit bien la fausseté des conseils, c’est pour cela aussi, qu’il n’y entroit qu’a demi. Les conspirations pourtant l’emploiérent seulement pour tirer par son canal de juif du païs et les requisitions necessaires de ce detestable conseil. Le Grand Trésorier, dont nous parlons y, a consenti par malice, pour detourner le Roi [fol. 18v] du dessein, qu’il avoit contre les Sapieha et pour l’enveloper dans les troubles, comme nous voyons presentement, pour se rendre necessaire auprès de la cour, de vouloir soutenir que le Roi au pû emporter la Livonie sans coup ferir, et la posseder aprés en repos, est chimerique et ridicule, sans blesser le respect, que nous devons aux auteurs de cette guérre. Outre que la Suède ne l’auroit jamais souffert, les alliéz du Roi même, l’electeur de Brandebourg dont l’amitié n’est rien moins que sincère et le Czar en auroit pris de l’ombrage et les Polonois n’auroient attendu qu’un temps propre, comme ils ont depuis fait jusqu'a ce que les forces du Roi auroient eté consumées dans cette guerre, ce qui seroit arrivé tot ou tard. Le Dannemarck meme, qui etoit de tous les alliez sur le quel on pouvoit conter le plus, ne vouloit pas mordre tout de bon, il craignoit les [fol. 19r] forces de la Suéde et ne vouloit jamais chicaner que le duc de Holstein. Autrement, le Grand Tresorier est un grand harangeur à la polonoise et a toujours la tête pleine d’affaires, meme au milieu des plaisirs et des rejouissances, ou il fait quelque fois ses plus grandes intrigues, il a eté extremement rebuté d’une chose, dans la quelle on ne peut pas lui donner tort, savoir de la maniére negligée et peu convenable à sa dignité et aux services qu’il a rendu au Roi, dont les cavalliers et ministres allemands du Roi en ont usé envers lui. C’est par la qu’ils revoltent les esprits qui sont dans de bonnes intentions envers le Roi et leur font prendre le change. Le Grand Chancelier Beichel l’a traité autrefois du haut en bas et a profité [fol. 19v] de toutes les occasions, ou il y avoit du profit à faire a ses depends, Le Grand Marechal fait encore tout ce qu’il peut, pour temoigner le mepris et la jalousie qu’il a contre lui, car il est constant que cet homme la, est aussi jaloux de celui qui aproche du maitre, ou de son egal, ou qui est au dessu de lui qu’un tigre ne le sauroit etre de sa proie. Je suis persuadé qu’il lui rend de mauvais services tous les jours auprès du maitre ou par lui-même ou par d’autres, comme il fait a tout le monde, d’une maniére si fine, que le Roi ne sauroit s’en appercevoir, a moins que quelqu’un ne lui decouvre l’artifice, par trois ou quatre rencontres. Je me souviens moi meme que, frequentant encore cette cour, j’ai ouï exagerer auprès de Sa Majesté ses demarches les plus innocentes. [fol. 20r] Tout le monde est prevenu en faveur de son rival, le Vice Chancelier Czembeck, seulement parce qu’il n’offense pas tant l’orgueil mal entendu des ministres allemands, dont ils ne se deferont pas, d’eut-il couter la couronne au Roi, et qu’il confére avec eux des affaires d’Etat de Pologne, ce qui ne fait pourtant pas, que parce qu’il se trouve trop faible, pour se maintenir à la cour. Il y a même grande difference entre lui et le Grand Tresorier, l’un a beaucoup d’experience et est appuyé par de grandes alliances, l’autre est de petite naissance, destitué de biens et de parens, ainsi il tourne a tout vent. Nous ne voulons pas examiner son habileté mais, il est certain, que les affaires lui donnent beaucoup plus de peines, qu’il n’en devroit avoir, s’il les connoissoit. Enfin, c’est un lumignon qui brûle sans chan[fol. 20v]déle. Les conseils qu’il donne, ne sont pas les plus sains, et fort interessé en faveur de la maison royale, et de la veille Reine, le conseil qu’il a donné au Roi, de convoquer les conseils à Jamerow, lieu ou les senateurs n’avoient ni envie ni commodites d’aller, n’a pas été des meilleurs et venoit d’etre inspiré par monsieur Cschouka, de meme que celui de refuser l’alliance que Sa Majesté le Roi de Prusse offroit à Elbing et de vouloir prendre toutes les villes de Prusse sous sa protection. Au reste, il est ètonnant, comme il change si tot de casaque a l’egard de cette cour. Du temps que le comte de Wartenberg etoit envoyé à la cour de Pologne pour conclure le Traité d’Elbing, c’etoit le Vice Chancelier qui pressoit le Roi, jusqu'a ce qu’il le signoit, ce qui fut recompensé avec 400 ducats en espece. [fol. 21r] Le Grand Tresorier en eut ensuite 8000 pour y donner aussi son consentement. La maniére dont il administre les mines a sel, n’est pas non plus fort profitable au Roi, quoi qu’il en dut tirer 4 ou 5 mille ecus. Enfin, Sa Majesté se peut servir de lui comme d’un contre poison, pour corriger les passions et la partialité du Grand Tresorier et pour contrebalancer par son moyen le pouvoir des deux familles : de Loubomirsky et Pototzky, puissantes dans le royaume. Au reste, il n’est guére assés fort a soutenir les interets du Roi tout seul.

9. Le Vieux Bose

C’est le ministre le plus intriguant de toute la cour, d’autant plus que cela ne paroit pas. Son experience dans les affaires du païs, son jugement solide, qui suplée au défaut des etudes (car il n’en a guère) et son age, lui attire beaucoup [fol. 21v] d’autorité, il a mis sur le tapis plusieurs bonnes choses a corriger dans le païs du temps de son ministere, mais il n’en a achevé aucune, savoir une recherche des nouveaux domaines du Roi, du temps de George III, il a déjà prouvé les malversations qui se pratiquent dans le Steuer, depuis une trentaine d’années, qui affoiblissent entierement son credit, il avoit mis les finances sur un bon piéd, mais, dès qu’il s’est etabli et qu’il a fait voir aux gens, qu’il falloit s’addresser à lui, il a quitté les louables desseins et pris a tache d’enrichir sa maison, qui etoit pauvre par des presents qu’il prenoit a droite et a gauche et, au lieu de continuer ses soins pour interet du maitre, il entra dans la cabale du ministére, et des gens du païs qui y sont toujours. Son avidité a prendre des presents le rendent suspect et l’obligent [fol. 22r] de quitter le poste de President de la Chambre qu’il occupoit a l’armée, il pretendoit que l’electeur et le Feld-Marechal n’eussent pas tant de pouvoir que lui. Monsieur de Flemming l’etoit alors, celui ci obtint cette charge à condition qu’il dependroit de lui et de monsieur de Haubitz, qu’ils puissent faire avec l’armée tout ce qu’ils voudroient, et c’est une chose que les ministres de Saxe pretendent d’ordinaire, et c’est aussi de la que vient la jalousie, qui regne entre eux et le Feld-Marechal. Un autre qui auroit moins de flegme que monsieur de Flemming et qui auroit preferé l’honneur aux revenus d’une charge, ne l’auroit pas souffert. La bonne intelligence qui rengnoit entre lui et ce dernier, lui etoit plus avantageux que nuisible, puis qu’etant tous deux si etroitement liés d’interets ils fai[fol. 22v]soient bours ensemble, en tirant des grandes sommes des quartiers de Franconie dans la guerre passée, monsieur de B… a ce qu’on dit, fait rouler son argent sous des mains empruntées, et par les marchands suisses, il est envieux avec la science à la manière des vieillards et ne peut souffrir que le maitre sache sa verité. Un jour, l’electeur ayant remarqué de la fenétre, qu’on aportoit de l’argent dans des barils au commissariat de guèrre, il fut fort indigné contre ceux, qui le lui avoient indigné. Il a eu le bonheur d’avancer ses enfants dans les plus grands postes à la cour, son ainé est Grand Maitre d’hotel de la Reine et, par consequent, il sçait tout ce qu’il se passe à cette cour. Le puis-ainé est ministre d’Etat, les affaires de la plus grande importance passent par ses mains. Son cadet est colonel des gardes, plein de bonne [fol. 23r] presomtion pour soi meme, comme tous ceux de sa famille. Il ne s’attend qu’a devenir general au premier jour, par consequent, il gouverne la cour de la Reine, le conseil d’Etat et le commissariat de l’armée, d’autant plus que le Feld-Marechal n’est ragardé que comme un zéro en chiffre. Pour ce qui regarde les filles, il les a toutes mariées aux les plus riches gens du païs. Ou Sa Majesté considére maintenant l’enchainure de cette famille, elle m’avouera, que c’est dans son païs comme en Pologne. Les principales maisons se soutiennent aux depends de l’autorité royale par de semblables moyens. Il y en a plusieurs de cette sorte dans le païs et c’est dela que vient qu’il n’est pas craint, ni respecté, si ceux qui soutiennent le parti de monsieur B… disent qu’ils [fol. 23v] meritent tout ce qu’ils sont, je repons, que si le merite de plusieurs eut eté mis au jour comme le leur par le soutient de leurs familles, ont trouveroit bien des gens qui les surpasseroit et quelque merite qu’ils ayent, ils devroient pretendre aucune recompense parce qu’ils en abusent contre l’autorité du Roi. Si Sa Majesté veut, elle ne manquera jamais d’habiles gens soit pour le cabinet, soit pour l’epée, chacu’un se fera un honneur de la servir, mais il faut les soutenir et les mettre a l’abri des insultes, des mauvais courtisans et gens interessés qui rebutent et persecutent les fidéles serviteurs du Roi.

10. Monsieur de Knoch

Il est de la cabale du vieux ministére du Roi gaté par l’oisiveté et par l’interet [fol. 24r] propre, autrement il conserve dans son age une grande politesse d’esprit et de mœurs. Son merite n’a jamais ete grand et son naturel paresseux et faux l’a empeché de se rendre solide. Il sçait cacher ses faiblesses avec un beau detour, comme s’il etoit plein de zêle, pour le service du maitre et de ses amis. Cette hypocrisie est scandaleuse pour un homme de son age et de son caractere, d’autant plus qu’il est capable de faire toute sorte de basesses. Pour ce qui regarde sa dissimulation et ses maniéres souples, il semble que le Grand Marechal l’a pris pour modèle, aussi tient-il son parti plus qu’il ne fait d’ordinaire pour aucun autre, cela vient de ce qu’il s’est servi de lui encore comme page, pour lui raporter les nouvelles de la cour. Il s’est acquis par son hypocrysie un espece de merite chez les petits esprits qui se [fol. 24v] laissent préoccuper et n’examinent point les choses a fond et auprès de vieilles femmes dont il est protecteur. Les afligés et gens embrassés en proces le consultent, mais ils ne reçoivent pour toute consolation que des simples paroles et compliments de condoleance, quoi qu’il persecute le plus chodement ceux qui cherchent leurs consolations chez lui. Il se trouve dans toutes les coteries, ou l’on travaille pour la liberté imaginaire du païs, la quelle on ne fait consister que dans le profit de quelques particuliers, qui sont en consideration aux dèpens de l’interet du Roi. Monsieur de Bose est sa creature qu’il a avancé à la cour, de sorte que, quand celui ci ne seroit pas assés fourbe de son naturel, il le deviendroit dans son aprentissage.

[fol. 25r] 11. Monsieur Hoimb le Père

Il eut beaucoup de peine à percer les flatteurs et mauvais courtisans de la cour avant que de pouvoir s’avancer sa maniére de vivre austére et laborieuse le fait haïr d’eux, il a de l’indifference par tout le monde et regarde tout de sang froid, rien ne l’occupe plus que le ménage, qu’il pousse a l’exces et par le moyen du quel il a amassé de grands biens. C’est pourquoi, il est plus propre à regler l’epargne d’un grand prince que ceux, qui aiment la dépense,et qui sont pauvres eux mêmes, à la mode de la cour de Pologne, ou l’on ne voit employer que de gens pauvres qui sont a charge au maitre et a qui la famine inspire des sentiments interessés à les exami[fol. 25v]ner tous ils n’ont pas 1000 ecus par eux memes. Il n’a pas tenu a lui que les abus de la cour ne fussent reformés, et que la depense excesive ne fut retranchée. Mais les courtisans et ceux qui y avoient interet, ont trouvé moyen de faire changer le Roi de cette resolution, à son désavantage, ce qui l’a beaucoup rebuté.

12. Monsieur Hoimb le Fils

Il marche sur les traces du pére, son air est un peu isolent et abord froid, mais, quand on le connoit, on remarque qu’il ne raisonne pas mal. Il passe pour etre plus emporte que son pére, mais toute la difference a ce qu’il me semble, consiste en ce que la chose est que l’on apelle un homme fripon de sang froid, et l’autre avec echaufement, c’est un defaut qui n’interesse que lui. Au reste, il n’a pas grandes liaisons avec les familles du païs [fol. 26r] et, par consequent, d’autant plus propre a servir le Roi, il lui a rendu de grands services par l’introduction de l’accise. L’on ne doit pas lui attribuer les abus qui s’y glissent et croire, qu’un seul homme ne suffit pas pour effectuer une œuvre aussi salutaire à la Republique, et aussi avantageuse pour l’interet du maitre, que celle a la quelle les conseils du Roi et des Etats sont si contraires. Le Roi n’a qu’a considerer le grand profit, qui lui en reviendra, vù que, non seulement il augmentera ses revenus considerablement tous les ans, mais fera aussi refleurir le commerce et soulagera les pauvres. Il n’y a pas voye de contribution plus juste et plus raisonnable. Ceux qui soutiennent le contraire doivent etre regardés comme des ignorans et de gens les plus interessés du monde et ennemis de la Patrie. Il ne faut pas que le Roi sou[fol. 26v]tienne son parti a quelque prix que ce soit autrement, il faut de necessité qu’il succombe, et qu’il se range du coté de la cabale faite contre les interets du Roi. Monsieur de B…. dit hautement qu’il ne peut pas trop reussir, parce qu’il ne s’est point adressé à lui et au Chancelier, quoique ni l’un ni l’autre ne s’y entendent guère. C’est seulement pour ne pas laisser echaper une occasion ou son interet et sa vaine gloire ayent part. Le Grand Marechal est encore ennemie jure de l’accise.

13. Miltitz

Il est honnete homme, un peu bisarre et fantasque, et s’il ne fait pas du bien, il ne fait point aussi du mal. Il a eté longtems envoyé a la Diette de Ratisbonne ou il s’est acquis une grande connoissance dans les affaires de l’eglise, l’empire. Il n’est guère dangereux au Roi et donne par la un bon exemple à ses autres camarades, [fol. 27r] comment il faut respecter le maitre, dont il parle toujours avec beaucoup de respect.

14. Born

C’est le plus grand [.]consulte de Saxe. Ses decisions passent dans ce païs pour les loix. Il est reservé et peu communicatif, parlant plustot par des arrets de la Regence que par des simples paroles. L’on dit pourtant, que quand il prononce une sentence, il n’a pas les yeux bandez comme la justice les doit avoir, mais qu’il sait fort bien distinguer les personnes contre les quelles il prononce. Il est protecteur de la chicane, c’est sous ses auspices que le nombre des avocats s’est augmenté si prodiguement dans ce païs. Sa sagesse est assés inutile au Roi puisque la crainte de perdre ses biens, qui sont assés considerables, et de se faire des ennemis, le retient et l’engage à ne dire ses veritables [fol. 27v] sentiments que par contrainte. Son fort est le droit civil, science assés inutile pour l’agrandissement d’un prince, a la quelle tout le monde s’applique en Saxe, d’ou naissent tant d’innombrables procès. Il est partisan de la maison de Friese qui regne pour lui dans cours des apels en faisant gagner les procés, a qui il veut.

15. Zech

C’est l’oracle du Stadthalter qui n’a qu’une connoissance superficielle du droit et des affaires du païs. Il entend mieux le ceremoniel. On pretend qu’il est fort susceptible de presens et quand il est gagné par la, ceux qui ont des affaires avec le Stadthalter, sont malheureux ne le faisant voir que par des lunettes d’aproche.

16. Kühlewein

Il est conseiller de guérre, et a le jugement sain et ferme, pas bizarre et entier dans ses sentiments, ce qui le fait paroitre peu dissimulé et [fol. 28r] rigoureux dans sa fonction. Monsieur de B…. est son antagoniste, comme de tous ceux dont il sent aprocher le merite du sien et, comme il n’est pas gentil-homme (qualité necessaire dans cette cour, mais fort inutile pour l’interet du Maitre). Cela diminuë son autorité et l’empeche de rendre au Roi des services plus considrables.

17. Le Grand Ecuyer Thielau

Il vient guere a la cour depuis qu’il a fait sa fortune, la raison en est parce qu’il se defie du Roi, qui le croit interessé et intriguant, et pour ne pas donner de la jalousie aux autres qui lui portent envie sur ce qu’il posséde une des premiers charges de la cour, qui n’apartient qu’a un homme d’une qualité plus rélevée et plus ancienne que la sienne. Il met toutes les années 6000 ecus dans sa bourse du rehaussement des fermes des Harras de Sa Majesté. Il a epousé une femme d’une maison considerable en Saxe, de celle de Schomberg. C’est ce qui le soutient si longtemps selon la coutume du païs ou le parentage est le moyen le plus assuré pour s’avancer à la cour et pour pouvoir [fol. 28v] voler impunement.

18. Racenitz

Est un honnete homme qui a peu d’esprit, a le voir, on ne le prendroit par pour ecuyer d’un grand Roi, il a l’avantage que s[..] peu d’esprit, l’ait plus recommandé que s’il en avoit infiniment. Sa femme l’en aime davantage, en faisant voir le sien. Le Grand Marechal est aussi de ses amis par la meme raison. Car comme il pretend briller a la cour tout seul, il souhaite en meme tems que la cour ne soit rempli que d’esprits mediocres, sur tout par raport à ceux qui sont obligés à etre continuellement auprès du maitre, comme c’est monsieur. de Recenitz, qui a entré dans l’apartement du Roi, c’est a cause de cela, qu’il n’etoit guére ami avec Bomsdorff, celui ci ayant autant d’esprit que lui, quoi qu’il ne fut pas tout a fait si grand courtisan, il pouroit devenir interessé avec le tems, à la maniére de ceux du païs, quand ils ont eté a la cour pendant quelques tems.

[fol. 29r] 19. Vitzdom

On l’apelle ordinairement le favori du Roi, mais j’ai de la peine a le croire et ceux qui lui donnent ce nom, jugent très mal du discernement d’un prince aussi eclairé qu’est le Roi, pour le croire capable de choisir un homme pour favori, qui contente si peu les lumiéres de son esprit que lui a la conversation du quel il ne trouve aucun gout. Il est imprudent et ne sert pas le Roi aussi exactement qu’il devroit. Quelque fois, il se familiarise trop avec S. M. ce que le respect ne peut permettre. Nonobstant tout cela, il a l’avantage beaucoup plus grand que l’on ne sauroit croire et imprudent comme il est, il observe tout, personne n’est plus sur ses gardes que lui. Comme il entre fort souvent dans les plaisirs du Roi, il devient hardi et d’autres s’en servent fort souvent, pour donner au Roi l’impression d’une chose qu’ils veulent. Il est ordinairement de la grande faction des gentils hommes du païs, dont le Roi est en[fol. 29v]touré, qui empechent qu’il ne soit servi comme il devroit, a moins qu’on ne les eloigne de la cour. Sa femme est fort interessée, et comme le Roi aime a faire du bien a tout le monde, et croit quand il en fait qu’on lui en aura une juste reconnoissance. Il a fait ce mariage, mais cette maxime n’est pas bonne et si le Roi veut avoir un fidéle serviteur, il le doit empecher de se marier, tant qu’il peut, etant naturel qu’un homme marié s’attache plus a sa famille qu’au service du maitre, particulierement dans son païs ou le zéle pour celui la est si rare.

20. Le Chambellan de Seiffertitz

Il est malheureux en ce qu’il est pauvre et aime la depense. Il fait l’homme d’importance et se pique d’avoir de l’esprit, caractére qui lui est d’autant plus difficile a soutenir, qu’il ne lui est guére naturel. Il veut faire des intrigues, mais elles sont cousues de fil blanc. Il s’attache toujours au ministre de la cour qui est en vogue, et quand la fortune de celui ci change, son amitié change aussi, son peu de solidité fait qu’il aprouve toutes fortes de sentiments, [fol. 30r] sans examiner s’ils sont justes ou non seulement pour plaire aux gens, c’est pourquoi il loue souvent un quart d’heure apres ce qu’il avoit blamé auparavant. Sa fierté mal entenduë, et son jugement peu solide, le rendent grossier, faux et malicieux. C’est pour cela, quand il fait rapport au Roi d’une affaire, il ajoute ou ôte quelque chose, selon qu’il est plus ou moins passionné. Après avoir parlé au Roi, il redit ce que S. M. lui a repondu, ce qu’il devroit pourtant garder par devers soi par respect et ne faire confidence à personne, comme il fait par vanité. Il y eut un temps, ou il se meloit de recomander les gens, et qu’il leur fesoit accroire, que son pouvoir etoit plus grand, qu’il n’est en effet, ce qui a surpris beaucoup de monde, qui connoissant son peu de merite croyoient qu’il eut enchanté le Roi par des sortiléges et lui attire du credit et des presens des marchands. Le Marechal hereditaire du païs meme a eu la foiblesse de s’adresser a lui pour soutenir le parti des Etats, auprès du Roi. Mais a l’heure qu’il est, le monde commence a en revenir, foiblesse qui n’est guere pardonnable qu’a ceux qui ne savent ce qui se passe a la cour, et qui ne connoissent pas le discernement fin et solide du Roi.

[fol. 30v] 21. Le Lieutenant Général de Bennickendorff

Sa meilleure qualité est d’avoir beaucoup de sang froid, ce qui fait, qu’il connoit bien ses forces qu’il menage et qu’il couvre par la ses defauts adroitement, il cache son penchant pour l’interet propre, sous le pretexte d’honneteté, passant par la meme raison pour bon compatriote, il est passionné pour ses amis, aussi bien que pour ses ennemis, qu’ils persecute à l’outrance, aux depends des interets du Roi meme. Il seroit dissimulant et difficile a connoitre, s’il etoit plus reservé et s’il sçavoit cacher ses chagrins, faute de quoi il s’echape a tous moments et se trahit par ses discours. Il aime les commodités et meme une veritable vie de goinfre. Le vin, l’eau de vie, la bierre et le tabac restent sur sa table, depuis midi jusqu'a minuit et je ne sçai comment un hom[fol. 31r]me qui un tel train de vie, ne neglige ses affaires, tout habile qu’il est, ayant toujours la tete pleine de vapeurs. Il est grand factionnaire et fait par la beaucoup de tort au Roi. Du temps du ministére du Grand Chancelier de Beichel, il dependoit absolument de lui, de madame Rechenberg et de Ritter, il avertit le Chancelier de tout ce qui se passoit a la cour et si sa fortune ne l’eut rendu trop assuré et trop teméraire, il seroit infailliblement echappé, sur les avis qu’il lui donnoit de sa disgrace, par ecrit aussi bien que de bouche, quand il fut de retour de Thorn et pour la haine qu’il avoit contre le Feld-Marechal, c’est lui qui a donné le mechant conseil au Roi, de mettre l’infanterie dans Thorn, afin de lui oter le commandement de l’armée, car il souhaitoit qu’il fut degouté, n’ayant rien a commander et renvoyé en Saxe, c’est ce conseil passionné et mal digeré, qui a causé au Roi la perte de l’elite de ses troupes, car a considerer les chauses meurement, il etoit impossible, que cette gar[fol. 31v]nison se put deféndre contre un ennemi victorieux, dans une place, qui n’etoit point forte d’elle meme et qui n’avoit point de secours a esperer, après que l’armée du Roi fut affoiblie par le detachement, que l’on envoyat sur le Rhin. Il a eté si aise d’avoir joué ce tour au Feld-Marechal aux depends du Roi, qu’il s’en aplaudit lui meme et, dans la relation qu’il en fait au Chancelier Beichel (comme ils sont tres bons amis), il se vante d’avoir diminué par la entiérement l’autorité de Flemming. Cependant, il ne peut pas oublier d’avoir eté a Sonnenstein et, c’est pour cela qu’il ne sert le Roi, qu’a contre cœur et lui en fait des reproches toutes les fois, que l’occasion se presente d’en parler. Si l’on lui en croyoit, le Roi ne le sauroit asses recompenser pour cela. Il conte pour rien que de gouverneur des fils de monsieur de Schöning, le Roi l’ait fait Lieutenant General et Commissaire General des troupes en lui faisant gagner plus de [fol. 32r] 100000 ecus dans son service, outre qu’il n’a pas ressenti l’acction de Zwingenberg Le Grand Marechal qui n’etoit autrefois de ses amis, a causé qu’il etoit dans le parti du Grand Chancelier, lui veut du bien presentement et souhaiteroit fort, qu’il entrat dans le commissariat au lieu de B…. qui lui donne trop d’ombrage et le fait craindre, qu’il ne se mette trop dans les affaires. Mais ni l’un ni l’autre ne vaut rien pour cette fonction monsieur de Benick, s’il etoit a la cour, laisseroit aller les choses comme elles voudroient, et suivroit la grande foule de la cour, qui veulent toujours preferer leurs interets propres à celui du public et qui se soutiennent l’un et l’autre, en suppriment tous ceux, qui ne sont pas de leur bande et qui servent fidélement le Roi. C’est pourquoi il dit toujours lorsqu’il s’agit des moyens propres à procurer l’interet du Roi : Mes enfans, laissons aller les choses comme elles vont et ne rendons pas les grands princes [fol. 32v] plus eclairé qu’ils ne sont, il faut que nous nous soutenions, je sai comme la noblesse est dans le Brandebourg. Sa Majesté peut donc bien comprendre, qu’il ne lui est pas si utile et qu’elle le doit tenir eloigné de sa personne et ne lui point preter l’oreille. On poura l’employer dans le païs, soit dans le conseil de guérre, pour faire les repartitions des troupes et pour faire les Etats, soit pour l’infanterie et la mettre sur le bon pied et en faire la revuë. Au reste, il faut que le Roi se defie toujours de ceux qui ont une fois encourù sa disgrace et conter, qu’ils ne l’oublieront jamais, par l’exemple, de celui dont nous faisons le portrait, et de monsieur B…. dont nous avons ci devant parlé. Il semble qu’un grand prince se repante d’avoir fait ce qu’il a fait et c’est ce qu’il ne faut jamais temoigner au public. Comme il n’est pas a presumer qu’il fera tomber sa disgrace sur quelcun, sans avoir des raisons suf[fol.33r]fisantes, cette espéce de repentir, fait accroire a celui qui a eté disgracié qu’on lui a fait tort, et lui inspirera du mecontentement et de la vengeance. L’on voit cela a l’exemple du Roi de France, Louis XIV, qui n’a jamais rendu ses bonnes graces a une personne disgraciée, temoin messieurs Lauzun et de Rabutin, qui ont languis fort longtems en prison pour ses fautes assés legéres, dont se commettent tous les jours de semblables a la cour de Pologne.

22. Le Lieutenant Général de Schoulenbourg

Il y a de la difference entre lui et son frere le General Major puisque l’un a autant de merite que l’autre n’en a pas. Son esprit est poli et galant, il a de l’ambition et raisonne juste et, quoi qu’il ne soit pas encore vieux routier en ce qui regarde le metier de la guerre, on doit pourtant le preférer a bien d’autres qui [fol. 33v] ont plus de service que lui a cause de son application à la guerre, c’est un aiguillon a monsieur de Flemming, qui lui porte envie et qui evite son commerce, pour n’etre pas obligé d’avouer, qu’il sçait mieux moderer son feu et qu’il a plus de savoir que lui, il s’est distingué a la derniére campagne sur le Rhin, mais on l’accuse d’avoir fait la bourse, aux depens des troupes qu’il commandoit. Cela est aisé a croire car il n’avoit pas de quoi, et vouloir pourtant vivre, d’une maniére digne de son rang. Comme il a du merite, on peut lui pardonner cela, pourveu qu’il n’y retourne et en use de la sorte dans le païs du Roi. C’est pourquoi le Roi fera bien de lui faire sentir le pardon qu’il lui accorde, en lui faisant entendre, que quelque merite, que l’on ait, dès que l’interet particulier s’en mêle, il efface generalement tout d’ailleurs il est bon courtisan, asses bien tourné, ayant les maniéres souples et engageantes et la conversation enjouée. Il ne seroit guére malpropre a etre gouverneur auprès du prince [fol. 34r] royal etant constant, que cet emploi, doit toujours etre exercé plustot par un soldat et un homme du monde, pour polir l’esprit d’un jeune prince, que par un pedant qui lui rend l’esprit borné et bizarre, car il ne faut pas douter que les maximes qu’on inspire a un jeune prince de 10 ou de 12 ans, fussent-elles bonnes ou mauvaises, n’y restent toujours imprimées.

23. Le Lieutenant Général Jordan

Est plus homme de cabinet que soldat il en est de meme du general Bielke de l’instruction du quel il s’est servi et c’est pour cela, qu’il n’est guere propre a commender les gardes du corps. Il est doux dans ses maniéres et aime sa famille à la folie. Il ne s’est pas mal conduit dans son Ambassade de France, mais il est tres mecontent [fol. 34v] sur ce qu’on l’a fait manquer de parole et qu’on a rompû une alliance qui etoit sur le point de se conclure et par la quelle il est très certain que le Roi auroit obtenu la paix, il y a longtems, car comme le veritable interet du Roi de Pologne consiste a etre ami avec la France pour en tirer des subsides et pour ne pas se trop brouiller avec les senateurs de la couronne, dont les principaux sont pensionnaires de la France, pour pouvoir encore tenir tete d’autant plus facilement au Roi de Prusse qui a un grand parti formé dans la Republique pour appuyer l’autorité royale et tenir le parti de l’electeur, l’empereur, comme electeur de Saxe. Ces considerations devroient avoir obligé le Roi a tenir une exacte neutralité et a se faire caresser des deux partis. Les mechants conseils de monsieur de Beichel, qui etoit déjà corrompu lorsqu’on traitoit cette alliance et preferoit se volupté aux interets du maitre n’ecoutant que l’avis d’une femme, [fol. 35r] sçavoir madame de Rechenberg et d’un pauvre avocat docteur Ritter, qui n’avoit pas assés d’experience dans les affaires d’Etat et la complaisance pour monsieur de Benickend, lui ont fait prendre parti la, sans en avoir eu un avantage réel, dans un temps ou personne n’entre plus chaudement dans celui de la maison d’Autriche, a cause qu’elle ne l’entend plus elle méme, et qu’il n’y a que le clergé qui dirige son conseil.

24. Le Lieutenant Genéral Thiesenhausen

Il sert d’ornement au Roi et lui est tout a fait inutile a cause de sa trop grande partialité pour la France. Il passe pourtant pour bon officier de cavallerie et il s’est distingué en plusieurs occasions. Il se fait paroitre et fait figure et depense peu, il pouroit un jour rendre de bons services au Roi, si l’on vouloit renouer l’amitié avec la France, mais il faudroit prendre garde qu’il n’engageat les affaires trop avant et abandonne tout a fait les interets du Roi a la discretion de cette couronne.

[fol. 35v] 25. Le Chambelan Militz de Madame Royale

L’on ne parloit du tout de celui ci, n’etant pas de la cour du Roi, si nous n’avions point fait mention un peu plus haut, de l’education du prince royal et des personnes qui y seroient propres. C’est lui donc qui occupe a present ce poste, qui est d’autant plus important que le contentement de la maison royale et de la mére du Roi en depend, comme tout le monde est prevenu, pour le discernement juste de cette princesse, on le croit tout a fait propre a remplir dignement cette charge, mais a examiner les choses de près, on trouvera autant de raisons du pour et contre par rapport a son choix. Comme une personne qu’on destine pour etre gouverneur d’un jeune prince doit avoir de certaines qualités qu’on ne rencontre pas si aisement, il ne faut pas s’etonner si cette princesse, s’est peut etre trompée en choisissant un homme d’un pais ou il y en a [fol. 36r] si grande disette, et ou la bonne education, et les sentiments d’honneur sont si rares qu’en Saxe. Ajoutons que la volonté de madame Roy ale n’est pas toujours aussi libre que l’on croit, se laissant gouverner par les rapporteurs et par les Tartuffes. Pour revenir a monsieur de Miltitz, il passe pour integre et homme de probité, son silence lui est interpreté a esprit, quoique dans le fond, c’est ne que l’effet d’un esprit sombre et timide qui se defie de lui meme et qui agit par contrainte, craignant de deplaire qui se tient toujours sur ses gardes. Il est chiche de son naturel et avare, ce qu’on apelle vilain, ceux qui ne s’y entendent guére, le font passer pour bon ménager. Sa conversation est sterile et trop peu eveillée pour entretenir un jeune prince, l’esprit du quel doit sans cesse etre cultivé avec soin, par des discours solides et agréables en meme tems et par des reponses spirituelles qui piquent l’esprit. Il est de sa profession ni soldat, ni courtisan, ni homme d’affaire, car je n’appelle pas grand homme de cour ou ministre consommé d’avoir eté à la cour de Hesse Darmstadt et d’avoir mené le frére cadet du Landgraf, [fol. 36v] Le Prince Philipe, en païs etrangers. Il y a bien de la difference entre l’education d’un prince royal de Pologne et electeur de Saxe et celle d’un prince cadet d’Allemagne d’une branche cadette. L’un doit faire sa fortune par l’epée et l’autre est né pour regner un jour et pour donner du poid aux affaires de l’Europe, par consequent, il fauroit employer à l’education de celui la les plus habiles gens que l’on sauroit trouver pour cultiver le bon talent de ce jeune prince et pour lui apprendre de bonne heure, en quoi consistent ses veritables interets et lui faire connoitre ses forces, que les gens de son païs ne connoissent pas eux mêmes pour la plus part, ou s’ils les connoissent, ils les deguisent a leur souverain avec grand soin. C’est pourquoi il est faux que les gens du païs sont plus propres à cet emploi que les autres. Nous n’avons qu’a prendre garde à ce qui arrive présentement entre le Roi et ses Etats, qui par une jalousie mal fondée et que leurs propres ministres leur inspirent s’oposent a tout ce que le [fol. 37r] Roi veut, meme a ses intentions les plus salutaires, comme celle de vouloir introduire l’accisé, l’unique moyen pour soulager les pauvres, qui ne peuvent plus supporter cette maniére de contibution, qui a eté en usage jusqu'a present et qu’on ne veut conserver que parce que les riches gentils hommes contibuent peu ou rien, et que tout le fardeau tombe sur les pauvres et sur le menu peuple. Comme celui dont nous parlons est un des premiérs de la noblesse, et des députés meme des Etats, il ne faut pas douter qu’il n’inspire de faux sentiments sur ce chapitre au Prince, qui se conforme avec l’interet, et les maximes des messieurs de ce corps, pour empecher, qu’il ne se debarasse jamais des chaines de ses ministres et de sa noblesse, dont ils ont lié le Roi, son pére et ses ancetres, ce qui est encore fort condamnable en lui, c’est qu’il permet qu’on parle du Roi et de ses actions si librement et avec si peu de respect, en presense de ce jeune prince et qu’on ne lui allegue, que les accidents sinistres qui arrivent au Roi, sans qu’on [fol. 37v] lui parle en meme tems de sa fortune et sans considérer que ceux qui ont causé tant de malheurs, sont souvent les premiers a s’en discupler. Pour les beaux contes de ce jeune prince, on ne les fait consister, qu’en des invectives sanglantes, contre les Polonois qui blessent la bien-séance et font voir, qu’on ne lui apprend qu’a désaprouver, tout ce que le Roi fait. Il faudroit au contraire, pour bien elever ce jeune prince, qu’il fut dans une parfaite soumission pour le Roi son pére, dont il sera successeur, un jour, de sa gloire aussi bien que de ses Etats. Voyons le Dauphin, qui a l’age qu’il est, est entiérement soumis a la volonté du Roi son pére, plus qu’un simple sujet ne sauroit etre. L’ambition et l’honneur doivent etre les passions dominantes, qu’on doit inspirer a un jeune prince. Sur tout doit-il se piquer de gouverner ses sujets avec crainte et amour, et s’attirer l’estime de ses voisins et de toute l’Europe, s’il etoit possible, par la valeur de ses armés. Pour cet effet l’on n’à [fol. 38r] qu’a lui proposer pour modèle les actions heroïques arrivées dans sa maison, celle du Roi, son père, ses campagnes de Hongrie, son passage sur le Duina, la prise de Dunamunde, lui faire passer le mauvais succés, qu’il a jusque ici dans le cours de ses affaires, pour des accidents, qui arrivent ordinairement aux princes qui entreprennent de grandes choses, qui rendent l’execution de leurs desseins penible, mais qui leur font double plaisir et les comblent de gloire après les avoir surmontés. On peut ajouter a cela, que le Roi agit tout seul sans etre secondé de personne, autrement, il seroit peut-etre plus heureux. Les etudes du jeune prince royal devroient consister dans l’histoire, la geographie et la politique, mais il faudroit qu’il entendit tout cela en prince seulement pour en faire son usage un jour, et non pas pour raisonner la dessû, en pedant qui se pique de savoir la moindre particularité d’une chose. L’etymologie des mots et des pointilles qui en raisonne mal a propos et a contre tems et qui pretend faire briller son esprit, [fol. 38v] en faisant toujours tomber la conversation sur des choses ennuieuses et inconnues aux autres, afin que personne n’y puisse repondre et qu’il ait le plaisir de parler tout seul. Ce n’est pas de cette maniére, que le prince royal doit savoir les choses, mais seulement pour avoir une connoissance universelle de tout et en pouvoir faire son usage par l’application des exemples et des evenements qu’on lit dans l’histoire a l’Etat de ses propres affaires. L’histoire moderne depuis un ou deux siecles est la meilleure. C’est de la sorte que le Roi de Suede a profité de l’exemple de son grand père, Charles Gustave, qui fut obligé de quitter la Pologne faute de ne pas etre fortifié en Prusse. Le Roi de France, qui fut obligé d’abandonner la conquête de la Hollande dans la guérre de 1672 pour n’avoir pas rasé les places fortes qui etoient inutiles, et qu’on ne pouvoit pas garder, faute de monde pour les garder, en a usé bien autrement dans la guerre passée, ayant fait ruiner et démolir toutes les places occupées dans le Palatinat et dans l’Empire a la reserve de Bonn et de Ma[fol. 39r]yence. Une legére teinture de la physique, ne lui feroit pas du mal non plus, cela lui embelliroit l’esprit et le rendroit curieux. L’arithmetique et les mathematiques sont des etudes pour lui, dont il ne sauroit se passer pour former le jugement et le rendre solide. Qu’il entende la geométrie, la fortification et un peu d’architecture, mais il ne faut point non plus qu’il les entende a fond, et en ingenieur, mais en grand prince, dont un simple papiér crayonné de sa main vaut mieux que la ligne la plus delicatement tracée par mons ieur de Vauban. Enfin, il ne doit pas se piquer de posseder aucune sçience en perfection, que l’art de regner est la profession a la quelle Dieu l’a destiné, et sa naissance, qui le met au dessú des autres hommes, celle la consiste dans une application serieuse au gouvernement des affaires, a bien connoitre ses forces, et a sçavoir a combien montent ses revenûs, a en faire un bon usage, pour son honneur et pour la defense de ses Etats ; a recompenser le bien et a punir le mal, ce qui n’est pas si difficile comme on croit. Le proverbe [fol. 39v] etant certain : Tel maitre, tel valet. Il doit faire fleurir les autres sciences, pour son estime, et par sa distinction qu’il a fait de ceux, qui s’y rendent habiles et tachent d’etre employés dans son service. L’exemple du Roi de France nous sert encore dans cette occasion, qui tout ignorant qu’il est pour les etudes, entend pourtant parfaitement bien cet art de regner dont nous venons de parler, et toutes les sciences sont dans leur lustre sous son regne. Il en est de meme des exercices du corps pour un grand prince, il est bon qu’il les sache pour dresser le corps, et pour lui servir amusemens. Mais qu’il se garde de se piquer d’y exceller, il faut au contraire qu’il les regarde, comme au dessous de sa dignité. A quoi bon qu’un grand prince soit Maitre de dance, ecuyer ou qu’il fasse le baladin en tirant bien les armes. Il n’aura jamais occasion de monter cela. Ce sont des qualités trop superficielles pour distinguer un grand prince, qui n’eclate que par sa majesté. Elles conviennent plutot a un simple gentil homme, qui peut s’en servir, pour l’intoduire dans une cour auprès d’un prince, qui aime la galanterie. Car [fol. 40r] pour un grand prince, qui fait figure sur le theatre de l’Europe, comme font tous les rois et princes chretiens, on apelle cela faire le heros du roman, caractére qu’il doit eviter, avec d’autant plus de soin, s’il veut conserver son autorité et passer dans sa jeunesse pour un prince qui est né pour regner, et qui se fait rendre le respect dû a son rang. Cela s’apelle un prince jeune en age et meur pour l’esprit, sur lequel toute l’Europe doit avoir les yeux attachés pour voir ce qu’il deviendra un jour. La compagnie des dames seroit encore fort propre a inspirer de l’enjouement au jeune prince et a lui donner un air libre et assuré, qu’il ne se dérobe pas du grand nombre monde, ou que la foule des courtisans ne l’embarrasse et, pour que sa conversation soit libre et point etudiée, qu’il devienne civil et complaisant, sans que cela deroge pourtant à son caractére et a son respect, qu’il faut qu’il sçache conserver par un clin d’œil. Il est certain, qu’on n’apprend tout cela mieux, qu’en frequentant les dames, puisque ce sont elles, qui rendent un jeune homme poli, les grands aussi bien que les particuliers, et qui leur inspirent de [fol. 40v] l’ambition de l’honneur de la delicatesse et de la generosité et, en un mot, tous les beaux sentiments. Mais, il faut les sçavoir choisir par ce qu’on trouve qu’elles ne sont nulle part si rare qu’en Saxe, ou le Saxe passe pour etre coquet et malicieux, qui ne cherche qu’attraper des presens, et a plumer celui qui s’adresse a elles. Outre qu’il ne faudroit jamais que le commerce du prince avec les dames allat jusqu'a la débauche, mais seulement pour l’accoutumer ainsi doucement à leur conversation, afin de n’etre point surpris un jour, et que tout ne lui paroit nouveau, ce qui est encore un defaut considerable qui produit mille mechants effets car un homme prince qui n’a point frequenté le Saxe est capable de tomber en mille inconveniens, etant fort naturel qu’il devienne amoureux comme les autres hommes, et qu’il ne se laisse mener trop loin sur tout quand il n’y est pas bien acoutumé etant très certain, qu’un prince ne doit rien aprehender tant que l’emportement de ses passions. Au reste, il est maitre de tout, par son pouvoir et par ses ordres, excepté celle la. C’est pourquoi il faut qu’il [fol. 41r] tache de les retenir entre deux par la force de son esprit. L’amour est la passion la plus dominante de l’homme, qui se nourit pendant qu’il y a de l’esperance, et qu’elle est entretenuë de l’autre coté, par des services mutuels, et qui en s’evaporant caissent dans le cœur de si tristes restes. La rage et le chagrin le repentir et je ne sçai combien d’autres si bien, qu’il vaudroit mieux n’avoir jamais aimé, ou si un prince ne veut resister a ses passions lui meme et qu’il croye, que le moindre faux pas qu’il fait, passe pour un crime, aux yeux du public, c’est qu’on le louë de ce qu’il fait d’extraordinaire, et qui le distingue des autres princes moins puissants que lui. Il n’a qu’a songer qu’on parlera un jour de lui dans l’histoire qu’il se conduise bien ou mal, et qu’il n’est capable d’en corrompre la verité, a quel prix que ce soit. Ses actions et les suites qu’il entreprend parleront de lui. A l’egard de l’amour, je ne sçaurois lui donner de meilleurs exemples que celui de jupiter, celui ci tout Dieu qu’il etoit dans l’Antiquité [fol. 41v] aimoit comme un autre, mais il se deguisoit en cigne, et n’etoit pas satisfait a ses plaisirs avec la Leda, qui s’en croyoit deshonnoré, qu’il remonta au ciel, y reprit sa place parmi les Dieux et se contentat d’avoir comblé ses maitresses de benedictions. Il en est de meme d’un prince qui est a la place de Dieu dans le monde, il seroit a plaindre s’il ne sentoit pas une aussi belle passion que l’amour. Mais dès que les affaires de la Regence le rapellent, il doit tout quitter satisfait d’avoir laissé dans le cœur de sa maitresse, le souvenir de reconoissance et de respect, sans qu’il entre de la bassese dans le sien, en se laissant prendre par des appas trompeurs, et en negligeant son devoir. En un mot, il ne doit aimer que pour l’amour de lui meme et non pas pour celui des autres. Mais il ne faut point precher cette morale en Saxe ni confeser au public, ce que nous soutenons ouvertement, sçavoir que les femmes de Saxe ne font guére honneur a leur prince quand ils les prennent pour maitresses ayant les sentiments top bas, et l’esprit trop borné et trop interessé, en meme tems, elles n’inspirent que la debauche. Les faux raports, la trop grande [fol. 42r] familiarité avec des pages, chasseurs, ou mauvais plaisants, sont encore fort a eviter a un jeune prince de Saxe, avec d’autant plus de soins, que ces gens la, leur sont comme fatal ayant de tout temps un si grand ascendant sur les princes de cette maison, qu’ils ont gouverné leurs conseils depuis plusieurs années, et ont produit l’effet que ses voisins sont devenu grands et eux – pauvres. En un mot, l’on ne sauroit donner une plus belle education, au prince royal que celle qu’a celui de Prusse, qui a pour gouverneur le comte de Dohna, homme de grande qualité d’epeé et de cabinet, et outre tout cela, etranger. Mais enfin que le succés de son education repondit d’autant plus facilement aux souhaits du païs, il faudroit que son gouverneur dependit entierement du Roi, et ni de mére, ni de grand mére, autrement personne ne voudra s’en meler, ni ne pourra meme, car qui voudra se partager entre son devoir la volonté du Roi, de la Reine et de madame Royale qui change a tout moment [fol. 42v] et qui à presentement l’inspection toute seule, c’est ce qui rend le gouverneur d’a present fort timide et negligé aimant mieux laisser aller les choses comme elles vont, que de s’exposer a deplaire à madame Royale, a qui il a l’obligation d’etre ce qu’il est. Le conseil qu’on a donné au Roi d’elever son prince de cette maniére, vient encore du Grand Chancelier, qui a des vuës bien eloignées. Celui-ci en le lui donnant, avoit déja la conscience blessé de ses fausses demarches, et tachoit de se rendre madame Royal favorable, pour se mettre un jour a couvert par son intercession des persecutions du Roi, que ses actions meritoient, car madame Royale a intercedé pour lui a ce qu’on croit depuis qu’il est en arrét, pour persuader le Roi plus aisément a y consentir, il lui exageroit la peine de la depense que lui couteroit l’education du prince au lieu que s’il l’abandonnoit à madame Royale, comme elle souhaiteroit, il obligeroit non seulement madame Royale, mais auroit encore de l’argent de reste, en lui hypothéquant la comté de Mansfeld, par ou Beichel trouvoit en meme tems l’occasion de se degager de la cour de Brandebourg, qui demandoit la meme chose, en voulant acheter la dite comté. Mais pour en venir [fol. 43r] plutot a son bût, il fit venir monsieur Rumor à Thorn qui est le confident comme on sçait de madame Royale et le President de la Chambre, monsieur de Einsidel, qui vouloit aussi se soutenir par la. Ce conseil dis-je n’avoit pour bût que d’empecher le Roi de ne prendre lui-même le soin de son prince, et pour obliger madame Royale et les Etats, qui seroient bien aise de le voir elever dans des sentiments eloignés de ceux de pére, pour pouvoir causer un jour de la dissension entre le pére et le fils, et empecher le prémier de regner d’une maniére absoluë. Car quoique la mére du Roi soit pleine d’amour et de tendresse pour lui, l’on peut pourtant dire que c’est un amour incommode qui l’oblige a avoir beaucoup d’egard pour elle, et qui lui fait plus de mal que de bien comme cela arrive ordinairement quand les meres pretendent avoir part au gouvernement. Il seroit a souhaiter pour lui qu’elle eut plus d’estime que d’amour pour lui et qu’elle n’ecoutat, toutes sortes de gens sur ce qui regarde le Roi, qui lui font leur cour, en lui rapportant mille choses désavantageuses sur sa personne, et sur ses maniéres de gouverner, qui la rendent bizarre et entiére dans ses sentiments. C’est de ces gens la qu’elle soutient le parti auprès du Roi a quel[fol. 43v]que prix que ce soit. Les pretres s’y melent aussi et l’on ne sauroit disconvenir, que sa dévotion mal entenduë n’ait quelque fois excité de grands scandales. Enfin le tout se reduit a ces deux points. Le Roi doit avoir de la complaisance pour sa mére et ne lui laisser guére de grande autorité dans les affaires.

26. Le Prince de Courlande

Il y a peu de gens qui n’ayent entendu plus de mal que de bien de lui et qui ne soyent prevenû contre lui. Mais je ne sçai, si c’est un si grand malheur pour lui et, s’il ne lui est plus avantageux qu’on dise, que quand on le connoit bien, on lui trouve beaucoup plus de merite, qu’on ne lui en auroit crû auparavent, a cause des raisonnements, qu’on a entendu faire sur son chapitre. Il passe pour dangereux à la cour, et pour ne pouvoir point se comporter avec personne. Mais a examiner les choses de près, je trouve qu’on lui fait tort, et que cela ne vient, que par ce qu’il sent trop bien sa naissance et qu’il a trop de fermeté et d’esprit, pour se laisser prendre pour duppe, ou pour souffrir, qu’il soit opprimé. Il est bien fait et a beaucoup de pénétration, [fol. 44r] et ne manque guére de dissimulation. Ses amours ont eté autrefois royales. Le Roi l’a veu dans l’action au passage de Duna, et il l’a aussi bien servi dans la guerre com me aussi avec la bourse. Cependant, il ne manque pas d’accusations, qui ne lui viennent que de ce qu’on lui porte envie a son mérite. Car le Grand Chancelier le haïssoit a cause qu’il etoit ennemi de tous les braves gens qui ne lui contribuoient pas de l’argent. Il etoit encore haï de monsieur B…. et P… et Rebel par ce qu’il ne vouloit pas donner dans leurs sentiments, qui etoient de trainer la guerre en longueur et de faire leurs bourses, comme ils font a tous ceux qui ne font pas du complot avec eux, touchant leur conquéte pretenduë de la Livonie. Le Feld-Marechal ne l’aime pas non plus, ayant refusé de se soumettre ses ordres. Il n’etoit pas d’avis de prendre des quartiers d’hiver en Courlande après la campagne de Knockenhausen, et P… etoit obligé a la fin d’y donner les mains. La veritable intention de ceux qui donnoient ce conseil, etoit de piller la Courlande et la Livonie tout ensemble, il eut le commandement ensuite de l’armée en absence du Feld-Maréchal, comme genéral d’Artillerie, et tenoit une exacte discipline sans egard pour personne. Ce qui choquoit la hauteur de monsieur de B qu’il a voulû saccager, sur l’avis de monsieur le Général Rébel. C’est pour quoi celui ci aidé par monsieur B… lui rendirent [fol. 44v] de mauvais services, quand le Roi etoit a Birse. Le dernier surtout lui voulût du mal, à cause qu’il désaprouvait ouvertement la trop grande confiance, qu’on prenoit au Czar. Il a preté de l’argent sur l’oeconomie de Marienbourg et sur la Douane de Dantzig. Ce que le Grand Chancélier voulut garder pour soi, avec ses depends. Messieurs de Plötz et de Wackerbarth le firent devenir leur ennemi. Voila le fort de tous ceux qui rendent des services au Roi, que d’etre persecuté a outrance, et si mal recommandé auprès de sa personne, qu’il est obligé a prendre du dégout pour eux d’une maniére ou d’autre. Les artifices et les ruses vont si loin à la cour, qu’on peut envénimer la meilleure intention du monde, et inspirer de la defiance au maitre pour les demarches les plus innocentes. Il est ennemi juré du Roi de Prusse et ce n’est pas la raison pour quoi le Roi le doit moins estimer, puisqu’il seroit à souhaiter pour lui que tout son ministére l’eut eté il y a longtems. La maison de Brandebourg n’auroit pas profité des dépouilles de celle de Saxe, comme elle a fait depuis quelque tems, le Roi le devroit conserver par cette raison, pour l’opposer au Stadthalter, il pouroit s’en servir de deux maniéres en Saxe aussi bien qu’en Pologne, pour combiner l’interet des deux na[fol. 45r]tions, chose très necessaire et a la quelle on a travaillé jusqu’ici avec peu de succés. Cela donneroit de l’ombrage au Stadthalter, et l’animeroit à faire mieux son devoir qu’il ne fait, etant certain, que depuis qu’il a eloigné du conseil privé ceux qu’il vouloit, et depuis qu’il est devenu amoureux, il s’est plongé dans une si grande paresse qu’il ne travaille pour les interets du Roi qu’en paroles et qu’il ne fait rien, que ce que sa belle et ceux de sa famille veulent, avec les quels il est de complot, et qui composent a l’heure qu’il est le conseil du Roi, ce que nous prouverons d’abord. Le Chancelier est de la meme famille, B… en est parent, Born en est une creature, le Stadthalter l’esclave et Zech est obligé à approuver ses faiblesses.

27. Le Général Major Venediger

Il n’a pas trop grand air et ses maniéres sont un peu guindées, au reste, il est posé et circonspect, ne hazardant rien mal a propos. Quand on le connoit bien, on trouve qu’il a l’esprit solide, penetrant et vif. Il a plus de genie que de culture. Sa conversation est agreable, roulant sur toutes sortes de maniéres. La campagne qu’il a fait a pre[fol. 45v]sent avec le Roi, lui fat beaucoup d’honneur et lui montre comme on peut resister avec des troupes, n’ayant qu’un poignée de monde. Si l’on s’y etoit pris de cette maniére, il y a deux ans, le Roi n’auroit pas perdû son armée, et la paix se seroit faite il y a longtems. Il est pauvre de lui meme et chargé d’une famille nombreuse, le Roi fera bien de le pourvoir un jour d’une bonne pension, ou d’un gouvernement profitable dont il est trés capable. Il a aussi l’esprit pour les affaires et le Roi auroit pû l’employer utilement dans celles de Pologne, si les ministres l’avoient voulû permettre, il y a longtems, qu’il a predit tout ce qui arriveroit avec la Sapieha, laquelle intrigue à eté traitée avec trop de négligence et d’inegalité, le traitant quelque fois trop rigoureusement selon le conseil de Beichel et quelque fois trop doucement, en suivant les principes du Grand Tresorier et de B… qui meme leur à fait apporter de la poudre et les munitions, quand on etoit allé à Leopoldt B… s’excusoit que le Roi l’avoit sçû et que tout s’etoit fait avec son consentement. Mais il faut savoir comment cela lui a eté representé.

28. Canitz

[fol. 46r] Il passe pour un officier qui se distingue que le plus a l’armée et sa grosseur ne l’empeche pas d’etre fort agissant. Il ne prend plus de peine que ne prennent ordinairement les autres officiers de l’armée, qui ne songent qu’au repos et a ramasser de l’argent. La raison en est qu’il s’est acoutumé aux fatigues dès sa jeunesse et qu’il a du bien lui meme, etant sûr qu’un homme, qui n’a pas eté elevé dans la molesse, et qui d’ailleurs a de quoi vivre, comme lui a les sentiments plus justes et plus nobles qu’un autre qui n’a rien. Le Roi a ce malheur a l’armée aussi bien qu’a la cour, que les principeaux n’ont pas eu un sol, quand ils sont entré en service, et cependant ils ont amassé de grands biens a tort et a travert en peu de tems. Comme il est saxon et faux naturellement, le Roi ne lui doit pas temoigner une si grande confiance et craindre, qu’il ne lui fasse un jour, etant las du service, comme ses compatriotes, qui ne s’appliquent qu’a leurs interets et a chicaner le maitre. Il s’est acquis de la reputation dans la defense de la Dunamunde et de Thorn, quoi qu’il ait eté de tous les deux, plustot par la famine et par les maladies, que par la force des armes.

29. Wackerbarht

Tout le monde est surpris de son bonheur, com[fol. 46v]ment un petit genie, comme le sien a pû aller si loin, jusqu'a etre employé comme general à l’armée, et comme envoyé a la plus grande cour de l’Europe, y traitant les affaires de la plus grande importance. Il n’a ni etudes ni assés d’esprit naturellement, pour pouvoir se maintenir dans ces deux postes avec honneur. Ce n’est qu’un damoiseau plein de bonne opinion de soi même, d’une douceur fade et languissante, avec un peu de reserve et de dissimulation, quand il parle, il est une heure à prononcer les mots et a l’ecouter souvent ne sçachant pas a fond la matiére dont il s’agit, il se confond et demeure tout court. Il se pique de bien danser, mais c’est sans aucun agrement, et avec beaucoup de contrainte. Il n’a qu’un merite emprunté et ce qu’il sçait, il ne le sçait que superficiellement. Si le Roi se laissoit donner les plans et les desseins, qu’il lui presente quelque fois par Karger et par Vehling, peintres de la cour. Sa Majesté les auroit de la premiére main. La raison pour quoi il est choisi a etre envoyé a la cour imperiale, c’est que les ministres que le Roi avoit nommé. L’Eveque de Raab, Beichel et Flemming etoient bien aise d’avoir quelcun a la cour de Vienne qui ne penetrat pas l’ignorance des uns et la malice des autres, plus que lui, qui leur eut de l’obligation d’occuper un poste [fol. 47r] aussi honorable, et au dessû de ses forces, comme celui la. La cour imperiale qui gouvernoit alors, a celle de Pologne plus absolument qu’a la sienne meme le souhaitoit aussi, pour avoir un envoyé de cette cour, dont elle pouroit faire, ce qu’elle voudroit. Sa connoissance dans la maison de Harrascti est vieille, C… et B… y contribuent plus que toutes les autres considerations, et il s’imaginoit, comme il etoit insinuant qu’il pouroit par ce moyen tirer le secret de toutes les dames, de ce qui se passoit à la cour. Mais outre que sa conversation n’est guére spirituelle, ni assés agreable aux dames, leur faisant plutôt pitié, ce qu’elles n’aiment pas, que leurs inspirer de l’estime pour lui, il n’y a pas a douter, que quand meme il apprendroit tous les secrets de la cour de Vienne, il na sçauroit pas quel usage en faire. Il importe fort peu Roi, de sçavoir exactement toutes les petites coqueteries qui s’y passent et il n’est pas necessaire non plus qu’il se serve de leurs intrigues. Comme un ambasadeur de France, son ennemi juré et qui cherche son entiére ruine. Mais, comme electeur de Saxe et le Roi de Pologne, il doit se contenter de tenir une juste balence entre la maison d’Autriche et ses ennemis, en lui vendant ses services aussi cher qu’il poura, et l’empechant d’empieter sur ses prérogatives et droits qu’il a comme electeur de Saxe. Il vaudroit mieux qu’il y eut un homme d’etude [fol. 47v] distingué par son service qui entende bien les interets de son maitre, le droit public et les maximes de la cour de Vienne et qui fut en crédit auprès des ministres, pour pouvoir apprendre, ou ils en veulent pas eux memes, et non pas des femmes, qui pour la plus part flattent et donnent de fausses idées d’une chose selon leurs passions. L’on voit cela aux relations de Wackerbahrt qu’il envoit a la cour, ou il n’y a ni solidité ni verité la plus part du tems. Encore n’est ce pas lui qui les compose, mais le jeune Schierendorff, grand visionnaire en matiere de politique, et grand hableur qui n’entend nullement quel raport à l’interet du Roi de Pologne avec celui de l’empereur, et qui n’ose rien faire contre cette cour de peur de perdre sa protection. La capitulation désavantageuse de nos troupes, quand elles marcherent sur le Rhin, les pertes considerables que le Roi a faite dans le Traité du commerce de sel avec les imperiaux qui montoit à plus de 5 ou 600000 ecus sont les fruits de sa negociation, sans conter une infinité de depenses inutiles et considerables, dans les quelles il a plongé le Roi mal a propos pour en profiter. Il est aussi grand usurier, ayant eu de grandes colassion avec les juifs. C’est ce qui etoit, que le Grand Chancelier qui etoit jaloux de ses beaux talents, n’etoit guére content de lui, et se fachoit de ce qu’il tiroit le profit [fol. 48r] tout seul pour soi. Pour son experience dans l’artillerie, le Roi a veu sa manœuvre a la journée de Binschow, il en jugea lui meme.

30. Lagnasco

Il est bon gentil-homme, mais pauvre. Ce n’est pas un grand guerrier, mais un homme de l’entretien du quel on peut s’accomoder et qui n’est pas trop dangereux. Il ne manque pas d’esprit pour cela, et a veu beaucoup de monde, il est asses fin à l’ordinaire des gens de son païs. Le Roi lui fait l’honneur de se confier a lui en plusieurs choses, aussi, lui est-il fidele d’autant plus que les autres lui portent envie sur ce qu’il est entré auprès du Roi, et qu’ils ne sauroient le debaucher, ni par parentage, ni par compagnie ni par interet. Au contraire, il voit que ce ne sont que les bonnes graces du Roi, par lesquelles il subsite, et que le païs ou il est, n’est pas fait pour les etrangers, de quelque maniére qu’ils s’y prennent. Cela devroit apprendre au Roi, qu’il sera toujours mieux servi par ceux ci que par les gens de son païs qui, depuis quelque tems, se fient sur leurs parentages, et a la bonté naturelle que le Roi a pour tous ses sujets, se croyent tout permis et se negligent entierement dans son service, ne s’attachant qu’a ce qui leur aporte du profit, en sacrifiant l’honneur et la consicience, tout en meme tems.

[fol. 48v] 31. Kospoht

Si celui ci n’est pas a cosiderer, touchant la part qu’il prend aux affaires, il l’est au moins pour ce qui regarde la fidelité et l’attachement qu’il a pour le Roi, son maitre par un veritable principe d’honneur toutes ses actions n’aboutissent qu’a cela. Il fait une belle depense, mais d’une maniere noble, sans etre a charge a personne, ou sans la soutenir par des voyes defenduës, et au dessous d’un honnete homme, comme c’est presque la mode a cette cour. Peu de gens l’aiment pour cela, a cause de sa droiture, craignant, qu’il ne dise quelquefois les fausses demarches qu’ils font, c’est ce qu’on apelle etre imprudent a cette cour. Mais ceux qui le connoissent auront toujours de l’estime pour lui. Il a rendu un service important au Roi, par le saisissement du prince Jaques, qui tramoit alors des affaires pernicieuses au Roi. Le Roi doit avoir egard a ceux qui ont assisté a cet enlévement et conserver pendant quelques tems la garde des chevaliers, qui s’est employée a cela d’autant plus qu’elle lui fait honneur et que monsieur de B… pretend, qu’elle fut causée sous pretexte de menager l’argent qu’elle coute, mais dans le fond par ce qu’il en tire aucun profit et qu’il n’aime guére des troupes qui dependent absolument du Roi.

[fol. 49r] 32. Kiesewetter

Ce n’est pas pour le rang distingué qu’il a à la cour, que nous parlons de lui, n’etant que colonnel, mais a cause de l’inspection qu’il a du commisariat de guerre. Il est de l’ecole de feu monsieur de Birckholtz, qui remarquant en lui une genie assès habile et souple, pour recevoir des instructions, et lui de son coté s’aquitant de ses commissions avec beaucoup d’aplication, il l’employa a examiner les listes et les comptes des officiers, pour retrancher ce qu’il croyoit etre de trop, et dont il vouloit profiter lui meme. Il devint par la si habile qu’il jugea a propos de le recommander au commisariat a monsieur B… qui s’entendoit alors avec lui comme Chatetlardon. Mais comme B… et le Grand Chancelier se brouillerent ensemble, le dernier ayant le maniement du commisariat notre Kiesewetter s’adressoit a lui par ordre de monsieur de Brickholtz, pour etablir la bonne amitié qui regnoit après entr’eux, et qui outre qu’elle etoit fort nuisible aux interets du Roi comme je prouverai dans la suite, n’avoit pour but que d’empecher que Beichel et le Feld-Marechal qui ne faisoit que d’arriver sur la recommandation du meme, ne devinsent trop bons amis et pour abattre [fol. 49v] l’autorité du Stadthalter. Cet amitié detournoit alors le Grand Chancelier des interets du Roi et causoit a rechercher toutes les malversations qu’on avoit commises en Saxe depuis assés long temps dans les finances du Roi et obligea Beichel de disposer le Roi de donner une declaration aussi prejudicable a ses interets, et tout a fait contraire aux Etats pendant que lui et monsieur Birckholtz faisoient leurs affaires et tiroient de l’argent de ceux qui devoient rendre compte. C’etoit encore à l’occasion de cette amitié, que monsieur Birckholtz recommandoit le docteur Ritter, pour lui servir d’assistant dans les affaires. Celui ci n’avoit point d’autre merite que d’avoir fait gagner à monsieur Birckholtz et à quelques autres des procès, par ses intrigues et procuré par de l’argent une abolition à monsieur Haubitz et a quelques autres, et soutenu d’ailleurs par le parentage de sa femme, il fut choisi par monsieur de Brickholtz pour tacher de corrompre la fidelité du Grand Chancelier par ses conseils, et le rendre avide comme lui, connoissant bien son naturel facile et paresseux et l’ignorance, qu’il avoit des affaires du païs [fol. 50r] qui lui faisoient faire de faux pas, toutes les fois qu’il n’etoit bien conduit, aussi ne fut-il point trompé dans ses sentiments et, depuis ce tems la, tout le monde a pû gagner le Grand Chancelier par de l’argent, voulant obtenir quelque chose, et ne faisant rien pour personne sans cela son premier apprentissage et par lequel, il s’insinuoit extremement auprès de lui, est l’heritage de madame Starcke, qui en qualité d’heritiére de son mari, etoit obligée a justifier ses comptes. Cependant, dès qu’elle fut morte, elle eut son pardon, moyennant un testament suborné par lui, par le quel elle declaroit le Grand Chancelier heritier de son bien. Voici comme on a servi le Roi jusqu’ici, et trompé plusieurs fois, et comme on est accoutumé a debaucher ses ministres. Pour revenir a Kiesewetter, il s’aplique beaucoup a ce qu’il à faire et connoit toutes les intigues de la cour dans lesquelles il entre assés delicatement, mais pas plus avant que son interet ne demande. Il aspire lui meme a devenir chef un jour du commissariat en remarquant tous les defauts de ses predessesseurs et superieurs. Le jouy de la domination de monsieur de Beichel lui est insuporta[fol. 50v]ble aussi bien qu’a tout le monde. Il craint pourtant de se declarer ouvertement contre lui a cause de son pouvoir et de l’inconstance de la cour. Il sçait tous les tours de passe passe qu’il fait, mais ne les decouvre pas, peut etre pour s’en servir un jour lui meme. Dès que monsieur B…. retournoit dans le commissariat, son credit cessoit et il fit une banqueroute volontaire voyant bien que monsieur B… le vouloit avoir tout seul, le Roi en poura tirer de bons services. Mais, il faut sçavoir s’en servir, c'est à dire, que le Roi l’ecoute et ne laisse dependre de personne que de soi meme, autrement il sera rebuté et timide et prendra d’abord le parti de celui, qui aura plus d’accès que lui, sans considerer, si l’interet du Roi en souffre ou non. Il ne faut pas non plus qu’il soit avancé trop vite, ce qui pouroit le rendre trop orgueilleux defaut assès ordinaire des esprits timides, qui se sentent du merite plus que les autres. Aussi est-ce presque le defaut genéral de la cour de pologne d’avancer les gens trop vite, et au de la de ce qu’ils meritent. Au reste, il seroit capable de gouverner le commissariat tout seul, s’il avoit asses d’autorité et si le Roi le vouloit croire, il le lui confieroit tout seul sans le commandement [fol. 51r] du Feld-Marechal ou a quelqu’autre officier de marque, qu’il en jugueroit capable, comme au Genéral Major de Goltze, qui est dans le Brandebourg, a Forstener qui est au service de l’empereur, et qui a de l’obligation au Roi de l’avoir delivré un jour de Vienne d’un arret fort etroit, ou a quelqu’autre, seulement pour montrer a monsieur de B…. qu’il n’y a rien de plus facile que de pouvoir se passer de lui, etant d’ailleurs certain, qu’il vaut toujours mieux que cette charge soit administrée par un officier que par un homme de robe, qui n’entend pas le manége des soldats, ni ce qu’il faut pour leur soutient. A la cour imperiale, c’est toujours un general de distinetion, qui occupe ce poste a present, c’est le Prince Eugené meme.

33. Vesnich Secretaire du Roi

Son emploi est trop important pour pouvoir se passer d’en parler. Il est en vertu de celui la le depositaire de secret du Roi, celui qui leur raporte tous les secrets et qui a part de tout ce qui se traite avec les ministres etrangers. Par consequent, cet emploi pour etre revetu dignement demand[fol. 51v]de un homme d’une grande capacité et une fidelité a toute epreuve, qui entende les affaires et qui sache la maniere d’ecrire aux grands princes, et de coucher par ecrit sur les champs des traités d’alliance ou autre chose. Il est sur tout necessaire qu’il garde le secret sur ce qui lui a eté confie. Il s’en manque bien que celui dont nous parlons, ait ces qualités, qu’au contraire, il est fort novice dans les affaires, particuliérement, pour ce qui regardes celles de Saxe, et son style marque bien, qu’il n’est pas fermé dans sa profession. C’est de la, que les ordres du Roi ont si peu d’effet, puisque le secretaire qui les compose, n’en exprime pas la teneur assés clairement ni en des termes, qui marquent, que c’est la volonté absolüe du Roi, qu’une chose se fasse ou non, ce qui fait diminuer le respect qui lui est dû, surtout en Saxe, ou un simple avocat ose les critiquer et les affoiblir impunement par sa chicane. Il est paresseux aimant ses aises, s’attachant peu au Roi, tenant toujours le parti de celui qui est en credit. C’est le prince de Fürstenberg, qui la recommandé, en suite, il tenoit le parti du Grand Chancelier et a l’heure qu’il est, il s’est entierement donné [fol. 52r] au Grand Marechal. C’est une misére pour ceux qui ont a expedier en cette cour, ni le secretaire, ni le ministre entendent quelque chose, quand meme, il s’agissoit des interets du Roi, on est obligé soi meme de projecter, en quels termes, les ordres doivent etre conçus. Il rapporte tout ce qui se passe a l’envoyer de l’empereur. Au reste, c’est un grand defaut encore a la cour de Pologne qui n’y a pas un secretaire qui vaille quelque chose, dont la crasse ignorance, qui regne parmi les ministres, est la principale raison. Le tout vient de Beichel, qui ne s’entend quere en gens et se contentoit pourvû qu’ils le flatassent. Braune qui a le departement de la guerre, est le seul qui soit a louer, mais il faut prendre garde, qu’il ne devienne enflé de son merite. Beyer qui est en Saxe, est excellent, mais il est infecté du venin du vieux ministére, et ne se departira jamais de ses interets. Le Roi a pris maintenant un secretaire du cabinet, chose la mieux faite du monde. Le Roi doit faire tout ce qu’il pourra pour le conserver et pour le soutenir, s’il lui est fidéle. Car c’est la le seul moyen pour retablir son autorité, et pour empecher, qu’on ne lise pas, pour ainsi dire tout ce qui se passe au fond de son cœur, et qu’on ne penetre jusqu'à ses [fol. 52v] pensées, comme on est accoutumé de faire. C’est la raison pourquoi tout le monde s’oppose à cela, parce qu’ils craignent de n’etre pas assés tot averti des ordres du Roi, pour pouvoir prendre leurs mesures la dessus, ou pour les prevenir meme. Pour convaincre S. M. ce quj’avance, je m’en vais refuter toutes les objections qu’on y poura faire. La plus forte semble etre celle ci, qu’il soit bien dangereux, que les ordres et la volonté du Roi depandent d’un seul homme, le quelle il peut tourner comme il veut, selon le rapport qu’il en fait. Mais il faut savoir qu’il est attaché au Roi par un sement beaucoup plus fort, que tous ses ministres, par les articles que contient son instruction secrete, et tant qu’on ne peut pas le convaincre d’avoir manqué de fidelité, il faut plutot avoir meilleure opinion lui, autrement les conseillers privés, qui lui sont contraires, affoibliront eux memes leur credit, n’etant pas attachés aux interets du Roi par une autre raison, plus forte que par le serment qu’ils ont pretté. En second lieu, ce n’est pas lui qui donne conseil au Roi, mais il expedie seulement ses ordres, que les conseillers donnent donc leurs avis la dessû, quand cela ne regarde [fol. 53r] pas des affaires qui ne souffrent point de delais, si le Roy les trouvera meilleurs, il n’y a pas de doute, qu’il ne les suive pas. Mais ils pretendent seulement que les choses se fassent selon leurs caprices afin de pouvoir detenir le Roi comme sous la tutéle, s’entendant avec le secretaire, qui est obligé de faire ses rapports sur le plan qui lui a eté communiqué, et a qui les termes, dans lesquels l’ordre du Roi doit etre conçu, sont prescrits pour pouvoir s’excuser et n’en executer que celui qui bon leur semble. Rien n’empeche que le Grand Marechal ne contresigne les memes ordres, qui fortent du cabinet du Roi immediatement. Mais il ne veut pas le faire, etant de concert avec les autres conseillers privés, pour contraindre le Roi de faire absolument ce qu’ils pretendent, mechant principe ! c’est un panneau dans le quel le Roi doit bien se garder de donner, a moins de vouloir perdre son autorité. Au contraire, il doit demeurer ferme dans ses sentiments sur ce chapitre, comme sur plusieurs autres, et croire qu’on ne tache a lui rendre ses desseins difficile et desagreable, que pour le degouter et pour s’emparer entiérement de lui. Pour faire voir encore plus clairement [fol. 53v] la fausseté de cette raison, qui passe pourtant pour très importante en Saxe auprès de ceux qui ont l’esprit borné, nous l’eclaricirons par un autre exemple qui se pratique dans le païs, et qui ressemble a celui la, n’etant qu’une tromperie manifeste, sans qu’on la veuille changer pourtant sçavoir l’autorité du Steuer-Buchhalter. Celui ci peut prendre sur son credit autant d’argent qu’il veut sans que personne l’en puisse empecher et les assignations qu’il donne ne sont signées que de sa main, quoi qu’il puisse engager tout le païs, sans que le Roi, ni ses ministres, ni les députés de la Steuer meme puissent l’empecher. Pour cela passe, mais si le Roi veut avoir pour son secretaire un homme affidé, qui depende de lui seul, comme de droit, cela est injuste et de grande consequence, quoique celui ci ne fasse autre chose, qu’expedier ses ordres et les envoyer aux conseillers privés, pour les executer ou dire leur sentiment la dessû. Cela doit faire voir au Roi l’intention qu’ils ont de vouloir faire les maitres. Une autre objection moins solide est celle la, qu’il est à craindre, que celui que le Roi a choisi pour cet emploi ne soit assés suffisant pour cela. Les affaires font les gens et pourveu qu’il soit fidèle au Roi, il a une qualité qui paye toutes les autres et qui est très rare [fol. 54r] a la cour, tout le monde y etant mercenaire, et dependant d’un autre que de lui meme. Voyons ce qui arrive a celui ci, le Roi voit qu’il essuye de grandes persecutions, les uns le voulant detourner par force comme le Grand Marechal et B… qui le menace hautement a cause de son emploi, qu’il faudra qu’il soit mené au Königstein si le Roi vient a mourir, pendant que Vitzdorn et les autres tachent de le pouvoir gagner par des caresses. Il me semble d’avoir fait assés des portraits pour l’usage du Roi et pour lui faire voir le vraisemblance de sa cour. Il me flatte de les avoir représenté au vif et j’en laisse le jugement a ceux qui les connoissent, content si l’on me rend la justice d’avoir empolyé plus de verité que de coloris. Mais ce n’est pas le tout. Je devrois avoir mis le portrait du Roi à la téte de cet ouvrage. C’est que je n’ai pas voulû faire, de peur de faire tort a la renommée de ce grand prince, en ce que le public pourroit peut etre croire qu’en lisant son portrait, et celui de ses intimes ministres et trouvant celui du maitre si different des leurs, qu’on ne m’acusat d’avoir outré les choses et d’avoir peché contre la verité, en representant le Roi com me un prince [fol. 54v] dont les rares qualités et les lumiéres extraordinaires de son esprit tirent en admiration tous ceux qui l’approchent et qui ne peuvent concevoir, comment un prince plus grand que Jules Cesar par son ambition, son air, son courage et ses entreprises et plus heureux qu’Alexandre le Grand, puisse souffrir d’etre si mal servi. Certe, si ce dernier n’eut eu de camarades plus dignes de sa gloire et qui l’avoient méme soutenû pendant le cours de ses victoires par leur courage, il n’auroit pas poussé ses conquêtes jusqu’au déla du gange. Mais lui d’un naturel moins vertueux que le Roi, a qui tout est egal, et qui ne porte envie à personne, sçachant bien que son merite surpasse celui de tout le monde, etant plus grand dans le malheur, que dans le bonheur, devint enflé de ses grandes actions, s’emportoit, et jaloux de la gloire d’un autre voulut s’aproprier l’evenement de toutes les grandes actions tout seul, haïssant ceux qui y avoient peut etre plus de part, et faisant assassiner ses plus [fol. 55r] intimes amis, et temoins de ses victoires, dès qu’il n’avoit plus besoin d’eux. L’on ne sçauroit dire la meme chose du Roi, qui est l’auteur de tout ce qui se fait de bon a sa cour, dont le conseil est toujours le meilleur, le resolution la mieux prise, et l’execution de ses desseins fondés sur des raisons solides et indubitables, qui n’attend pas, que les autres lui fournissent des moyens pour effectuer une chose, mais en invente lui meme, propres pour venir a bout d’un dessein et les facilite par la penétration de son esprit. Enfin qui est entouré d’une foule de gens insipides, faes, interessés, maliceux et laches, qu’il souffre dans son service, les connoissant pourtant bien et qui seul portent obstacle a sa grandeur, et quoi qu’il ne soyent capable à tenir sa gloire, ils l’obscurcissent pourtant, si je l’ose dire, par leurs faussetés et mauvaise conduite, en empechant qu’elle ne paroisse avec tout son lustre, et que le Roi ne recueille les fruits qu’il devroit. Il faut admirer son indulgence qui va a l’excès, et qui fait voir, que tout grand heros qu’il est, il se pique aussi de vertus et de qualités qui conviennent [fol. 55v] mieux à un prince moins puissant que lui et qui ne sauroit pretendre le respect, qu’on rend au Roi et l’admiration, qu’on a pour lui, comme un tribut deu a sa vertu. Le Roi est inimitable en toute chose, et après avoir fait voir sa capacité, et qu’il subsiste tout seul, sans etre secondé de personne ni de conseil, ni de resolution, ni de fidelité, il doit tacher aussi, de se servir des moyens, qui pourroient servir de recompense à son merite extraordinaire pour se mettre en etat de pouvoir jouir un jour de repos, après avoir acquis de la guerre et rendu la paix à son royaume et a ses sujets, d’etre couronné de lauriers et de biens et de laisser a la fin à la posterité un heureux exemple et souvenir, quelle soit obligé un jour, non seulement à rendre justice a sa mémoire, en avouant, qu’il est grand par tout, et doué de mille belles qualités. Mais qu’il a sçû aussi, se prevaloir de son merite, en se faisant rendre le respect et l’obeïssance qui lui en etoit duë, afin que ses successeurs ayent de quoi souhaiter, de lui ressembler par son [fol. 56r]

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