Recueil des énigmes
[fol. 1r]1.
Des supports de Themis, instrumens necessaires.
Si l’on me fait servir à tromper quelques fois,
Sans moy, peut on regler seurement une affaire
Et sauver de l’oubly les actions des roys ?
Le style des anciens ne m’est comparable.
Je l’ay fait rejetter plus que par tout ailleurs.
Je suis chez le Batave excéllent, admirable,
Et ma vieillesse plait à tous les connoisseurs.
L’art exige toujours qu’on m’ouvre et qu’on me fonde.
Par là, sous mes deux becgs, se forment des beaux traits,
Lorsqu’on sçait me guider, autrement qu’on s’attende
À n’y voir que des corps durs, grossiers et malfaits.
2.
Je suis l’homme. Autrefois, j’ay fait le Philosophe.
La nature me teint en noir et puis en blanc,
Couleur au temps passé qui distinguoit le rang,
Mais j’ay perdu mon prix comme une vieille etoffe.
Je ne puis plus croitre à la Cour
Où l’on m’echarpe au second jour.
[fol. 1v]3.
Je suis la fille detestable
D’un Pere infortuné dont le plus grand malheur
Est de me concevoir avec tant de douleur
Que, dès qu’il m’a formé[e], il devient misérable.
Je reconnois si mal l’estre que je Luy dois
Que par mes cruelles atteintes.
Je l’oublige par jour à me nommer cent fois,
La cause de ses maux et de ses tristes plaintes.
En effet, je le fais cruellement souffrir,
Au point meme qu’en fin au peril d’en mourir.
On le voit se resoudre à me mettre en lumiere,
Et de sa fille ainsy, je deviens son boureau,
Car souvent, par l’effort d’une main meurtriere,
Quand il me met au jour, je le met[s] au tombeau.
4.
Du repos des humains, implacables ennemies,
J’ay rendu11 ms. rendus. mille amans envieux de mon sort.
Je me repais de sang et je trouve la vie
Dans le bras de celuy qui recherche ma mort.
[fol. 2r]5.
Je suis vielle et pleine d’appas.
Quoyque noire, je suis belle.
Tel me pouroit voir où son plaisir l’appelle ;
Pour cela, ne me connoit pas.
Je suis quinteuse et m’en fais un honneur.
On me voit dans la regle observer le silence.
Je l’impose aux humains et fais du bruit en France.
Je fais voir dans mes traits des signes de valeur.
Je suis peu sans amour, l’amour est peu sans moy,
Mais, pour le déclarer, il faut bien des mesures.
Mes soupirs sont discrets, mes paroles sont pures.
En fin, de point en point, je suis du gout du Roy.
6.
Je tiens du more et de l’hermine.
Je suis accompagné d’un grand nombre de foux.
Aux uns, je suis cruel ; aux autres, je suis doux.
Chacun me fait tomber afin que je chemine.
[Le bas de page coupé.]
[fol. 2v]7.
Tout le monde se sert de moy
Excepté les gens de Reforme.
On me lie, on me estraint pour me mettre en employ
Sans trop s’embrasser de ce dont on me forme.
Quelques fois, en effet, je suis de taffeta,
De laine quelques fois, quelque fois de filasse.
Jadis, on me portoit trop bas.
La mode, en plus haut lieu, regle aujourd’huy ma place.
Les belles avec art cherchent à me cacher.
L’amant qui, par faveur, parvint à me toucher,
S’il n’est heureux, deja se croit bien prest de l’estre.
Cependant, pour mieux me connoitre,
Remarquez l’eclat de mon sort.
Sachez qu’un roy qui porte une tryste couronne,
Me cherit à tel point, me distingue si fort
Que j’orne toujours sa personne.
[Le bas de page coupé.]
[fol. 3r]8.
J’ay, dans le cabinet des roys,
Part aux plus secrets affaires,
Et j’y couvre bien des misteres
Qui sont pour leurs sujets d’inviolables loix.
Mon corps n’est rien qu’un composé
D’une infinité de parties
Qui, quoyque sans rapport et toutes desunies,
Reçoivent de la main un mouvement aisé.
Je n’ay jamais rien leu, ny jamais escrit.
Ainsy, je n’ay ny science, ny lumière.
Cependant, le plus bel esprit
Me fait sur son travail repasser la derniere.
9.
Ma mer n’eut jamais d’eau, mes champ[s] sont infertiles.
Je n’ay point de maison, et j’ay des grandes villes.
Je reduis en un point mille ouvrages divers.
Je ne suis presque rien, et je suis l’Univers.
[fol. 3v]10.
La taille courte à large pance,
Tout pesant qu’est mon corps, il est des plus dispos,
Et j’observe en dançant une juste cadance.
Si l’eclat de mes airs chagrine un endormy,
Je fais souvent plaisir au studieux qui veille.
Le diligent est mon amy,
Et je suis incommode où regne la bouteille.
11.
Plus en me trouve rude,
Plus on me cherit en tous lieux.
Je plais en compagnie et dans la solitude,
Et je charme l’ennuy des jeunes et des vieux.
Je suis genereuse et si bone,
Mais, si je viens à m’adoucir,
On me meprise, on me rejette ;
Et c’est à quoy je suis sujette,
Lorsque j’ay fait trop de plaisir.
[fol. 4r]12.
Je plais, soit que je sois vertue,
Ou qu’on me voye toute nue.
Ma figure, sur pied, réveille les esprits.
Plus mon corps a de poid, plus j’augmente de prix.
Je suis d’une espece fragile.
Je vomis nuit et jour, et jamais medecin
N’a veu sortir de moy pituite ny bile,
Mais, si de tels efforts me font tomber debile,
Qui me releve avec du vin,
Ne me soulage point en vain.
13.
Je suis un composé de cent mille parties,
Fort bigearement assorties.
Je puis en avoir plus ou moins
Selon qu’il plait à ceux qui me donnent leurs soins.
Bien de gens ont en moy si grande confiance
Qu’ils fondent sur mon sort leur plus douce esperance.
Mais, si tost qu’aux heureux j’ay fait part de mon bien,
Mon nom subsiste seul et je ne suis plus rien.
[fol. 4v]14.
Je donne un vif éclat au beau tein[t]22 ms. teins. de Silvie.
Je suis le doux lien qui joint l’ame et le corps.
C’est moi qui rend[s] les hommes forts,
Et qui leur fais quiter en me perdant la vie.
Brun, gris, bleu, jaune et vert, thé, caffé, blanc et noir,
Tout change, dans mon creux, en couleur cardinale.
Quel prodige, rien ne m’egale.
Je dois, pour me garder, nuit et jour, m’emouvoir.
15.
Bien que j’aie un tres petit corps,
Je suis utile à tout le monde.
L’on m’emploie partout sur la terre et sur l’onde
Pour les vivans et souvent pour les morts.
Je suis toujours claire et brillante,
Et le beau sexe asseurement
Me doit son plus grand ornement.
Cependant, de mon sort, je ne suis pas contente,
Car, bien que je serve partout,
On ne m’estime gueres ou presque rien du tout.
[fol. 5r]16.
Sous un toit decouvert sans abry, ny closture,
Je suis le seul temoin d’un prodige nouveau.
L’astre qui l’annonça sur la terre et sur l’eau,
Plut à tout l’Univers, et surprit la Nature.
Depuis que le soleil luit pour la creature,
Jamais aucun objet n’avoit paru si beau.
L’on a cru qu’il seroit affranchy du tombeau,
Mais tout estre naissant creuse sa sepulture.
Les plus vils animaux eurent sur moy leurs droits,
Et depuis, à ma suite, on a veu plusieurs roys,
Vos desirs curieux sur ce recit, peut-estre.
S’intriguant pour sçavoir ce qui me rend sans prix,
Souvenez-vous, mortels, de qui vous tenez l’estre !
J’estois, quand il naquit, encore dans le mepris.
17.
Mon sort est singulier, je suis male et femelle,
Sans qu’Ermafrodite on m’appelle.
Dans ce terrible jour qui cause tant d’effroy,
Malheur à qui se sert de moy.
[fol. 5v]18.
D’un air assez poly, ma naissance est suivie.
Je brille de mille couleurs.
Je me joue33 ms. joüé. avec l’air au plus beau de ma vie,
Et, quand je ne suis plus, je vous laisse mes sœurs.
Pour avoir la beauté de la machine ronde,
Les Zefirs me font la cour,
Mais plus legere que l’amour,
Je disparois aux yeux du monde.
On se plait à regler mon sort
Avec un instrument rustique.
Il ne faut pas avoir une grande pratique
Pour sçavoir que ma vie est proche de ma mort.
Il faut bien peu d’intelligence
Pour donner la matiere et la forme à mon corps.
Je fais paroistre un beau dehors,
Mais je ne puis monstrer qu’un moment de constance.
[fol. 6r]19.
Je regne en grand nombre de lieux
Où mon regne est toujours paisible.
Jamais qui que ce soit ne m’a veu de ses yeux.
Aussy, suis-je tres invisible,
Si je regne, ou plustost, si je ne regne point.
Par l’un des autres sens, on peut bien le connoitre.
J’hais le monde jusqu’au point
Que l’on me trouvera bien plustost dans un cloitre.
Si, par l’antiquité, l’on doit estre estimé,
J’estois au monde avant que l’homme fust formé,
Et si, par une femme, il perdit l’innocence,
Ce sexe me trahit tres ordinairement,
Car souvent, sans se faire extreme violence,
Il semble qu’il ne peut me garder un moment.
[fol. 6v]20.
Avec ma teste sans cervelle,
Je met[s] dans son jour une belle.
C’est par moy qu’une laide a des attraits brillans.
Je preside sur la toilette
De la Prude et de la Coquette.
Meme sur les autels, j’exerce mes talens.
Chez l’un et l’autre sexe, on me trouve de mise.
Doris se passe moins de moy que de chemise,
Et quoyque je sois propre à servir les humains,
Je n’ay ny mouvement, ny pieds, ny bras, ny mains.
21.
De deux grands meurtriers, on me fait le complice.
On dit que ma noire malice
Cause tous les jours bien de maux.
Voiez, si l’on mefait justice.
Je cache, tous les jours, des deffauts,
Et fais valoir les avantages
De ceux qui me donnent employ,
Et tous ces malheureux qui se plaignent de moy
Ne sont reputez gueres sages.
[fol. 7r]22.
Gris, cruelle et fiere, autant qu’elle est charmante
Ne dissimule point l’amour qu’elle a pour moy.
Elle se pique fort de conserver sa foy,
De n’avoir point l’humeur changeante.
Cependant, tout ce grand amour
Dure, pour moy, rarement plus d’un jour.
Son inegalité, n’est-elle pas extreme,
Quoyque jamais son feu ne puisse m’enflammer.
La bizarre qu’elle est, fait gloire de m’aimer.
Elle se fait honneur de me changer de meme,
Mais, comme rougissant de son esprit leger,
Elle se cache en me voulant changer.
23.
Ceux qui viennent chez moy,
Dans l’hyver, prendre place
Souffriroient du froid bien souvent.
Et seroient gelez par le vent,
Si l’on n’y trouvoit point de glace
Le caro[….]44 Lettres peu lisibles.
[fol. 7v]24.
Quoyqu’un nombre infiny d’années
M’ait rendu, mille et mille fois,
Maitre et temoin des destinées,
Et des royaumes, et des roys,
Quoyqu’une caduque vieillesse
Qui conduit doucement les autres au trepas,
Semble devoir rallentir la vittesse
Dont je precipite mes pas,
Je n’ay point changé de metode.
Je vay toujours, je cours incessement
Et, quoyque bien plus vieux qu’Herode,
Je suis encore plus leger que le vent.
25.
J’ay presque autant de mains qu’en avoit Briarée.
On me les fait sortir lors du corps chaque nuit.
Chacune de mes mains est aussitot mangée,
Mais, avant qu’on le voye, on a d’un certain bruit
D’ossemens, croquetans, les oreilles choquées.
Ensuite, ces mains sont mangées.
[fol. 8r]26.
J’elevay jusqu’au Ciel celle qui me donna l’estre.
Je sers à present un maitre
Que je rendrois glorieux,
Immortel, incomparable,
S’il sçavoit faire valoir
Mon incomparable pouvoir.
Quand je vins à son service,
Je n’avois tache, ny vice.
Dès l’abord, il m’arracha
La grande barbe que je porte.
Il faut voir de quelle sorte
De me noircir il tacha.
Mais admirer son caprice,
M’aiant maltraité ainsy,
Il veut tout de meme aussy,
Que les autres je noircisse.
[fol. 8v] 27.
Souvent, le soir et le matin,
Du maitre et du valet, nous occupons la main.
Sans que l’on y trouve à redire
De nous avoir, on est jaloux;
Et, dans l’occasion de se servir de nous,
On nous cherche, et on nous desire.
Un camarade qui nous suit,
Et qui mene beaucoup de bruit,
Nous tient fidelle compagnie.
Il nous sert et nous luy servons
Et, dans tout ce que nous faisons,
Il est toujours de la partie.
En fin, de nous, on se trouve si bien
Que, dans la solitude ou dans l’entretien,
Chacun avec nous marque sa reverie.
[fol. 9r]28.
Il est vray, je suis mere et j’ay divers enfans,
Et je les ay dès mon enfance,
Mais les petits comme les grands
Sont egaux d’age et de naissance.
Chacun d’eux, sans estre morne,
Se croit à ce sort destiné,
Qu’il doit, au moment qu’il est né,
En sa teste porter la corne.
Ils sont tous disposez à me rendre service,
Mais telle est la severe loy
Que, si l’on me reprend pour quelque malefice,
Chacun d’eux, passant pour complice,
Ils sont tous punis avec moy.
29.
Je suis d’une matiere esclatante et solide.
J’attire du respect à qui peut me porter,
Mais je ne suis pas né pour une ame timide,
Je ne sçaurois la supporter.
On dit, pour me blamer, que je prens à la gorge,
Que celuy qui me porte est souvent egorgé,
Ou qu’en fin d’autres il egorge.
Je croy qu’à ce dessein, exprès on m’a forgé.
[fol. 9v]30.
Bien que je sois commun dans toutes les provinces,
Que l’on me foule aux pieds, meme dans mon terroir,
On me voit fort souvent à la table des princes.
Plusieurs, dans leurs repas, sont ravis de m’avoir.
Je ne suis pourtant pas aimé de tout le monde.
Ma couleur est ardante et blonde,
Et toutes les vertus qui me font adorer,
Me font souvent perdre la vie.
Mais, mon trepas a souvent fait pleurer
Ceux qui me l’ont ravie.
31.
Je ne parois aux yeux que comme un escrement,
Quoyque l’unique en faut du premier element.
Cependant, la vertu qui me rend fort utile,
Fait qu’on me receuille aux champs comme à la ville.
L’hiver, je multiplie ainsy qu’aux bons repas,
Soit qu’on fasse maigre ou gras,
Si je commence le Careme,
Je ne l’acheve pas de meme.
[fol. 10r]32.
Dan[s] le lieu le plus sombre,
J’etale mes beautez
Sans y souffir d’autre clairté
Que celle dont mon feu fait voir une belle ombre
Semblable à ces originaux,
Ce qui sort de mon sein, imitant la peinture :
Hommes, femmes, enfans, elemens, animaux,
Tout y paroit aussy grand que nature,
Plus leger que le vent,
Et de meme impalpable.
En un instant, je disparois souvent,
Et mes vives couleurs sont une belle fable.
Avec plaisir, le curieux
Voit ce que je produis, et ma beauté l’enchante.
Mais, sans que par trop je me vante,
On ne sçauroit me voir sans détourner les yeux.
La lanterne magique
[fol. 10v]33.
Quoyque je ne sois rien, je sçay donner des loix
Au sage, au sérieux, au fol, à la coquette,
Et souvent le caprice arbitre de mon choix,
M’assujettant tout à la fois
Et la princesse, et la grisette,
De m’obeïr, on ne peut s’exempter
Sans passer pour un ridicule.
Et celuy qui plus y recule
Est, à la fin, contraint de se laisser dompter.
La mode
34.
Je suis f[r]aiche et bien blanche, agreable à la veüe.
Chacun peut me toucher et me voir toute nue.
J’ay du repos le jour, mais un mauvais destin
Me menasse depuis le soir jusqu’au matin.
Estant vierge et toute innocente,
Je ne puis concevoir un criminel dessein.
Cependant, une flamme ardante
Que la nuit allume en mon sein,
Me devore le corps, m’agite et me tourmente.
La bou[....]55 Lettres peu lisibles.
[fol. 11r]35.
Je suis un corps des plus gonflés,
Quoyque c’est comme un hidropique,
J’ay le dos et la taille antique.
J’ay deux yeux grands et noirs sur mon ventre glacez.
Sans langue et sans bouche, je crie.
Il me faut pour mon entretient
Des tripes de chat ou de chien.
Cependant, de manger je n’eus jamais envie.
Si l’on me flatte en me touchant,
Je suis d’une douceur charmante.
Mais, si trop fort l’on me tourmente,
Lors je gronde et, tout las, n’obeïs qu’en jurant.
Le temps par qui tout perd son prix,
Ne me rend que plus precieuse,
Ma vieillesse m’est glorieuse
Et toujours, à cent ans, je valus plus qu’à dix.
Le violon
[Le bas de page coupé.]
[fol. 11v]36
Quelque solidité sur laquelle on se fonde,
Tout se passe à nos yeux comme l’eclair qui luit.
Les heros les plus grands ne font qu’un peu de bruit,
Et leur gloire, après eux, se coule comme l’onde.
J’ay du poid, ma matiere est solide et profonde,
Et mon corps, comme un verre, en eclats se reduit,
Ce qui peut m’elever aussy tost me detruit,
Moy, de qui la figure est la forme du monde.
Bronzes, marbres bu[..]66 Lettres illisibles. par qui l’antiquité
Transmet les noms fameux à la posterité,
Vous n’estes plus entiers, vos masses ruinées
Prouvent que vous serez annéantis un jour.
Telles sont des mortels, les tristes destinées,
Sous le soleil a[i]nsy tout finit à son tour.
[fol. 13r]37.
Depuis Noé, j’estois sur terre en grand mepris.
Sous Tibere, on me vit patrimoine venerable.
À Rome, le Senat et le Peuple surpris
Ne purent m’empecher d’estre considerable.
Si, pour me ravilir, on a tout entrepris,
Ce projet toujours vain m’est encor favorable,
Malgré mes detracteurs, mon merite est sans prix.
Sur leur perte, je fonde un empire durable.
L’Univers me respecte et mon nom reveré,
Meme aux trône[s] des roys, se trouve préféré.
Une marque d’oprobre est de gloire suivie,
Ce qui fit des humains le plus malheureux sort.
Le spectacle sanglant d’une tragique mort
Fait le solide espoir du bonheur de la vie.
[fol. 13v]38
Mon corps est dur et plat, ma taille est inegale.
On me charge souvent d’un auguste blason.
Quel sort plus glorieux, cependant, on m’estale
Au pied d’un sombre mur, sage précaution !
Pendant l’esté, je suis, en certain lieu, caché.
Alors, humide et froid, on me tourne le dos,
Mais en hyver, partout decouverte echauffée,
On vient auprès de moy conferer en repos.
Le feu qui fait changer ma couleur naturelle,
M’altera lentement, je tiens bon contre luy
Pendant un siecle entier, et ma substance est telle
Que je conserve encore ce qui me sert d’appuy.
39.
Tous les estres vivans mettent leur industrie
À pouvoir conserver et prolonger leur vie.
Moy seul, ennemy de mon sort,
Je battis mon sepulcre et travaille à ma mort.
[fol. 14r]40
Il est permis qu’aux deux rivales
Qui sont parfaitement égales,
De se battre sur moy, toujours impunement.
J'ay coup de baston frequement.
Incessement sur moy, l’on passe, l’on repasse.
J’ay mes precipices, mes bords.
Un ferme tient par le milieu du corps,
Mais nonobstant cette disgrace,
Dans toutes les saisons, sans estre diapré,
Je suis toujours vert comme un pré.
41.
Je n’ay ny pied, ny mains, ny teste,
Et je vis cependant paisible en ma maison.
Il n’est point d’homme, ny beste,
Qui me puisse tirer de ma douce prison.
Je ne crains que le fer, et quand, sur une table,
On me met, il est rien qui soit plus delicat
Et ce qui paroit admirable,
C’est que j’y sers toujours et ma sauce, et mon plat.
[fol. 14v]42
Lecteur, pouras-tu bien deviner ma naissance ?
Je suis [né]77 ms. le., croiroit-on, et sans ame, et sans corps.
Et c’est moy qui de tout donne l’intelligence.
Ma nature par tout n’agit que par ressors.
J’ay dans tous les palais ma plus noble séance.
Sans sortir du dedans, je m’exerce au dehors.
Aucun juge ne peut me forcer au silence,
Et sans force souvent, je dompte les plus forts.
Aux humains, tous les jours, je rend[s] mille services.
Le sexe fait de moy ses plus cheres delices.
Sans partage, je suis en mille endroits divers.
Vers le bien, vers le mal mon panchant est estreme.
Je naquis au moment qu’on crea l’Univers,
Personne ne dira qui je suis que moy meme.
[fol. 15r]43.
Quoy que j’enfonce mes morsures,
Je mords presque toujours sans faire des blessures.
J’empêche de terribles maux,
S’il faut croire la medicine,
Et je suis quelques fois une bone racine.
Mais, pour faire la guerre à des vils animaux,
J’empr[u]nte88 ms. empronte. les dens et les cornes
Des animaux les plus enormes.
Je pourois n’estre qu’un morceau
Du plus miserable arbrisseau,
Ou de l’habit d’une vilaine beste,
Et j’ose me vanter de parer mieux la teste
Et des amans, et des guerriers,
Que les mirtes ny les lauriers.
Je laboure un champ tres fertile.
Si son fruit n’est pas fort utile,
Il peut au moins servir à charmer les regards.
Et l’on doit appeller le fond de ma culture,
Le chef d’œuvre de la nature,
Et la mere de tous les arts.
Lorsque ce champ produit des belles plantes
Mortes, je les cultive aussy bien que vivantes,
Et de mes soins, le plus souvent,
Le sujet mort devient plus beau que le vivant.
[fol. 15v]44.
Plus mon pere s’eleve et plus je suis petite.
Je ne dois ma grandeur qu’à mon abaissement.
Sa presence me met en fuite
Et, malgré cet eloignement,
Lecteurs, vous me voyez, tous les jours, à sa suite.
45.
Je suis de bizare figure
Sans pieds, sans mains, courbé et bossu,
Et je dois beaucoup plus à l’art qu’à la nature
L’honneur d’estre par tout receü.
Je rend[s] le cœur sensible et tendre,
J’emeus les passions, je charme les ennuis.
Je parle, tout mort que je suis,
Mais on auroit peine à m’entendre,
Ou je m’expliquerois tres mal
Sans le secours d’un animal.
[fol. 16r]46.
Je n’humecte jamais, quoy que99 ms. que que. je sois humide.
Quand je suis endurcy, je redeviens fluide,
Et quoyque je sois froid, je ne froidis point.
Si l’on a partagé mon corps, il se rejoint,
Et reprennant toujours une figure ronde,
Quoyque je sois des plus pesans du monde,
Je penetre les corps et en un mot pour finir :
Plus on me veut serrer, moins on me peut tenir.
47.
Nous sommes deux jumeaux d’une matiere dure
Qui faisons l’un sans l’autre une triste figure.
Dans l’horreur de l’hyver, on ne peut nous quitter.
En esté, rarement on vient nous visiter.
Un element ingrat travaille à nous detruire,
Il tourmente nos pieds et par eux il respire.
En tous temps, il nous fait porter les meilleurs mets,
Mais nous sommes discrets, nous n’y touchons jamais.
[fol. 16v]
D’un nombre infiny de parties,
Vils excrémens du genre humain,
Inegalement assorties,
Mon corps est composé par une habile main.
Chez le sujet ainsy que chez le souverain,
On me voit occuper la plus auguste place.
Mais, par un malheureux destin,
De ce comble de gloire où l’usage me place,
Je tombe en peu de temps admirer ma disgrace
Au pouvoir d’un maitre odieux
Qui, pour tirer de moy quelque nouveau service,
Me livre au gré de son caprice,
Au tourment le plus rigoureux.
49.
Du matin jusqu’au soir, je suis en mouvement,
Quoyque l’on me tienne à l’atache.
Mais, pour se delaisser, il faut absolument
Que chaque nuit l’on me relache
Chez C[h]loris. On ne peut me toucher autrement,
Si l’on ne veut qu’elle se fache.
Dans un tel esclavage, admirez mon bonheur.
Je distingue le vray merite
Sans esprit, sans cœur, ny conduite,
Je suis, chez certains peuples, une marque d’honneur.
[fol. 17r]50.
Je suis connu de tous et ne connois personne.
Un element subtil fait voler de mes flancs,
Au gré de ma fureur, des messages brulans.
Trop tard, j’avertis ceux sur qui je m’abandonne.
Je travaille aux plus beaux repas,
Dans les mains du beau sexe, on ne me trouve gueres.
Par moy, les grands font bone chere,
Mais il en courbe bien de pas.
51.
Je tire mon eclat d’une vive peinture,
Et dois mon sort à l’art plus qu’à la nature.
Des plus hideux mortels comme des plus parfaits
L’on me voit emprunter la figure et les traits.
Mon corps est spongieux, ma matiere est legere.
Le soufle de la voix, la detruit ou l’altere.
Au milieu des plaisirs, je confond[s] chaque estat.
J’y confond[s] le menant, l’honneste homme et le fat.
Et tel à s’enoncer sans moy seroit timide
Qui fier de mon appuy, pense, parle et decide.
[fol. 17v]52.
Sans ailes, sans pieds et sans yeux,
Je vas, je vient, je roulle, il semble que je vole.
Et que je vois bien clair allant droit en cent lieux,
Souvent je fais plaisir, quelques fois je desole.
Mes plus grands coups, pourtant, ne sont qu’en terre molle,
Car, si l’on me resiste à la longue un peu fort,
Me relachant alors souvent de mon audace,
Sans perte de mes gens, je defile et je passe.
Ma plus grande vigueur n’estant que dans l’abord,
Je suis aveuglement les loix d’une princesse
Qui, tout comme il luy plait, m’eleve et m’abaisse.
Ainsi, l’on me voit grand, tour à tour, et petit
Dans ce premier estant, rompant premier mon lit,
Coucheur de dangereuse espece,
Et plus bruyant ronfleur, plus je suis eveillé,
A me comprendre aussy toute raison s’eclipse,
Car je suis un’apocalipse
Qu’il couste cher d’avoir fouillé.
[fol. 18r]53.
Nous sommes d’un grand usage
Dedans un petit menage.
On nous vend sans nous compter
À qui nous veut acheter.
Tous les jours, dessus la brune,
De nous il perit quelqu’une
Qui laisse en finissant son sort
Quelqu’odeur après sa mort.
54.
Je m’attache sans cesse à ce qui me detruit,
Et j’ay lieu de craindre la nuit.
La grandeur fait durer ma vie,
Sans qu’à mon sort on porte envie.
On me connoit tres peu chez les petites gens,
Mais on me reçoit bien dans les maisons des grands.
En certain temps, sans moy, l’on n’y pouroit rien faire.
Je rassemble chez eux les jeux et les plaisirs,
Quoyque, pour contenter leurs plus pressans desirs,
On craigne mon ministere.
J’assiste cependant à bien plus d’une affaire.
[fol. 18v]55.
Encor que je naisse sans vie,
Je la donne à chaque vivant,
Et l’on me cherche fort souvent
Dans le temps d’une maladie,
Bien que je [sois]1010 ms. suis. utile après comme devant.
Quelques fois, je n’ay point de pere,
Alors je ne dois point mon estre à son amour,
Et je nais sans blesser ma mere.
Ce qui doit le plus vous surprendre,
C’est que souvent par elle on me voit enfanté
Sans perdre sa virginité.
Comment pouvez-vous le comprendre ?
Comme une femme, elle acouche en son lit.
La jeunesse est mon avantage ;
Plus je vieillis, plus on me fuit.
La robe blanche est mon partage
Et je la porte en tous temps, jour et nuit.
Il est pourtant certaines festes
Où l’on me fait changer d’habit,
Et le rouge m’en prend sans avoir une teste.
Devinez qui je suis, je vous en ay trop dit.
[fol. 19r]56.
Je suis un corps piramidal,
Composé de plus d’une piece
Qui, quoyque de semblable espece,
En grandeur, neanmoins, n’ont rien que d’inegal.
Un meme lien les assemble
Sans pourtant les laisser aprocher de trop pres,
Ordre qu’il faut garder en les mettant ensemble
Autrement, l’on n’en peut esperer de succès.
Lorsque, pour mon usage, l’on vient me bastoner,
Aux coups que je reçois, je reponds à merveille.
Vous qui cherchez le nom que l’on me doit donner,
Sachez que je ne puis contenter que l’oreille.
57.
Le beau sexe m’aime et me veut mal ;
L’homme, par un depit fatal,
Après avoir longtemps souhaité ma venue,
Deteste mon retour et me met toujours nue.
Mais, de mon sort, voyez l’effet :
On pense me defaire et pourtant on mefait.
[fol. 19v]58.
Tous les matins, dan[s] sa maison,
Je me promene en compagnie,
Tout autre passetemps, ensuite, on me denie.
Ceux qui m’ont promené quelques fois sans raison,
À me tenir caché, tout le jour, me contraignent.
Ce qui console ma prison,
C’est les chiens, les chats et les enfans me craignent.
59.
Souvent, la nuit, un invisible,
Partant du ciel pour troubler mon repos,
Vient m’hurter d’une façon terrible.
Tout ce que je puis faire est de tourner le dos,
Si quelques fois, le jour, il me tourmente.
Quoyque sa rage arrive au dernier point,
Elle a beau devenir cruelle et violente.
On y prend garde assez, mais on ne me plaint point.
[fol. 20r]60.
Je reçois les honneurs qu’on rend1111 ms. rends. aux immortels.
Un peuple tout entier me dresse des autels
Que l’espoir d’expier ses crimes
Fait fumer chaque jour du sang de ses victimes.
Quoyqu’adoré, le moindre des humains
A tout mon sort entre les mains.
Il me peut ecraser, il me peut mettre en pieces.
Dans ma perte, pourtant, je brave ses rigueurs,
J’en tire, malgré luy, des marques de tendresse
En luy faisant verser des pleurs.
61.
Les mines, les forestes, les hommes et les bestes
Ont tous contribué pour faire ma beauté.
L’hydre n’eut jamais que sept testes,
Et j’en ay plus de cent, quand je suis bien monté.
Malgré l’eclat qui m’environne,
Il me vient de revers dont je suis abatu.
Sans distinction, je couronne
Le vice comme la vertu.
Mon elevation ne peut estre commune,
L’empire y veut bien concourir.
Je ne devrois jamais perir,
Car j’ay toujours de quoy soustenir la fortune.
62.
Je suis le cher enfant d’une mere feconde
Qui compose mon corps du plus pur de mon sang,
Sans avoir du commerce avec homme du monde
Qu’avec ceux dont les mains m’ont tiré de son flanc.
Je fais un bruit tonnant au sortir d’un regale,
Quand des subtils esprits s’echauffent avec moy,
À ma valeur rien ne s’egale,
Et je suis plus puissant qu’un roy.
Je fais naitre la joye et fais couler les larmes.
Le vice et la vertu trouvent en moy des charmes,
Car je deviens souvent le prix
De ces deux mortels ennemis.
Ce n’est qu’en ma faveur qu’on fait prendre les armes,
Sans epargner les grands, ny les petits.
De crainte que je ne sois pris,
Celuy qui me ponde, a d’estranges allarmes.
[fol. 21r]63.
D’une autorité sainte, incapable d’erreur,
Je suis l’ouvrage pur. Jadis, je fus austere.
Et dans les heureux temps où regne la ferveur,
On fournit à l’enuy ma penible carriere.
La sensualité d’un œil jaloux le vit
Et, pour me supplanter, mettant tout en usage,
À cent pretextes vains, enfin, elle joignit
Des docteurs relachez le profane language.
C’est ainsy qu’elle a sçeu lachement prevaloir.
Ouy, depuis trop longtemps, on meprise, on elude
Mes salutaires loix, et leurs sacré pouvoir
N’est presque reveré que dans la solitude.
Au torrent de l’abus s’oppose vainement
L’oracle, dès le jour que je viens aparoitre,
Qui, dans le temple saint, parle et dit gravement :
O mortel, souviens toy du néant de ton estre.
[fol. 21v]64.
Je suis d’une figure ronde
Par le cul, la teste et le corps.
À voix haute, on m’annonce au monde
Et, le soir, sans jambes, je sors.
Comme j’affecte d’estre rond,
Mon corps ne se remplit que des matieres rondes,
Et je fais la joye d’une ronde,
Quand on me vuide sur un rond.
Je rejouis les jeunes gens,
Mon maitre chante leur victoire,
Il attrape les plus sçavans,
Et si, pour prix, on le fait boire,
On l’accuse partout, dit-on,
Qu’il n’a jamais eu de memoire.
Mais, pour empecher de le croire,
On l’entend fort souvent qu’il repete son nom.
[fol. 22r]65.
D’etrange et bizarre attitude,
Je n’ay qu’un ventre et qu’un boyau.
Le plus pur element dissout ma plenitude,
Richesse du monde nouveau,
Delices du siecle où nous sommes.
Je fais respirer en repos
L’artisan, le soldat, le docteur et le heros –
Charment amusement de la pluspart des hommes,
D’usage en tous les temps, et de guerre, et de paix,
D’usage en tous les lieux, sur la terre et sur l’onde,
Mais, tandis que je fais le plaisir des palais,
Rien ne represente jamais
Plus naturellement les vanités du monde.
[fol. 22v]66.
Celuy qui me crea, me rend si necessaire
Que je n’ignore rien de ce qui se peut faire,
Et l’on ne peut jamais inventer d’instrument
Qui sçache, comme moy, tout faire adroitement.
Si, de tant de sujets, je suis le plus habile,
Je dois, faisant du bien à tous, me rendre utile.
Mais me laissant conduire à l’esprit animal,
Je pratique toujours moins le bien que le mal.
C’est ainsy que l’on voit mes talens, pour escrire,
L’emploier à grossir un injuste procès,
Et que, multipliant le chicanne à l’excès,
Souvent, j’impose au juge, et je ne sçay pas lire,
Car je ne suis qu’un tronc d’où sortent cinq rameaux
Qui se ressemblent tous, quoyqu’ils soient inegaux,
Devenus grands et forts. Chacun, comme sa mere,
Me nourit, me defend et seconde son pere.
[fol. 23r]67.
On trouve peu d’honnestes gens,
S’ils ne sont accablés sous le poid de leurs ans,
À qui je ne rende service.
Je ne sçay par quelle raison
Ils ont cependant l’injustice
De me faire souffrir une eternelle prison.
Quoyque mon corps soit foible et mince,
Je suis utile au plus grand prince.
Soir et matin, de son palais,
Je nettoie les avenues
Que mille choses superflues
Pouroient faire sentir mauvais.
Lorsque, faite pour un double usage,
Mes deux bouts ont chacun leur different employ,
J’ay souvent l’oreille du roy
Sans que ses favoris en prennent de l’ombrage.
[fol. 23v]68.
Les forestes m’ont donné ma premiere naissance,
Les animaux, les bois me font ce que je suis.
Au noble, au roturier, je rend[s] obéissance
Et, pour les servir tous, je fais ce que je puis ;
J’ay des yeux dont le nombre est assez incertain.
Quelques fois, j’en ay peu, quelques fois, d’avantage.
Et plus chacun d’eux est bien plein,
Et mieux on me met en usage.
Un homme pour propre qu’il soit,
Ne peut refuser mon service,
Et le mal propre ne me voit
Que pour me mettre en exercice.
Le temps le plus sec, le plus beau
Est le temps où je m’evertue,
Et rien plus ne me nuit, ny plus ne tue
Que quand je vois tomber de l’eau.
Après le mauvais temps, je me sens d’abord preste
À faire de mes plus beaux tours
Et je prodigue mon secours
Depuis les pieds jusqu’à la teste.
[fol. 24r]69.
Quoyque souvent couvert de peau
De mouton, de chevre ou de veau,
Sur quoy quelques traits de dorure
Relevent nos plates figures,
Ce n’est jamais sur ces brillans dehors
Que les esprits sensés fondent leur esperance.
Celuy qui n’a pas d’apparence,
Vaut quelques fois mille tresors.
Riche et pauvre, chez nous, soit antique ou moderne,
Qui paroit, sans merite, est digne qu’on le borne.
70.
Je suis d’une figure ovale,
D’une utilité sans egale.
Placé dans un fond fait exprès,
Mes bords sont velus tout autour.
Sans moy, on n’auroit point d’amour.
À tous les plaisirs, je preside.
L’atouchement me rend humide.
Une sillabe fait mon nom.
Dites le, tout haut, sans façon.
[fol. 24v]71.
Depuis le matin jusqu’au soir,
Je vas, je viens partout et je cours sans voir.
Mon mouvement lent ou rapide
Est toujours tel qui plait à celuy qui me guide.
Et comment pouray-je voir clair ?
Je n’ay pas un seul œil et je crains d’estre à l’air.
Ma peau tres delicate est triplement vestue,
Et rarement chacun peut la voir toute nue.
Tous les jours, on m’enferme en certain maison
Que l’ouvrier exprès a faite
Pour me servir d’une retraite
Qui pouroit se nommer l’ambulante prison.
73.
Nostre nombre est celuy des Danaïdes,
Le pere et la mere compris.
Ces filles ne pouvoient remplir leurs tonneaux [h]umides.
Aussy, ne pouvons-nous contenter les esprits.
On nous separe en diverses familles.
Chaque maitre a sa femme et n’a qu’un serviteur.
Ces femmes qui ne sont ny belles, ny jentilles,
En veulent plus à la bource qu’au cœur.
Nous marchons tantost deux, tantost trois, tantost quatre.
L’ordre, à nostre retour, est rarement gardé.
Quand on nous voit ensemble, on commence à nous battre,
Et par là, de plusieurs, le sort est decidé.