Recueil de vers

Edition du ms. 99/51

[fol. 1r]

Recueil de Vers

Imier Cahier

[fol. 1v] [p.1] Ode sur l’ingratitude

Quelle furie au teint livide,

Souffle en çes lieux un noir venin ?

Sa main tient çe fer parriçide

Qui d’Agrippine ouvrit le sein

L’insensible oubli, l’insolençe,

Les sourdes haînes, en silençe,

Entourent çe monstre effronté,

Et tour-à-tour, leur main barbare

Va remplir sa coupe au Tartare,

Des froides ondes du Léthé.

Ingratitude, de tels signes

Sont tes coupables attributs :

Parmi tes bassesses insignes,

Quel silençe assoupit Phébus ?

Trop long-temps tu fus épargnée,

Sur toi, de ma Muse indignée

Je veux lançer les premiers traits ;

Heureux, même en souillant mes rimes

Du récit honteux de tes crimes,

Si j’en arrête le progrès. [fol. 2r]

Naissons-nous injustes et traîtres ?

L’Homme est ingrat dès le berçeau,

Jeune, sait-il aimer ses maîtres ?

Leurs bienfaits lui sont un fardeau :

Homme fait, il s’adore, il s’aime,

Il rapporte tout à lui-même,

Présomptueux dans tout état :

Vieux enfin, rendez-lui serviçe,

Selon lui, c’est une justiçe,

Il vit superbe, il meurt ingrat.

Parmi l’enorme multitude,

Des vices qu’on aime et qu’on fuit

Pourquoi garder l’ingratitude,

Viçe sans douçeur et sans fruit ?

Reconnaissançe offiçieuse,

Pour garder ta loi précieuse,

En coute-t-il tant à nos cœurs ?

Es-tu de çes vertus sévéres,

Qui, par des regles trop austères,

Tyrannisent leurs sectateurs ?

Sans doute il est une autre cause.

De çe lâche oubli des bienfaits :

L’Amour propre en secret s’oppose [fol. 2v] [p.2]

A de reconnaissants effets ;

Par un ambitieux délire

Croyant lui-même se suffire,

Voulant ne rien dire qu’à lui,

Il craint dans la reconnaissançe

Un témoin de son impuissançe,

Et du besoin qu’il eut d’autrui.

Paré d’une ardeur complaisante,

Pour vous ouvrir à la pitié,

L’ingrat à vos yeux se présente

Sous le manteau de l’amitié :

Il rempe, adulateur servile ;

Vous pensez, à ses voeux, façile

Que vous allez faire un Ami ;

Triste retour d’un noble zele !

Vous n’avez fait qu’un infidele,

Peut-être même un ennemi.

Déjà son Oeil fuit votre approche,

Votre présençe est son bourreau,

Pour s’affranchir de çe reproche,

Il voudrait voir votre tombeau.

Monstre des bois, race farouche ;

On peut vous gagner, on vous touche [fol. 3r]

Vous sentez le bien qu’on vous fait ;

Seul des monstres le plus sauvage,

L’ingrat trouve un sujet de rage

Dans le souvenir d’un bienfait.

Mais n’est-ce point une chimére,

Un fantôme que je combats ?

Fût-il jamais un caractere,

Marqué par des crimes si bas ?

O Ciel ! que n’est-ce une imposture !

A la honte de la nature

Je vois que je n’ai rien outré ;

Je connais des cœurs, que j’abhorre

Dont la noirceur surpasse encore

Ce que çes traits en ont montré.

Pour prévenir çes ames viles,

Faudra-t-il Mortels bienfaisans,

Que vos mains désormais stériles

Ne repandent plus leurs présens ?

Non leur dureté la plus noire

N’enlève rien à votre gloire,

Il vaut mieux d’un soin généreux,

Servir une foule coupable, [fol. 3v] [p.3]

Que manquer un seul misérable

Dont vous pouvez faire un heureux.

Des Dieux imitez les exemples,

Dans vos dons desinteressés,

Aucun n’est exclus de leurs Temples,

Leurs bienfaits sur tous sont versés :

Le Soleil qui dans sa carriére,

Prête au vertueux sa lumière,

Luit aussi pour le Scelerat :

Le Ciel cesserait de répandre

Les dons que l’Homme en doit attendre

S’il en excluait l’Homme ingrat.

Juste Thémis contre un tel crime

N’as-tu plus ni gloire ni voix ?

Que l’ingrat n’est-il ta victime,

Ainsi qu’il le fût autrefois !

Que ne reprens-tu dans nôtre âge,

De ton antique Aréopage.

L’équitable sévérité !

L’ingratitude était flétrie,

Et souffrait loin de la Patrie,

Un ostraçisme mérité. [fol. 4r]

Mais pourquoi te vantai-je Athenes,

Sur la justiçe de tes loix,

Quand par des rigueurs inhumaines

Ta République en rompt les droits ?

Que de prescriptions ingrates !

Tes Miltiades, tes Socrates,

Sont livrés au plus triste sort ;

La méconnaissançe et l’envie

Leur font de leur illustre vie

Un crime digne de la mort.

Ainsi parlait, fuiant sa ville,

Thémistocle aux Athéniens,

„Tel qu’un palmier qui sert d’azile,

„J’en sers à mes Conçitoyens ;

„Pendant le tonnerre et l’orage,

„Sous mon impénetrable ombrage

„La peur des foudres les conduit ;

„L’orage cesse, on m’abandonne,

„Et long-temps avant mon automne

„La foule ingrate abbat mon fruit.

D’un Cœur né droit, noble et sensible,

Rien n’enflamme tant le courroux, [fol. 4v] [p.4]

Que l’ingratitude infléxible

D’un traître qui se doit à nous :

Sous vingt poignards (fin trop fatale)

Le triomphateur de Pharsale

Voit ses jours vainqueurs abbatus :

Mais de tant de coups le plus rude

Fût celui que l’ingratitude

Porta par la main de Brutus.

Mortels ingrats, ames sordides,

Que mes sons puissent vous fléchir !

Où si de vos retours perfides

L’Homme ne peut vous affranchir,

Que les animaux soient vos maîtres :

O honte ! çes stupides êtres

Savent-ils mieux l’art d’être humain ?

Oui, que Seneque vous apprenne

Ce qu’il admira dans l’aréne

De l’Amphithéatre Romain.

Un Lion s’élançe, on l’anime

Contre un esclave condamné ;

Mais à l’aspect de sa victime

Il recule, il tombe étonné : [fol. 5r]

Sa cruauté se change en joie,

On lance sur la même proie

D’autres Lions plus en courroux :

Le premier d’un Cœur indomptable,

Se range au parti du coupable,

Et seul le défend contre tous.

Autrefois, du rivage More,

Cet esclave avait fuit les fers,

Trouvant ce Lion jeune encore

Abandonné dans les desers,

Il avait nourri sa jeunesse ;

L’Animal ému de tendresse,

Reconnait son cher bienfaicteur :

Un instinct de Reconnaissançe,

Arme, couronne sa défense,

Il sauve son Libérateur. [fol. 5v] [p.5]

Qu’importe lorsque on dort dans la nuit du tombeau,

D’avoir porté le Sceptre, où traîne le rateau ;

L’on y distingue point l’éclat du diademe,

De l’Esclave et du Roi la poussiere est la-même.

Le viçe seul est bas, la vertu fait le rang,

Et l’homme le plus juste est aussi le plus grand.

Vois çes Sceptres dorés, marcher à pas lents

Traîner d’un corps usé les restes chançelants,

Et sur un front jauni, qu’à roidi la molesse

Ils étalent à trente ans leur précoçe vieillesse :

C’est la main du plaisir qui creuse leur tombeau,

Et bienfaiteurs du monde ils deviennent leurs bourreaux

Sous l’or et la pourpre chargés d’entraves

On les adore en Dieux, ils souffrent11 Ms. souffrents en esclaves.

Au peuple

Tes bras, tes mouvements, ta féconde industrie,

Multipliant par-tout le germe de la vie,

Par tes travaux actifs anime l’univers ;

Cent Rois aux nations n’ont donné que des fers :

Le Conquerant détruit, tu conserves le monde,

Ils ravagent la terre, et tu la rends féconde.

La triste humanité, ne doit qu’à tes secours,

Çes puissants végétaux, les soutiens de nos jours ; [fol. 6r]

Cet art dit-on est vile, oserait-on le croire ?

Bienfaiteur des humains quel titre pour la gloire,

Ta bêche et ta charrue, utiles instrumens

Brillent plus à mes yeux que çes fiers ornemens,

Çes clefs d’or, çes cordons, çes mortiers, çes couronnes,

Monumens de grandeur, semés au-tour du trône ;

En vain l’opinion a ausé t’avilir,

Peuple pour ton paÿs tu sais vivre et mourir.

Je te rends graçe, ô Ciel, dont la bonté propiçe,

M’écarta de çes rangs qui sont un préçipiçe,

Je n’ai point en naissant reçu de mes ayeux

De l’or, des dignités, l’éclat d’un nom fameux ;

Mais si j’ai des vertus, si mon mâle courage

A toujours dédaigne l’intrigue et l’esclavage :

Si mon Cœur est sensible aux traits de la pitié,

S’il éprouve les feux de la tendre amitié,

Et si l’horreur du viçe et m’anime et m’enflamme

Mon sort est trop heureux, j’ai la grandeur de l’ame.

Doux nœud de la reconnoissançe,

C’est par toi que dès mon enfançe,

Mon Cœur fût à jamais lié :

La voix du sang, de la nature,

N’est qu’un impuissant murmure, [fol. 6v] [p.6]

Près de la voix de l’amitié

Quel est en effet mon pere ?

Celui qui m’instruit, qui m’éclaire.

Et celui dont le Cœur oublie,

Les biens repandus sur sa vie,

C’est là le fils dénaturé.

D’un Cœur ignoble et bas rien n’effaçe les tâches,

Rien ne peut ennoblir ni des sots, ni des lâches :

Par le mérite seul on peut être élevé

Tout est bas et rampant quand on en est privé.

L’état le plus abject, où le rang sûpreme,

Sont les dehors de l’homme et non pas l’homme même.

L’homme est long-temps trompé par de fausses images ;

Mais la mort qui s’approche écarte les nuages.

Captive jusqu’à lors, enfin la verité

Sort du fond de nos Cœurs, et parle en liberté.

On écoute sa voix, on change de langage ;

De l’esprit et du temps on regrette l’usage :

Regraits tardifs d’un bien qui n’est jamais rendu !

L’esprit est presqu’éteint et le temps est perdu.

Ne perdons point le nôtre heureux dans sa jeunesse

Qui prévoit les remords de la sage vieillesse !

Mais plus heureux encore qui sait les prévenir, [fol. 7r]

Et commençe ses jours, comme il veut les finir.

Que sert une sagesse âpre et contrariante ?

Heureuse la vertu douçe, aimable, liante,

Dont les ris et les jeux accompagnent les pas !

La raison même à tort quand elle ne plait pas.

A ses desirs en vain l’on s’abandonne,

Dans l’espoir de jouir du sort le plus flatteur.

La beauté, les trésors promettent le bonheur ;

Mais la vertu seule le donne.

Pour contenter ses frivoles desirs,

L’homme insensé vainement se consume :

Il trouve l’amertume

Au milieu des plaisirs.

Le bonheur de l’impie est toujours agité ;

Il erre à la merçi de sa propre inconstançe

Ne cherchons la féliçité,

Que dans la paix de l’innoçence.

Soyez juste, bienfaisant, ami de l’humanité

Qui sert les hommes, sert la divinité. [fol. 7v] [p.7]

C’est pour le bonheur legitime

Que le modeste Abdolonime

N’acçeptait qu’à regret le trône de Sidon :

Plus libre dans un sort champêtre,

Et plus heureux qu’il ne sut l’être

Sur le trône éclatant des ayeux de Didon.

Ode. Caractere de l’homme juste

Seigneur, dans ton Temple adorable,

Quel mortel est digne d’entrer ?

Qui pourra, grand Dieu, penetrer

Ce Sanctuaire impénetrable,

Où tes Saints inclinés d’un œil respectueux,

Contemplent de ton front l’éclat magestueux ?

Ce sera celui qui du viçe

Evite le sentier impur :

Qui marche d’un pas ferme et sûr

Dans le chemin de la justice ;

Attentif et fidele à distinguer sa voix :

Intrépide et sévére à pratiquer ses loix.

Ce sera celui dont la bouche

Rend hommage à la verité : [fol. 8r]

Qui sous un air d’humanité

Ne cache point un Cœur farouche ;

E[t]22 Ms. E qui par des discours faux et calomnieux

Jamais à la vertu n’a fait baisser les yeux.

Celui devant qui le superbe

Enflé d’une vaine splendeur,

Parôit plus bas dans sa grandeur

Que l’insecte cache sous l’herbe :

Qui bravant du méchant le faste couronné

Honore la vertu du juste infortuné.

Celui, dis-je, dont les promesses

Sont un gage toujours certain :

Celui qui d’un infame gain

Ne sçait point grossir ses richesses :

Celui qui sur les dons du coupable puissant

N’a jamais deçidé du sort de l’innoçent.

Qui marchera dans cette voye,

Comblé d’un eternel bonheur,

Un jour des Elus du Seigneur

Partagera la sainte joie ;

Et les frémissements de l’Enfer irrité

Ne pourront faire obstacle à sa feliçité. [fol. 9r]

Recueil de Vers

2econd Cahier [fol. 9v] [p.9]

Ode.

De Rousseau à la Fortune

Fortune dont la main couronne

Les forfaits les plus inouïs :

Du faux éclat qui t’environne

Serons-nous toujours éblouïs ?

Jusques à quand trompeuse Idole,

D’un culte honteux et frivole

Honorerons-nous tes Autels ?

Verra-t-on toujours tes capriçes

Consacrès par tes sacrifiçes,

Et par l’hommage des mortels ?

Le Peuple dans ton moindre ouvrage

Adorant la prospérité,

Je nomme grandeur de courage,

Valeur, prudençe, Fermeté.

Du titre de Vertu sûpreme,

Il dépouille la vertu même

Pour le viçe que tu chéris.

Et toujours ses fausses maximes

Erigent en heros sublimes

Tes plus coupables favoris. [fol. 10r]

Mais de quelque superbe titre,

Que çes Heros soient revêtus,

Prenons la raison pour arbitre,

Et cherchon[s]33 Ms. cherchont en eux leurs vertus ;

Je n’y trouve qu’extravagance

Foiblesse, injustiçe, arrogançe,

Trahisons, fureurs, cruautés,

Etrange Vertu qui se forme

Souvent de l’assemblançe énorme

De viçes les plus detestés.

Apprens que la seule sagesse,

Peut faire les Heros parfaits :

Qu’elle voit toute la bassesse

De çeux que ta faveur a faits :

Qu’elle n’adopte point la gloire

Qui nait d’une injuste victoire

Que le sort remporte pour eux :

Et que devant ses yeux stoïques

Leurs Vertus les plus héroïques

Ne sont que des crimes heureux.

Quoi, Rome et l’Italie en çendre

Me feront honorer Silla ? [fol. 10v] [p.10]

J’admirerai dans Alexandre

Ce que j’abhorre dans Attila ?

J’appellerai Vertu guerrière

Une vaillançe meurtière,

Qui dans mon sang trempe ses mains ?

Et je pourrai forçer ma bouche,

A louër un Heros farouche,

Né pour le malheur des humains ?

Quels traits me présentent vos fastes,

Impitoyables Conquerans !

Des vœux outrès des projets vastes,

Des Rois vaincus par des Tyrans.

Des murs que la flamme ravage :

Des vainqueurs furnants de carnage :

Un Peuple au fer abandonné ;

Des Meres pâles et sanglantes

Arrachant leurs filles tremblantes

Des bras d’un soldat effrené.

Juges insensés que nous sommes,

Nous admirons de tels exploits !

Est-ce donc le malheur des hommes

Qui fait la Vertu des grands rois ? [fol. 11r]

Leur gloire feconde en ruines,

Sans le meurtre et les rapines,

Ne sçaurait-elle subsister ?

Image des Dieux sur la terre,

Est-ce par des coups de Tonnerre

Que leur grandeur doit éclater.

Mais je veux que dans les allarmes

Réside le solide honneur,

Quel Vainqueur ne doit qu’à ses armes

Ses triomphes et son bonheur ?

Tel qu’on nous vante dans l’histoire,

Doit peut-être toute sa gloire

A la honte de son rival.

L’inexperiençe indoçile

Du compagnon de Paul Emile

Fit tout le sucçès d’Annibal.

Quel est donc le Heros solide

Dont la gloire ne soit qu’à lui ?

C’est un Roi que l’équité guide,

Et dont les Vertus sont l’appui.

Qui prenant Titus pour modèle

Du bonheur d’un Peuple fidèle

Fait le plus cher de ses souhaits : [fol. 11v] [p.11]

Qui fait la basse flatterie,

Et qui, Pere de sa Patrie

Compte ses jours par ses bienfaits.

Vous, chez qui la guerriere audaçe

Tient lieu de toutes les Vertus :

Concevez Socrate à la place

Du fier meurtier de Clitus.

Vous verrez un Roi respectable,

Humain, généreux, équitable :

Un Roi digne de nos Autels.

Mais à la place de Socrate,

Le fameux vainqueur de l’Euphrate

Sera le dernier des mortels.

Heros cruels et sanguinaires,

Cessez de vous en orgueillir

De çes lauriers imaginaires,

Que Bellone vous fit cueillir.

En vain le destructeur rapide

De Marie-Antoine et de Lepide

Remplissait l’Univers d’horreurs :

Il n’eut point le44 Ms. point eut le nom d’Auguste [fol. 12r]

Sans cet Empire heureux et juste

Qui fît oublier ses fureurs.

Montrez-nous guerriers magnanimes,

Votre Vertu dans tout son jour.

Voyons comment vos cœurs sublimes

Du sort soutiendront le retour ?

Tant que sa faveur vous seconde,

Vous êtes les maîtres du monde.

Votre gloire nous éblouit

Mais au moindre revers funeste,

Le masque tombe : L’homme reste

Et le Heros s’évanouit.

L’effort d’une Vertu commune

Suffit pour faire un Conquerant :

Celui qui domte la Fortune

Mérite seul le nom de Grand.

Il perd sa volage assistançe,

Sans rien perdre de la constançe

Dont il vit ses honneurs accrus :

Et sa grande ame ne s’altere

Ni des triomphes de Tibere, [fol. 12v] [p.12]

Ni des disgraçes de Varus.

La joie imprudente et legére

Chez lui ne trouve point d’acçès ;

Et sa crainte active modère

L’ivresse des heureux sucçès.

Si la Fortune le traverse,

Sa constante vertu s’exerçe

Dans ses obstacles passagers.

Le bonheur peut avoir son terme :

Mais la sagesse est toujours ferme,

Et les destins toujours legers.

En vain une fiere Déesse,

D’Enée a resolue la mort ;

Ton secours, puissante sagesse,

Triomphe des Dieux et du sort.

Par toi Rome au bord du naufrage

Jusques dans les murs de Carthage

Vengea le sang de ses Guerriers,

En suivant tes divines traçes :

Vit au plus fort de ses disgraçes

Changer ses Ciprès en Lauriers. [fol. 13r]

O Dieu qu’on méconnait, ô Dieu que tout annonçe,

Entends les derniers mots que ma bouche prononçe !

Si je me suis trompé, c’est en cherchant ta loi :

Mon Cœur peut s’égarer, mais il est plein de Toi.

Je vois sans m’allarmer l’éternité paraître,

Et je ne puis penser qu’un Dieu qui m’a fait naître,

Qu’un Dieu qui sur mes jours verse tant de bienfaits,

Quand mes jours sont éteints me tourmente à jamais.

Pour les Cœurs corrompus l’Amitié n’est point faite,

O divine Amitié ! feliçité parfaite !

Seul mouvement de l’ame où l’exçès soit permis,

Change en biens tous les maux où le Ciel m’a soumis.

Dans le cours de nos ans étroit et court passage

Si le bonheur qu’on cherche est le prix du vrai Sage,

Qui pourra me donner ce tresor préçieux ?

Dépend-t-il de moi-même ? est-ce un présent des Cieux ?

Est-il comme l’esprit, la beauté, la naissance,

Partage indépendant de l’humaine prudençe ? [fol. 13v]

Suis-je libre en effet ? où mon ame et mon Corps,

Sont-ils d’un autre agent les aveugles ressorts ?

Enfin ma volonté qui me meut, qui m’entraine,

Dans le Palais de l’ame est-elle Esclave où Reine ?

Obscurement plongé dans ce doute cruel,

Mes yeux chargés de pleurs se tournaient vers le Ciel.

Si l’homme est créé libre, il doit se gouverner.

Si l’homme à des Tyrans il les doit detroner.

On ne le sait que trop, çes Tyrans sont les vices

Le plus cruel de tous dans ses sombres capriçes,

Le plus lâche à la fois et le plus acharné,

Qui plonge au fond du Cœur un trait empoisonné,

Ce bourreau de l’esprit, quel est-il ? c’est l’envie.

L’Orgueil lui donna l’être au sein de la folie ;

Le mérite étranger est un poix qui l’accable

Semblable à ce Geant si connu dans la Fable,

Triste ennemi des Dieux, par les Dieux écrasé,

Lançant en vain les feux dont il est embrâsé,

Il blaspheme, il s’agite dans sa prison profonde

Il croit pouvoir donner des secousses au monde :

Il fait trembler l’Etna dont il est oppressé.

L’Etna sur lui retombe, il en est terrassé. [fol. 14r]

Qu’il est grand, qu’il est beau de se dire à soi-même :

Je n’ai point d’ennemis, j’ai des Rivaux que j’aime :

Je prends part à leur gloire, à leurs maux, à leurs biens :

Les arts nous ont unis leurs beaux jours sont les miens.

C’est ainsi que la terre avec plaisir rassemble,

Ces Chênes, ces Sapins qui s’élevent ensemble :

Un sur toujours égal est préparé pour eux :

Leur pied touche aux enfers, leur Cime est dans les Cieux.

Oui, c’est un Dieu caché que le Dieu qu’il faut croire

Mais tout caché qu’il est pour révéler sa gloire,

Quels éclatans témoins devant rassemblés.

Répondez Cieux et mers, et vous Terre parlez :

Quel bras peut vous suspendre innombrables étoiles ?

Nuit brillante dis-nous qui t’a donné tes voiles ?

O Cieux ! quelle grandeur et quelle majesté !

J’y reconnais un maître à qui rien n’a coûté ;

Dans vos vastes deserts il seme la lumiere,

Ainsi que dans nos champs il seme la poussiere.

Toi, qu’annonçe l’aurore admirable Hambeau, [fol. 14v]

Astre toujours le même, Astre toujours nouveau,

Par quel ordre, Soleil ! viens-tu du fond de l’onde,

Nous rendre les rayons de ta clarté feconde ?

Tous les jours je t’attends, tu reviens tous les jours,

Est-ce moi qui t’appelle, et qui regle ton cours ?

Et toi dont le courroux fut engloutir la terre,

Mer terrible en ton lit quelle main te ressere ?

Pour forçer ta prison tu fais de vains efforts,

La rage de tes flots expire sur tes bords.

Fais sentir ta vengeançe à çeux dont l’avariçe

Sur ton perfide sein va chercher son suppliçe,

Helas ! prêts à périr t’adressent-ils leurs vœux ?

Ils regardent le Ciel secours des malheureux :

La nature qui parle en çe préril extrême,

Leur fait lever les mains vers l’asile suprême,

Hommage que toujours rend un Cœur effraié !

Au Dieu que jusqu’à lors il avait oublié.

Secourir hautement la vertu malheureuse,

C’est le moindre devoir d’une ame généreuse. [fol. 15r]

Si la vertu n’est rien, pourquoi l’humble innoçençe,

A-t-elle sur nos Cœurs conservé sa puissançe ?

D’où vient qu’une bergere assise sur des fleurs,

Simple dans ses habits, plus simple dans ses mœurs ;

Impose à ses amans surpris de sa sagesse,

Sévére avec douçeur, et tendre sans foiblesse,

Elle a l’art de charmer sans rien devoir à l’art

Son devoir est sa loi, sa défense un regard,

Qui joint à la fierté d’un modeste silençe

Fait tomber à ses pieds l’audaçe et la liçençe.

La mort a ses rigueurs à nulle autre pareilles,

On a beau la prier,

La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles,

Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa Cabane où le Chaume le couvre

Est sujet à ses loix,

Et la garde qui veille aux barrieres du Louvre

N’en défend pour nos Rois. [fol. 15v]

A la foible raison garde-toi de te rendre.

Dieu t’a fait pour l’aimer et non pour le comprendre.

Invisible à tes yeux qu’il regne dans ton Cœur,

Il confond l’injustiçe, il pardonne à l’erreur ;

Mais il punit aussi toute erreur volontaire,

Moi tel ouvre les yeux quand son Soleil t’éclaire.

Du Dieu qui nous créà la clémençe infinie

Pour adouçir les maux de cette courte vie,

A plaçé parmi nous deux Etres bienfaisans

De la Terre à jamais aimables habitants ;

Soutiens dans les travaux, trésors dans l’indigence,

L’un est le doux sommeil, et l’autre est l’espérançe

L’un quand l’homme accable sent de son foible corps

Les organes vaincus sans forçe et sans ressorts,

Vient par un calme heureux secourir la nature

Et lui porter l’oubli des peines qu’elle endure :

L’autre anime nos Cœurs, enflamme nos desirs,

Et même en nous trompant donne de vrais plaisirs,

Mais aux mortels chéris à qui le Ciel l’envoie,

Elle n’inspire point une infidele joie, [fol. 16r]

Elle apporte de Dieu la promesse et l’appui

Elle est inébranlable et pure comme lui.

Le bonheur le plus pur, le plus digne d’envie,

Est celui d’être utile et cher à sa patrie.

Je n’adore qu’un Dieu maître de l’Univers,

Sous qui tremble le Ciel, la Terre, et les enfers ;

Un Dieu qui nous aimant d’un amour infini55 Ms. infinie,

Voulût mourir pour nous avec ignominie :

Et qui par un effort de cet excès d’Amour,

Veut pour nous en victime être offert chaque jour.

Répandez vos bienfaits, avis, magnifiçençes,

Même aux moins vertueux ne les refusez pas

Ne vous informez pas de leur reconnaissançe,

Il est grand, il est beau de faire des ingrats. [fol. 17r]

Recueil de Vers

3sieme Cahier [fol. 17v]

Un Pere à son Fils

Eh quoi ! tu peux dormir encore

N’entends-tu pas çes cris d’amour ?

Réveille-toi, voiçi l’Aurore.

Mon fils, voiçi ton plus beau jour.

C’est à l’autel de la patrie,

Que tu vas marcher sur mes pas.

Cours à cette mere attendrie

Qui t’appelle et t’ouvre ses bras.

2. Mon fils, vois-tu çe Peuple immense

Comme il accourt de toutes parts,

De çes guerriers chers à la Françe

Vois-tu flotter les Etendards ?

C’est à l’Autel de la Patrie,

Que l’amour dirige leurs pas ;

Tous vont à leur mere chérie,

Se dévouer jusqu’au trépas.

3. Dans tes regards brille une flamme

Qui plait à mon Cœur paternel, [fol. 18r]

Ouvre les yeux, fixe ton ame

Sur çe spectacle solemnel.

C’est à l’Autel de la Patrie,

Qu’il faut consacrer tes quinze ans

Et c’est là que l’onneur te crie,

D’apporter tes premiers serments.

4. Tu l’as fait ce serment auguste

Devant la France et devant-moi,

Tu serviras vaillant et juste

La République et la Loi.

C’est à l’Autel de la patrie

Que tu viens de le prononçer.

Plu-tôt perdre çent fois la vie

Que de jamais y renonçer.

5. Il est d’autres serments encore

Qu’exigent ton Pere et l’honneur,

Un Dieu puissant que l’on adore

Va bien-tôt cyspeler ton Cœur.

Mais sur l’autel de la patrie,

A la beauté jure en çe jour

Que jamais sa vertu flétrie

Ne gémira de ton Amour. [fol. 18v]

6. Si d’une belle honnête et sage

Tu sais un jour te faire aimer

Le nœud sacré du mariage,

Est le seul que tu dois former.

Mais à l’Autel de la Patrie,

Couvrez tous les deux vous unir

Et que jamais votre foi trahie

N’ordonne au Ciel de vous punir.

7. Dans cette chaîne fortunée

Si tu deviens pere à ton tour

Pour premier don si l’hyménée

Accorde un fils à ton Amour.

Offre à l’Autel de la Patrie

Ce fruit heureux de ton lien,

Dans ton Cœur c’est elle qui crie

Qu’il est son fils comme le tien.

8. Tu vois ce fer d’un œil d’envie,

Il doit un jour armer tes mains ;

De lui souvent dépend la vie

Où la mort des foibles humains.

C’est à l’Autel de la Patrie

Qu’il faut le suspendre aujourd’hui, [fol. 19r]

N’y touche pas qu’elle ne crie

Prend ce fer j’ai besoin de lui.

9. Quand le temps qui marche en Sileçe

Par d’imperçeptibles efforts,

Aura miné mon éxistençe

Et décomposé ses ressorts.

C’est sous l’Autel de la Patrie

Que tu creuseras mon tombeau,

Est-çe perdre en entier la vie

Que de rentrer dans son berçeau.

Ni l’or, ni la grandeur ne nous rendent heureux

Ces deux Divinités n’accordent à nos vœux,

Que des biens peu çertains, qu’un plaisir peu tranquille,

Des souçis Devorants c’est l’éternel asyle,

Veritable Vautour, que le fils de Japet

Représente, enchaîné sur son triste sommet.

L’humble toit est éxempt d’un tribut si funeste ;

Le sage y vit en paix et méprise le reste.

Contant de ses douçeurs, errant parmi les bois,

Il regarde à ses pieds les favoris des rois ;

Il lit, au front de çeux qu’un vain luxe environne, [fol. 19v]

Que la Fortune vend ce qu’on croit qu’elle donne,

Approche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour,

Rien ne trouble sa fin c’est le soir d’un beau jour.

Attends tout de Dieu seul : crains tout de ta foiblesse,

Porte aux pieds des Autels un Cœur sinçere et pur,

Borné dans ton état, fais ta seule richesse

De jouïr sagement d’un bien modeste et sûr.

Ecoute tes amis mais garde le sileçe ;

Cache au fond de ton cœur leurs secrets, leurs défaits ;

Fait envers les petits éclater ta clémençe ;

Sois humble avec les grands, doux avec tes égaux,

Sois ménager du temps, sobre dans tes suffrages ;

Et du vice orgueilleux désavouant l’appui,

Demande à Dieu le don de souffrir les outrages,

De vivre pour lui seul, et de mourir pour lui.

N’affectez point les éclats,

D’une vertu trop austere

La sagesse atrabillere

Nous irrite et n’instruit pas ;

C’est à la vertu de plaire [fol. 20r]

Le viçe à bien moins d’appas.

Undulgent pour la foiblesse

Que vous voyez en autrui,

Qu’il trouve en vous son appui,

Que son sort vous interesse :

Hélas ! malgré la sagesse

Vous tomberez comme lui.

Favori de la nature,

Le Climat le plus venté,

Par les vents, par la froidure

Voit son espoir avorté

Et la vertu la plus pure

A ses temps d’iniquité.

Apprenez insensés qui cherchez le plaisir,

Que l’art de le connaître, est celui d’en jouir ;

Les plaisirs sont les fleurs que nôtre divin maître

Dans les ronçes du monde au tour de nous fait naître

Chacune à sa saison et par des soins prudents

On peut en conserver dans l’Hiver de nos ans.

Mais il faut les cueillir d’une main legere

On fletrit aisaiment leur beauté passagere. [fol. 20v]

Sonnet de Desbarreaux

Grand Dieu ! tes jugements sont remplis d’équité,

Toujours tu prends plaisir à nous être propiçe,

Mais j’ai tant fait de mal, que jamais ta bonté,

Ne me pardonnera sans blesser ta justiçe.

Oui Seigneur la grandeur de mon iniquité

Ne laisse à ton pouvoir que le choix de suppliçe,

Ton interêt s’oppose à ma feliçité

Et ta clémençe même attend que je périsse.

Contente ton desir puis-qu’il t’est glorieux

Offense-toi des pleurs qui coulent de mes yeux,

Tonne, frappe, il est temps, rends-moi guerre pour guerre

J’adore en périssant la raison qui t’aigrit,

Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre

Qu’il ne soit tout couvert du sang de Jesus-Chrit.

Perisse à jamais l’affreuse politique,

Qui prétend sur les Cœurs un pouvoir despotique,

Qui veut le fer en main convertir les mortels

Qui du sang hérétique arrose les autels ;

Et suivant un faux zele où l’intêret pour guides

Ne sert un Dieu de paix que par des homiçides. [fol. 21r]

Himne à la Liberté

Desçends ô Liberté ! fille de la nature

Le peuple à reconquit son pouvoir immortel

Sur le pompeux débris de l’antique imposture ;

Les mains élevent ton Autel.

Ton aspect réjouit, le mont le plus sauvage

Au milieu des rochers enfante les moissons,

Embelli par tes mains, le plus affreux rivage

Rit environné de glaçons.

Tu double le plaisir, les vertus et le génie,

L’homme est toujours vainqueur, sous tes saints étendards,

Avant de te connaître, il ignore la vie

Il est créé par tes regards.

Au peuple souverain tout le monde fait la guerre.

Qu’à tes pieds ô Déesse ! il tombe désormais,

Bien-tôt sur les Cercueils des Tyrans de la terre

Les peuples vont jurer la paix.

Guerriers libérateurs, raçe puissante et brave,

Armés d’un glaive humain, sanctifiés d’effroi,

Terrassé par vos coups que le dernier esclave,

Suive au tombeau le dernier Roi ! [fol. 21v]

Ah ! si d’une pauvreté dure,

Nous cherchons à nous affranchir,

Rapprochons-nous de la Nature,

Qui seule peut nous enrichir.

Forçons de funestes obstacles ;

Reservons pour nos Tabernacles

Cet or, çes rubis, çes métaux ;

Où dans le sein des mers avides

Jettons çes richesses perfides,

L’unique aliment de nos maux.

Les Cieux instruisent la terre,

A révérer leur auteur

Tout ce que leur globe ensêre,

Celebre un Dieu Créateur.

Quel plus sublime cantique

Que çe conçert magnifique

De tous les celestes corps !

Quelle grandeur infinie,

Quelle divine harmonie

Résulte de leurs accords. [fol. 22r]

Les qualitez du Cœur, l’éxacte probité,

Sont l’ame et le lien de la Soçieté.

Le travail est souvent le pere du plaisir :

Je plains l’homme accablé du poids de son loisir.

Riez quand il le faut, entendez raillerie,

Reprenez sans aigreur, fuiez la flatterie.

Qui veut être prudent doit se ressouvenir

De ne promettre rien qu’il ne puisse tenir.

Ne demandez à Dieu ni gloire ni richesse,

Ni çes biens dont l’éclat rend le peuple étonné :

Mais pour bien commendez demandez la sagesse

Avec un don si saint tout vous sera donné.

Ecoutez et lisez la celeste parole

Que dans les livres saints Dieu nous donne pour loi

La politique humaine au prix d’elle est frivole

Et forme plus souvent un tyran qu’un bon Roi.

Juge des prinçes de la terre,

Grand Dieu ! qui porte dans tes mains

Les tempêtes et le tonnerre, [fol. 22v]

Pour punir l’orgueil des humains :

Arbitre souverain des affaires du monde

Quels que soient les chagrins dont je suis tourmenté

Aujourd’hui mon âme ne fonde

L’espoir de ton secours en ta seule bonté.

A la Religion soyez toujours fidele

Les mœurs et les vertus ne sont rien sans elle.

C’est un arrêt du Ciel, il faut que l’homme meure ;

Tel est son partage et son sort :

Rien n’est plus certain que la mort.

Et rien plus inçertain que cette derniere heure.

Heureuse inçertitude, utile obscurité,

Par où ta divine bonté

A veiller, à prier sans cesse nous convie !

Que ne pouvons-nous point avec un tel secours,

Qui nous fait regarder tous les jours de la vie,

Comme le dernier de nos jours.

Le chagrin très souvent nait de l’inaction,

Sachez le prévenir par l’occupation. [fol. 23r]

Heureux qui du Ciel occupé

Et d’un faux éclat détrompé,

Met de bonne heure en lui toute son espérançe !

Il protege la vérité,

Et saura prendre la défense

Du juste que l’impie aura persécuté.

Renonçons au steril appui

Des grands qu’on adore aujourd’hui

Ne fondons point sur eux une espérance folle.

Leur pompe indigne de nos vœux,

N’est qu’un simulacre frivole,

Et les solides biens ne dépendent pas d’eux.

O Dieu ! que ton pouvoir est grand et redoutable !

Qui pourra se cacher au trait inévitable

Dont tu poursuis l’impie au jour de ta fureur ?

A punir les méchants ta colere fidelle,

Fait marcher devant elle

La mort et la terreur.

Justes ne craignez point le vain pouvoir des hommes

Quelques élévés qu’ils soient, ils sont ce que nous sommes. [fol. 23v]

Insensés ! notre ame se livre

A de tumultueux projets.

Nous mourons, sans avoir jamais

Pût trouver le moment de vivre.

Aimez la vérité, qu’elle seule vous touche ;

Fermez à tout mensonge et l’oreille et la bouche.

La joie est naturelle aux âmes innoçentes,

Autant que la tristesse aux âmes malfaisantes.

Un fils ne s’arme point contre un coupable pere

Il détourne les yeux, le plaint et le révére.

Les hommes sont égaux, ce n’est point la naissançe

C’est la seule vertu qui fait leur différençe.

Le bonheur peut conduire à la grandeur suprême,

Mais pour y renonçer il faut la vertu même.

Négligez les plaisirs funestes aux humains :

La douleur qui les suit apprend qu’ils sont bien vains. [fol. 24]

Sur ton esprit fais un effort,

Apprend, n’en perd jamais l’envie,

Car l’ignorançe en cette vie,

Est un[e]66 Ms. un image de la mort.

L’amour propre est toujours un Conducteur perfide

Jamais à ses conseils il ne faut se livrer

Quiconque craint de s’égarer

Ne doit pas le prendre pour guide.

Que peuvent contre Dieu tous les Rois de la terre

En vain ils s’uniraient pour lui faire la guerre ;

Pour dissiper leur ligue il n’a qu’à se montrer,

Il parle et dans la poudre, il les fait tous rentrer.

Au seul son de sa voix, la mer fuit, le Ciel tremble ;

Il voit comme un néant tout l’univers ensemble. [fol. 25r]

Recueil de Vers

4trieme Cahier [fol. 25v]

Vers tirés des fragments d’Artémire

Si mes yeux occupés à pleurer ma misere,

Ne voyaient dans le Roi que l’assassin d’un pere,

Si j’écoutais son crime et mon Cœur irrité,

Cassandre perirait : il l’a trop mérité.

Mais il est mon Epoux quoique indigne de l’être,

Le Ciel qui me poursuit me l’a donné pour maître

Je connais mon devoir et sais ce que je dois,

Aux nœuds infortunés qui l’unissent à moi.

Qu’à son gré dans mon Sang il éteigne sa rage

Des Dieux qu’il a bravés il est pour moi l’Image ;

Je n’acçepterait point le bras que vous m’offrez

Il peut trancher mes jours les siens me sont sacrés :

Et j’aime mieux Seigneur dans mon sort déplorable

Mourir par ses forfaits que de vivre coupable.

Vers tirés de la Tragédie de Brutus [fol. 26r]

Titus

A un infortuné daignez ouvrir les bras,

Dites au moins : « Mon fils Brutus ne te hait pas.

Ce mot seul me rendant mes vertus et ma gloire,

De la honte où je suis défendra ma mémoire.

On dira que Titus desçendant chez les morts :

Eût un regard de vous pour prix de ses remords,

Que vous l’aimiez encore et que malgré son crime,

Votre fils dans la tombe emporta votre estime.

Brutus

Ses remords me l’arrachent. O Rome ! ô mon Paÿs !

Proculus… à la mort que l’on mene mon fils.

Leve-toi cher objet d’horreur et de tendrese,

Leve-toi cher appui qu’espérait ma vieillesse !

Viens embrasser ton pere, il t’a dû condamner,

Mais s’il n’était Brutus il t’allait pardonner.

Mes pleurs en te parlant innondent ton visage ;

Vas, porte à ton suppliçe un plus noble courage : [fol. 26v]

Vas, ne t’attendrit point, soit plus Romain que moi,

Et que Rome t’admire, en se vengeant de toi.

Titus

Adieu, je vais périr digne encore de mon pere.

On l’enmene.

Vers tirés de la Tragédie de Zaire

Fatime

Je ne m’attendais pas jeune et belle Zaïre,

Aux nouveaux sentiments que çe lieu vous inspire ?

Quel espoir si flatteur où quels heureux destins,

De vos jours ténébreux ont fait des jours sereins ?

La paix de votre Cœur augmente avec vos charmes,

Cet éclat de vos yeux n’est plus terni de larmes ;

Vous ne les tournez plus vers çes heureux climats

Où ce brave Français devait guider nos pas ;

Vous ne me parlez plus de çes belles contrées,

Où d’un peuple poli les femmes adorées ;

Reçoivent cet ençens que l’on doit à vos yeux

Compagnes d’un époux et Reines en tous lieux : [fol. 27r]

Libres sans déshonneur, et sages sans contrainte.

Et ne devant jamais leurs vertus à la crainte ;

Ne soupirez-vous plus pour cette liberté ?

Le Serail d’un Soudan, sa triste austerité,

Ce nom d’Esclave enfin n’a t’il rien qui vous gêne ?

Préférez-vous Solime aux bords de la Seine ?

Zaïre

L’on ne peut desirer ce que l’on ne connaît pas,

Sur le bord du Jourdain le Ciel fixa nos pas ;

Au serail des Soudans dès l’enfançe enfermée

Tous les jours ma raison s’y voit accoutumée.

Tout le reste du monde indifférent pour moi,

M’abandonne au Soudan qui nous tient sous sa loi ;

Je ne connais que lui sa gloire, sa puissançe

Vivre sous Orosmane est ma seule espérançe

Le reste est un vain songe.

Fatime

Avez-vous oublié ?

Ce généreux Français dont la tendre amitié,

Nous promit si long-temps de rompre notre chaîne

Combien vous admiriez son audaçe hautaine ; [fol. 27v]

Combien il acquit de gloire dans çes tristes combats,

Perdus par les Chrétiens sous les murs de Damas :

Orosmane vainqueur admirant son courage

Le laissa sur sa foi partir de çe rivage ;

Nous l’attendons encore, sa générosité

Promit de paier le prix de notre liberté.

N’en aurions-nous conçu qu’en77 Ms. ne vaine espérançe ?

Zaïre

Peut-être sa promesse a passé sa puissance.

Depuis près de deux ans il n’est pas revenu ;

Un étranger Fatime, un captif inconnu,

Promet beaucoup, tient peu, permet à son courage

Des serments indiscrets pour sortir d’esclavage :

Il devait délivrer dix Chevaliers Chrétiens,

Venir rompre leurs fers où reprendre les siens,

J’admirais trop en lui cet inutile zele,

Il n’y faut pas penser.

Fatime

Mais s’il était fidele,

S’il revenait enfin dégager ses serments, [fol. 28r]

Ne voudriez-vous pas ?

Zaïre

Fatime il n’est plus temps,

Tout est changé.

Fatime

Comment ? que pretendez-vous dire ?

Zaire

Va, c’est trop [...]88 Ms. mot incompréhensible. le destin de Zaïre.

Le secret du Soudan doit encore se cacher,

Mais mon Cœur dans le tien se plaît à s’épancher.

Depuis plus de trois mois, qu’avec d’autres captives,

On nous fît du Jourdain abandonner les rives ;

Le Ciel pour finir les malheurs de nos jours,

D’une main plus puissante a choisi le secours.

Ce superbe Orosmane.

Fatime

Hébien ?

Zaïre

Ce Soudan même

Ce vainqueur des Chrétiens, chere Fatime, il m’aime. [fol. 28v]

Tu rugis, je t’endends, garde-toi de penser,

Qu’à briguer ses soupirs je puisse m’abaisser,

Et que d’un maître orgueilleux la superbe tendresse

M’offre l’honneur honteux du rang de sa maîtresse ;

Non, plû-tôt que jusque-là s’abaisse mon orgueil

Je verrai sans pâlir les fers et le Cercueil.

Mais je vais t’étonner, son superbe courage

A mes foibles appas présente un pur hommage,

Parmi tant d’objets à lui plaire empressés

J’ai fixé ses regards à moi seule adressés,

Et l’hymen confondant leurs intrigues fatales,

Me soumettra bien-tôt son Cœur et mes rivales.

Fatime

Vos appas, vos vertus sont dignes de çe prix,

Mon Cœur en est flatté plus qu’il n’en est surpris

Que vos féliçités s’il se peut soient parfaites,

Je me vois avec joie au rang de vos sujettes.

Zaïre

Sois toujours mon égale et goûte mon bonheur,

Avec toi partagé, je sens mieux sa douçeur [fol. 29r]

Fatime

Hélas ! puisse le Ciel souffrir cette hyménée,

Puisse cette grandeur qui vous est destinée,

Qu’on nomme si souvent du faux nom de bonheur

Ne point laisser de trouble au fond de votre Cœur.

N’est-il point en secret de frein qui vous retienne ?

Ne vous souvient-il plus que vous fûtes Chretienne ?

Zaïre

Ah ! que dis-tu, pourquoi rappeler mes ennuis !

Chere Fatime ! hélas ! sais-je çe que je suis ?

Le Ciel m’a t’il jamais permis de me connaître,

Ne m’a t’il caché le sang qui m’a fait naître ?

Fatime

Nérestan qui naquit non loin de çe séjour

Vous dit que d’un Chrétien vous reçutes le jour.

Que dis-je cette croix qui sur vous fût trouvée

Parure de l’Enfençe avec soin conservée,

Ce signe des Chrétiens que l’art dérobe aux yeux

Sous le brillant éclat, d’un travail préçieux ;

Cette croix dont çent fois, mes soins vous ont parée, [fol. 29v]

Peut-être entre vos mains est-elle démeurée,

Comme un gage secret de la fidélité,

Que vous deviez au Dieu que vous avez quitté.

Zaïre

Je n’ai point d’autres preuves et mon Cœur qui s’ignore,

Peut-il admettre un Dieu que mon amant abhorre

Crois-moi, des premiers soins qu’on prend de notre enfançe,

Dépendent nos vertus, nos mœurs, notre croyançe ;

J’eusse été près du Gange esclave des faux Dieux,

Chretienne Dans Parés, Musulmane en çes lieux.

L’instruction fait tout et la main de nos peres,

Grace dans nos foibles cœurs çes premiers caracteres.

Au Gerald des Soudans tu ne fûs enfermée,

Que lors-que ta raison par l’âge accoutumée,

Pour éclairer ta foi te prêtait son flambeau,

Pour moi des Sarasins esclave dès mon berçeau,

La foi de nos Chrétiens me fût trop tard connue,

Loin cependant contre elle d’être prévenue, [fol. 30r]

J’honore, je chéris çes charitables loix,

Dont içi Nérestan me parla tant de fois,

Ces loix qui du prochain soulageant la misere

Des humains attendris font un peuple de freres.

Obligés de s’aimer ils sont sans doute heureux ?

Fatime

Pourquoi donc aujourd’hui vous déclarez contre eux ?

A la loi Musulmane à jamais asservie,

Vous allez des Chretiens devenir l’ennemie ;

Vous allez épouser leur superbe Vainqueur.

Zaïre

Qui pourrait lui refuser le présent de son Cœur ?

De toute ma foiblesse il faut que je convienne,

Peut-être sans lui j’aurais êté Chretienne

Peut-être à ta loi aurais-je sacrifié,

Mais Orosmane m’aime et j’ai tout oublié ;

Je ne vois qu’Orosmane et mon ame énivrée,

Ne jouit que du plaisir de s’envoir adorée :

Mets-toi devant les yeux sa gloire, ses exploits,

Songe à ce bras puissant vainqueur de tant de rois, [fol. 30v]

A cet aimable front que la gloire environne

Je ne te parle point du Sceptre qu’il me donne.

Non, la reconnaissançe est un foible retour

Un tribut offensant, trop peu fait pour l’amour :

Mon Cœur aime Orosmane et non son Diadême,

Chere Fatime en lui je n’aime que lui-même.

Si comme moi dans les fers il eût passé sa vie,

Si le Ciel sous mes loix eût rengé la Syrie ;

Où mon Cœur me trompe où Zaïre aujourd’hui,

Pour l’élever jusqu’à soi desçendrait jusqu’à lui.

Mais on vient dans çes lieux. Sans doute c’est lui-même

Mon Cœur qui me prévient, m’annonçe çe que j’aime.

Depuis deux jours Fatime absent de çe Palais,

Enfin son tendre amour le rend à mes souhaits.

Zaire, Orosmane, Fatime, Corasmin.

Corasmin

Cet Esclave Seigneur,

Qui sur sa foi a passé dans la Françe, [fol. 31r]

Revient au moment même et demande audiençe ?

Orosmane

Il peut entrer. Pourquoi ne vient-il pas ?

Corasmin

Dans la premiere ençeinte il arrête ses pas.

Je n’ai pas cru, Seigneur, qu’aux regards de son maître,

Dans çes augustes lieux un Chretien pût paroître.

Orosmane

Il peut paroître toute-fois sans manquer de respect,

Chacun peut désormais jouir de mon aspect,

Je vois avec mépris çes maximes terribles,

Qui font de tant de rois des tyrans invisibles.

Zaire, Orosmane, Fatime, Corasmin, Nérestan.

Nérestan.

Respectable ennemi qu’estiment les Chrétiens,

Je reviens dégager mes serments et les tiens,

J’ai satisfait à tout, c’est à toi d’y souscrire,

Je t’ai fait apporter la rançon de Zaïre,

Et celle de Fatime et de dix Chevaliers, [fol. 31v]

Dans les murs de Solime, illustres prisonniers

Leur liberté par moi, trop long-temps retardée,

Quand je reparoîtrai leur dût être accordée,

Sultan, tiens ta parole, ils ne sont plus à toi,

Et dès çe moment même ils sont libres par moi.

Mais graçe à mes soins quand leur chêne est brisé99 Ms. brisée,

A t’en payer le prix ma fortune épuisée,

Je ne le çele pas, m’ôte l’espoir heureux,

De faire içi pour moi çe que j’ai fait pour eux.

Une pauvreté noble est tout ce qui me reste

J’arrache des Chrétiens à leur prison funeste,

Je remplis mes serments, mon honneur, mon devoir,

Il suffit, je viens me mettre en ton pouvoir :

Je me rends prisonnier et demeure en ôtage.

Orosmane

Chretien je suis content de ton noble courage.

Mais ton orgueil içi se serait-il flatté,

D’effaçer Orosmane en générosité ? [fol. 32r]

Reprends ta liberté, remporte tes richesses,

A l’or de çes rançons joins me justes largesses :

Au lieu de dix Chrétiens que je dûs t’accorder,

Je t’en veux donner çent, tu peu[x]1010 Ms. peut les demander.

Qu’ils aillent sur tes pas apprendre à ta patrie,

Qu’il est quelques vertus au fond de la Sirie,

Qu’ils jugent en partant qui méritait le mieux

Des Français où de moi l’Empire de çes lieux ?

Mais parmi çes Chrétiens que ma bonté délivre

Lusignan ne fût point réservé pour te suivre,

Il est du sang Français qui regnait à Solime

On sçait son droit au trône et çe droit est un crime ;

Lusignan dans les fers finira sa carriere,

Et jamais du Soleil ne verra la lumiere.

Je le plains ; mais pardonne à la néçessité

Ce reste de vengeançe et de séverité.

Pour Zaïre, crois-moi, sans que ton Cœur s’offense

Elle n’est pas d’un prix qui soit en ta puissançe,

Tes Chevaliers Français et leurs souverains

L’uniraient vainement pour l’ôter de mes mains ;

Tu peux partir.

Nerestan

Qu’entends-je ! elle naquit Chretienne !

J’ai pour la délivrer ta parole et la sienne.

Et quand à Lusignan çe Vieillard malheureux

Pourrait-il ?

Orosmane

Je t’ai dit Chrétien que je le veux.

J’honore ta vertu mais cette humeur altiere

Se faisant admirer commence à me déplaire.

Sort et que le Soleil lévé sur tes élats,

Demain, près du Jourdain ne te retrouve pas. [fol. 33r]

Recueil de Vers

5quieme Cahier [fol. 33v]

Continuation des Vers tirés de Zaïre

Zaïre, Nerestan, Châtillon

Zaïre

C’est vous digne Français à qui je viens parler,

Le Soudan le permet, çessez de vous troubler

Et rassurant mon Cœur qui tremble à votre approche,

Chassez de vos regards la plainte et le reproche.

Seigneur, nous nous craignons, nous rougissons tous deux.

Je souhaite et je crains de rencontrer vos yeux ;

L’un à l’autre attachés depuis notre naissance,

Une affreuse prison renferma notre enfançe ;

Le sort nous accabla du poids des mêmes fers,

Que la tendre amitié nous rendit si legers.

Il me fallût depuis gémir de votre absençe ;

Le Ciel porta vos pas aux rives de la Françe :

Prisonnier dans Solime enfin je vous revis

Un entretien plus libre alors me fût permis.

Esclave dans la foule où j’étais confondue

Aux regards du Soudan je vivais inconnue. [fol. 34r]

Vous daîgnates bien-tôt soit grandeur, soit pitié

Soit plu-tôt digne effet d’une tendre amitié

Revoyant des Français le glorieux empire

Y1111 Ms. J chercher la rançon de la triste Zaïre :

Vous l’apportez : le Ciel a trompé vos bienfaits ;

Loin de vous dans Solime, il me retient à jamais.

Mais quoique ma fortune ait d’éclat et de charmes,

Je ne puis vous quitter sans répandre de larmes.

Toujours de vos bontés je vais m’entretenir

Chérir de vos vertus le tendre souvenir,

Comme vous des humains soulager la misere,

Protéger les Chrétiens, leur tenir lieu de mere :

Vous me les rendez chers, et çes infortunés...

Nerestan

Vous les protéger ! vous qui les abbandonnez !

Vous qui des Lusignans foulant aux pieds la çendre...

Zaïre

Je la viens honorer, Seigneur je viens vous rendre,

Le dernier de çe sang, votre amour, votre espoir,

Oui, Lusignan est libre et vous l’aller voir. [fol. 34v]

Chatillon

O Ciel ! nous reverrions notre appui, notre pere !

Nerestan

Les Chrétiens vous devraient une tête si chere ?

Zaire

J’avais sans espoir osé la demander ;

Le généreux Soudan veut bien nous l’accorder :

On l’amene en çes lieux.

Nerestan

Que mon ame est émue !

Zaïre

Mes larmes malgré moi me dérobent sa vue :

Ainsi que çe Vieillard j’ai langui dans les fers,

Qui ne sait compatir aux maux qu’on à souffers.

Nerestan

Grand Dieu que de Vertus dans une ame infidele.

Zaïre, Nerestan, Châtillon, Lusignan.

Lusignan

Du séjour de trépas quelle voix me rappelle ? [fol. 35r]

Suis-je avec des Chrétiens, guidez mes pas tremblants,

Mes maux m’ont affoibli plus encore que mes ans.

Suis-je libre en effet.

Zaïre

Oui, Seigneur ! oui, vous l’êtes !

Châtillon

Vous vivez, vous calmez nos douleurs inquietes.

Tous nos tristes Chretiens…

Lusignan

O jour ! ô douçe voix !

Châtillon c’est donc vous, c’est vous que je revois !

Martir ainsi que moi de la foi de nos peres,

Le Dieu que nous servons finît-il nos miseres ?

En quels lieux sommes-nous ? aidez mes foibles yeux ?

Chatillon

C’est içi le Palais qu’ont bâti vos ayeux ;

Du fils de Noradin c’est le séjour profane.

Zaïre

Le maître de çes lieux, le puissant Orosmane, [fol. 35v]

Sçait connaître Seigneur et chérir la vertu.

Ce généreux Français qui vous est inconnu (en montrant Nerestan)

Par la gloire amené des rives de la Françe,

Venait de dix Chrétiens paier la délivrançe ;

Le Soudan comme lui gouverné par l’honneur

Croit en vous délivrant égaler son grand Cœur.

Lusignan

Des Chevaliers Français tel est le caractere,

Leur noblesse en tout-temps me fût utile et chere.

Trop digne Chevalier, quoi ! vous passez les mers

Pour soulager nos maux et pour rompre nos fers !

Ah parlez ! à qui dois-je un serviçe si rare ?

Nerestan

Mon nom est Nerestan, le sort long-temps barbare,

Qui dans les fers içi me mît presque en naissant,

Me fît quitter bien-tôt l’empire du croissant :

A la Cour de Louis guidé par mon courage,

De la guerre sous lui j’ai fait l’apprentissage :

Ma fortune et mon rang sont un don de çe Roi, [fol. 36r]

Si grand par sa valeur et plus grand par sa foi.

Je le suivis Seigneur au bord de la Charente,

Lorsque du fier Anglais la valeur ménaçente,

Cédant à nos efforts trop long-temps captivés

Satisfît, en tombant aux lis qu’ils ont bravés.

Venez Prinçe, montrez au plus grand des Monarques,

De vos fers glorieux les vénérables marques,

Paris va révérer le martir de la croix,

Et la Cour de Louis est l’asile des rois.

Lusignan

Hélas ! de cette Cour j’ai vû jadis la gloire,

Quand Philippe à Bovine enchaînait la victoire,

Je combattais Seigneur avec Montmorençi

Melun, d’Estaing, de Nefle et çe fameux Couçi.

Mais à revoir Paris je ne dois plus prétendre,

Vous voyez qu’au tombeau je suis prêt à desçendre :

Je vais au Roi des rois demander aujourd’hui,

Le prix de tous les maux que j’ai souffert pour lui.

Vous généreux témoins de mon heure derniere,

Tandis qu’il en est temps, écoutez ma priere : [fol. 36v]

Nerestan, Châtillon, et vous de qui les pleurs

Dans çes moments si chers honorent mes malheurs,

Madame, ayez pitié du plus malheureux pere,

Qui jamais aît du Ciel éprouvé la colere,

Qui répand devant vous des larmes que le temps

Ne peut encore tenir dans mes yeux expirants ;

Une fille, trois fils, ma superbe espérançe,

Me furent arrachès dès leur plus tendre enfançe :

O mon cher Châtillon ! tu dois t’en souvenir ?

Châtillon

De vos malheurs encore vous me voyez frémir.

Lusignan

Prisonnier avec moi dans Cesarée en flamme,

Tes yeux virent périr mes deux fils et ma femme ?

Châtillon

Mon bras chargé de fers ne les pût secourir.

Lusignan

Hélas ! et j’étais pere et je ne pûs meurir !

Veillez du haut des Cieux chers enfants que j’implore

Sur mes autres enfants s’ils sont vivants encore. [fol. 37r]

Mon dernier fils, ma fille aux chaînes réservés,

Par de barbares mains pour servir conservés ;

Loin d’un pere accablé furent portés ensemble

Dans çe même Serail où le Ciel nous rassemble.

Châtillon

Il est vrai dans l’horreux de çe péril nouveau

Je tenai votre fille à peine en son berçeau ;

Ne pouvant la sauver, Seigneur, j’allai moi-même

Répandre sur son front l’eau sainte du Bathême,

Lorsque les Sarasins de carnage fumans,

Revinrent l’arracher à mes bras tout sanglans.

Votre plus jeune fils à qui les destinées

Avaient à peine encore accordé quatre années,

Trop capable déjà de sentir son malheur,

Fût dans Jerusalem ammené avec sa Sœur.

Nérestan

De quel ressouvenir affreux mon ame est déchirée

A cet âge fatal j’étai[s]1212 Ms. j’était dans Cesarée,

Et tout couvert de sang et chargé de liens,

Je suivis en çes lieux la foule des Chrétiens. [fol. 37v]

Lusignan

Vous Seigneur, ce Serail éleva votre enfançe. (En les regardant)

Hélas ! de mes enfants auriez-vous connaissançe ?

Ils seraient de votre âge et peut-être mes yeux...

Quel ornement Madame étranger en çes lieux,

Depuis quand l’avez-vous ?

Zaïre

Depuis que je respire.

Seigneur… eh quoi ! d’où vient que votre ame soupire ?

Lusignan

Ah, daignez confier à mes tremblantes mains…

Zaïre

De quel trouble nouveaux [...]1313 Ms. forme incompréhensible : foços ? mes sens sont attaints !

Seigneur que faîtes-vous ?

Lusignan

O Ciel ! ô providençe !

Mes yeux ne trompez point ma timide espérançe,

Serait-il possible ? oui, c’est elle je voi[s]1414 Ms. voi ?

Ce présent qu’une Epouse avait reçu de moi, [fol. 38r]

Et qui de mes enfants ornait toujours la tête,

Lorsque de leur naissançe on çelebrait la fête.

Je revois… je succombe à mon saisissement !...

Zaire

Qu’entends-je ? et quel soupçon m’agite en çe moment ?

Ah Seigneur !...

Lusignan

Dans l’espoir dont j’entrevois les charmes,

Ne m’abandonnez pas Dieu qui voyez mes larmes !

Dieu mort sur cette croix et qui revis pour nous,

Parle, acheve, ô mon Dieu ! çe sont là de tes coups !

Quoi ! Madame entre vos mains elle était demeurée ?

Quoi ! tous les deux captifs et pris dans Cesarée ?...

Zaire

Oui, Seigneur.

Nerestan

Se peut-il ?

Lusignan

Leurs paroles, leurs traits,

De leur mere en effet sont les vivants portraits... [fol. 38v]

Oui grand Dieu ! tu le veux, tu permets que je voie,

Dieu ranime mes sens trop foibles pour ma joie !

Madame… Nerestan… soutiens-moi Châtillon…

Nerestan, si je dois vous nommer de çe nom,

Avez-vous dans le sein la cicatriçe heureuse

Du fer dont à mes yeux une main furieuse ?

Nerestan

Oui Seigneur, il est vrai.

Lusignan

Dieu juste, heureux momens,

Nerestan se jettant à genoux.

Ah Seigneur ! ah Zaïre !

Lusignan

Approchez mes enfants.

Nerestan

Moi, votre fils !

Zaïre

Seigneur !

Lusignan

Heureux jour qui m’éclaire ! [fol. 39r]

Ma fille, mon cher fils embrassez votre pere.

Châtillon

Que d’un bonheur si grand mon Cœur se sent toucher !

Lusignan

De vos bras mes enfants je ne puis m’arracher.

Je vous revois enfin chere et triste famille,

Mon fils, digne héritier, vous… hélas, vous ma fille !

Dissipez mes soupçons, ôtez-moi cette horreur,

Ce trouble qui m’accable au comble du bonheur.

Toi qui seul a conduit sa fortune et la mienne,

Mon Dieu qui me la rends, me la rends-tu Chrétienne ?

Tu pleures malheureuse, et tu baisses les yeux,

Tu t’étais ! je t’endends ! ô crime ! ô justes cieux !

Zaïre

Je ne puis vous le cacher, sous les lois d’Orosmane,

Punissez votre fille, elle était Musulmane.

Lusignan

Que la foudre en éclats ne tombe que sur moi !

Ah ! mon fils, à çes mots j’eusse expiré sans toi.

Mon Dieu, j’ai combattu soixante ans pour ta gloire [fol. 39v]

J’ai vû tomber son temple et périr ta mémoire !

Dans un cachot affreux abandonné vingt ans,

Mes larmes t’imploraient pour mes tristes enfants ;

Et lorsque ma famille par toi est réunie

Quand je revois ma fille elle est ton ennemie !...

Je suis bien malheureux, c’est ton pere, c’est moi,

C’est ma seule prison qui t’a ravit ta foi.

Ma fille, tendre objet de mes dernieres peines,

Songe au moins, songe au sang qui coule dans tes veines.

C’est le sang de vingt Rois tous Chrétiens comme moi,

C’est le sang des héros défenseurs de ma foi,

C’est le sang des martirs. O fille encore trop chere !

Connais-tu ton destin ? sais-tu quelle est ta mere ?

Sais-tu bien qu’à l’instant que son flane mit au jour

Ce triste et dernier fruit d’un malheureux amour,

Je la vis massacrer par la main forçénée

Par la main des brigands à qui tu t’es donnée ?

Tes freres çes martirs égorgés à mes yeux,

T’ouvrent leurs bras sanglants tendus du haut des Cieux ;

Ton Dieu que tu trahi[s]1515 Ms. trahit, ton Dieu que tu blasphemes, [fol. 40r]

Pour toi, pour l’Univers est mort en çes lieux mêmes,

En çes lieux où mon bras le servit tant de fois,

En çes lieux où son sang te parle par ma voix,

Vois çes murs, vois çe Temple envahi par tes maîtres :

Tout annonçe le Dieu qu’on [a]1616 Ms. on vengé vengé tes ançêtres.

Tourne les yeux, sa tombe est près de çe Palais,

C’est içi la montagne où laveant nos forfaits,

Il voulût expirer sous les coups de l’impie,

C’est là que de sa tombe il rappela sa vie.

Tu ne saurais marcher dans cet auguste lieu,

Tu n’y peu[x]1717 Ms. peut faire un pas sans y trouver ton Dieu ;

Et tu n’y peu[x]1818 Ms. peut rester sans renier ton pere

Ton honneur qui te parle et ton Dieu qui t’éclaire.

Je te vois dans mes bras et pleurer et frémir

Sur ton front palissant Dieu met le repentir :

Je vois la vérité dans ton Cœur desçendue,

Je retrouve ma fille après l’avoir perdue,

Et je reprendre ma gloire, et ma féliçité,

En dérobant mon sang à l’infidelité.

Nerestan

Je revois donc ma Sœur, et son ame…

Zaïre

Ah, Mon pere !

Cher auteur de mes jours, parlez : que dois-je faire ?...

Lusignan

M’ôter par un seul mot ma honte, mes ennuis,

Dire : je suis Chretienne.

Zaïre

Oui… Seigneur… je le suis. [fol. 41r]

Recueil de Vers

6xieme Cahier [fol. 41v]

La Statue de l’Amitié

Tirée d’un petit recueil

de M. le Fevre

Amitié, ma voix t’implore,

L’amour peut-il t’égaler ?

Comme la vermeille aurore

Tu brilles sans nous brûler ;

Sur tes pas je m’abandonne,

Tu ne promets pas en vain,

L’aimable paix t’environne

Le bonheur nait sous ta main.

Ainsi parlait Cléonice,

Elle n’avait que quinze ans ;

Douçe erreur d’une noviçe,

Qui fait ses premiers serments.

A l’Idole qui l’enchante

Un petit Temple est dressé, [fol. 42r]

Par la belle indifférente,

Soir et matin ençensé.

Mais il lui faut une image

Qui lui rappelle ses traits ;

Les arts pour ce digne ouvrage,

Seront-ils assez parfaits ?

Elle court chez Praxitele

Veut un chef-d’œuvre à l’instant,

Sa chimere était si belle,

Son buste sera charmant !

L’artiste expose à sa vue,

L’amitié, mais comme elle est,

Simple, mâle, retenue,

Sans graçe et sans apprêt.

L’art n’a point rendu, dit-elle,

Ses traits, son air enchanteur,

Voulez-vous un sûr modele ?

Il est gravé dans mon Cœur.

Non loin sur un lit d’albâtre.

Repose un aimable enfant : [fol. 42v]

Voilà ce que j’ydolâtre,

Dit-elle en s’en emparant.

Eh ! quoi donc ! belle ingénue,

De l’amitié en ce jour,

Vous demandiez la Statue

Et vous emportez l’amour.

L’amitié consolation de la Vieillesse.

Quand la vieillesse commençe,

La douçeur de soupirer,

Est l’unique jouissançe,

Qu’il soit permis d’espérer.

L’amour fuit, l’amitié tendre,

Ose alors lui ressembler,

Mais trop peu pour rien pretendre

Assez pour nous consoler.

Adieu folle et douçe ivresse

Que je pris pour le bonheur ; [fol. 43r]

J’eus des sens dans ma Jeunesse,

Il me reste encore un Cœur,

Que celle à qui je le donne,

Daigne en approuver l’ardeur ;

Je dirais mes jours d’Automne,

Ont encore quelque chaleur.

Pour l’amour tout est martire,

Enthousiasme où fureur,

Pour l’amitié qui soupire

Tout est plaisir et faveur.

Egle regne sur mon ame,

Sans en troubler le repos,

Et mes desirs, et ma flamme,

N’allarment point mes Rivaux.

Je la verrais poursuivie,

Par la foule des amours,

Et le déclin de ma vie

Jouira de ses beaux jours. [fol. 43v]

Telle sur tige inclinée,

Un vieux Chêne de cent ans,

Croit renaître chaque année,

Avec les fleurs du Printemps.

Le Tourtereau tué à la Chasse

Cœur par où regnait l’innoçençe,

Touchante Image du bonheur,

Modele heureux de la constançe

Simbôle aîle de la douçeur :

D’un plomb que le Salpêtre anime,

Tu reçois le coup dans tes flancs,

Tu meurs hélas triste victime,

De nos cruels amusements !

J’ai vu… j’ai vu te jeune amante

Sensible au coup qu’on t’a porté

S’éloigner d’une aîle tremblante,

Et fuir d’un vol préçipité.

Heureuse si la main cruelle,

Sans qui tu tombas expirant ; [fol. 44r]

L’eût par une atteinte mortelle,

Rejointe à son fidele amant.

Je la suivis dans un bocage

Où s’énivrant de ses douleurs

Son triste et douloureux ramage

A mes yeux arracha des pleurs ;

De l’écho la Nimphe attendrie

Répéta ses tendres acçens,

Ecoute-les ombre chérie,

Je les retin[s]1919 Ms. retint, je te les rends :

„Ainsi l’on t’enléve à ma flamme,

„Ainsi s’éteignent nos amours !

„La mort sans respecter leur trame

„A pü trancher de si beaux jours !

„Quel crime ?... peut-être infidele ?

„Non, non, tu ne le füs jamais,

„Nôtre tendresse mutuelle,

„Servait d’éxemple en nos fôrets.

„Un même jour nous donna l’être [fol. 44v]

„D’époux constants gages chéris,

„Un même berçeau nous vit naître

„Toujours heureux, toujours unis ;

„L’himen devait, amants encore

„Couronner nos tendres desirs,

„Quand le Printemps eût fait éclore

„Un sanctuaire à nos plaisirs.

„De çe témoin de ma tendresse,

„De l’arbre où je reçus ta foi,

„Entends la voix de ma tristesse

„Ombre chérie, écoute-moi :

„Aux pleurs je consacre le reste.

„Des jours destinés au bonheur,

„Tu meurs frappé d’un coup funeste,

„Moi, je mourrais de ma douleur.”

On sait qu’à leurs moitiés fideles

Dans leurs tendres engagements,

Les innoçentes tourterelles

Gardent la foi de leurs serments : [fol. 45r]

Depuis çe jour triste, mourante

Elle confie à nos fôrets

D’une voix plaintive et touchante,

Ses pleurs, son amour, ses regrets.

Toi dont le souvenir si tendre,

Pour jamais nourrira mon Cœur,

Charmant oiseau, puisse te çendre,

Etre sensible à sa douleur !

Puisse-je au gré de ma tendresse,

Comme toi pour t’avoir chanté,

Vivre chéri de ma maîtresse

Et mourir aussi regretté.

Edwin et Emma

Au fond d’une heureuse vallée

Dans l’ençeinte d’un bois épais,

Une humble chaumiere isolée,

Cachait l’innoçence et la paix.

Là vivant (c’est en Angleterre)

Une mere dont le desir, [fol. 45v]

Etait de laisser sur la terre

Sa fille heureuse et puis mourir.

Par sa beauté, par sa sagesse,

Emma faisait sans le savoir,

Languir les garçons de tendresse

Et les files de désespoir.

Par hasard s’offrit à la belle

Edwin dont le simple regard ;

D’une ardeur chaste et mutuelle

Devait toucher un Cœur sans fard.

Emma ne fût point offensée

Des vœux d’un amant ingénu,

Car il n’avait point de pensée

Qu’il dût cacher à la vertu.

Mais un pere avare et sauvage

Refuse à l’amant écouté,

Une fille sans apanage

Qui n’a pour dot que sa beauté.

A l’autorité paternelle, [fol. 46r]

Que rien ne saurait désarmer,

Edwin n’osait être rebelle

Mais ne pouvait cesser d’aimer

Ce pauvre amant passe, repasse,

Non chez Emma, mais tout au-tour,

Surprend un coup d’œil, mit la plaçe

Qu’elle arrosait de pleurs d’amour.

Souvent la nuit, au clair de Lune,

L’entend près de l’humble jardin,

Lamenter leur triste infortune,

Jusqu’à l’aube du matin.

Bien-tôt cet état qui l’opresse

Jamais se voir, toujours s’aimer,

Dans l’insomnie et la tristesse

Acheve de le consumer.

Edwin sous les yeux de son pere,

Languit malade au lit de mort :

Cet homme alors se désespére

Et voudrait réparit son tort : [fol. 46v]

C’est trop tard : le Ciel que j’implore,

Va, dit le fils, finir mes jours ;

Mais, laissez-moi revoir encore

Celle que j’aimerais toujours.

Emma vient, le Cœur plein d’allarmes,

Auprès du lit de son amant :

En voyant périr tant de charmes

Tombe sans voix, sans mouvement :

On les sépare : Edwin se pame

Cherchant des yeux sa chere Emma,

Comme s’il roulait rendre l’ame

Dans les bras de ce qu’il aima.

Après sa longue défaillançe,

Rendue au jour mais sans espoir,

Emma garde un profond silençe

Et s’en retourne vers le soir.

Passant le long d’un Cimetierre

Elle entend l’oiseau de la nuit,

Puis traversant une bryuere [fol. 47r]

Croit voir une ombre qui la suit.

Adieu, lui dit la voix mourante

De l’ombre attachée à ses pas,

Lors elle entend toute tremblante

La Cloche sonner un trépas.

Elle arrive au toit solitaire,

Frappe à la porte avec effroi :

C’en est fait, dit-elle ô ma mere

Et de mon amant et de moi !

A ces mots, au seuil de la porte,

Où sa mere l’appelle en vain,

Dans ses bras Emma tombe morte,

Morte d’amour pour son Edwin !

Ces amants reposent ensemble,

Morts l’un pour l’autre le même jour ;

Et la tombe à jamais rassemble,

Ceux que devait unir l’amour. [fol. 47v]

Divine amitié, féliçité parfaite,

Idole d’un Cœur juste et passion du sage

Seul mouvement de l’ame où l’exçès soit permis

Corrige les défauts qu’en moi le Ciel a mis.

Compagne de mes pas dans toutes mes demeures

Dans toutes les saisons et dans toutes les heures

Sans toi tout homme est seul, il peut par toi aussi,

Multiplier son être et vivre sans autrui.

Si par une éternelle loi,

Les Dieux voulaient me faire vivre sans cesse

J’y renoncerais par tendresse

Si mes amis n’étaient2020 Ms. étaients immortels comme moi.

Soit instinct, soit reconnaissançe,

L’homme par un penchant secret :

Chérit le lieu de sa naissançe

Et ne le quitte qu’à regret :

Les Cavernes hyperborées

Les plus odieuses contrées, [fol. 48r]

Savent plaire à leur[s]2121 Ms. leur habitants,

Sur nos déliçieux rivages

Transplanter çes peuples sauvages

Vous les y verrez moins contents.

Souvent la fortune, un capriçe

Ou l’amour de la nouveauté !

Entraîne au loin nôtre avariçe

Ou nôtre curiosité,

Mais sous quelque beau Ciel qu’on erre

Il est toujours une autre terre

D’où le Ciel nous paraît plus beau

Loin que sa tendresse ravie

Cet amour de la patrie

Suit l’homme au-de-là du tombeau.

Termine, grand Dieu, ma déplorable vie,

Où rend la liberté à ma triste patrie ! [fol. 49r]

Recueil de Vers

7tieme Cahier [fol. 49v]

Roz et Betzi

Le jeune Roz en Angleterre,

Aimait l’innoçente Betzi,

Tous deux à la rigueur d’un pere,

Dérobaient2222 Ms. Dérobaients leur tendre souçi :

Mais à Boston, pour la querelle,

Tout va s’armer, ô liberté !

Roz alors n’est pas moins fidelle

A son devoir à sa beauté.

Il part au premier cri d’allarmes,

Il part sans prévoir de retour,

Et baigné des plus douçes larmes,

Combien il en donne à l’amour !

Vainement une voix chérie,

Voudrait encore le rappeler,

A l’honneur, au nom de Patrie,

Son Cœur brûle de s’immoler.

Tremblante, à la douleur en proie,

Betzi suit les pas d’un amant,

Soudain la voile se déploie,

Dieux ! quel objet et quel moment !

Ses yeux se ferment, on l’entraîne :

Elle etend ses bras vers les flots. [fol. 50r]

Et le nom de Roz avec peine,

S’échappe à travers ses sanglots.

Qu’elle regrette le délire,

Où se consumaient2323 Ms. consumaients de beaux jours !

En secret elle aime à relire

Tous les serments de leurs amours :

Heureuse encore de les croire,

Et plus sensible à son tourment,

En rivale elle hait la gloire,

Qui lui fait perdre son amant.

Aux jours, aux longs jours de l’absence

Elle ne peut s’accoutumer,

Plus épris son Cœur la devançe

Aux bords où on vit pour l’aimer :

Des Mers elle franchit l’espaçe

Et sur l’Océan agité,

Son Oeil cherche à [...]2424 Ms. forme incompréhensible : fiocer ? la traçe

Du vaisseau que Roz a monté.

Eole attendri la seconde,

Enfin elle apperçoit le port,

Sur les rives du nouveau monde

Elle s’élançe avec transport.

Ses pieds tremblans touchent la terre,

Elle se peint Roz en danger,

N’ose parler, craint de se taire

Elle frémit d’interroger. [fol. 50v]

Mille voix que l’écho répete,

Des étendars çeints de Lauriers,

Le Bronze tonnant, la trompette,

Tout annonçe un succès guerrier.

Betzi frissonne et vers la foule

Elle s’empresse d’accourir.

Mais ce Peuple à grands flots s’écoule

Roz est encore à découvrir.

Elle vole au champ du carnage

Sous la Cuirasse d’un Soldat,

Elle voit… Dieux… l’horrible image

Roz est tombé dans le Combat.

Sur l’objet de sa triste flamme

Sa douleur va se déposer :

Elle veut respirer son ame,

Elle la retient par un baiser.

Ses lévres pressent la blessure

Où restait le fer du vainqueur :

Un mouvement qui la rassure

Attire sa main, vers son Cœur.

Il palpite : une main si chere,

De sa vie obtient le retour ;

Roz enfin a vû la lumiere

Et c’est l’ouvrage de l’amour. [fol. 51r]

Frappé d’une subtile ivresse,

Qui peut de l’excès du malheur

Passez aux bras de sa maîtresse

Sans expirer de sa Douleur !

C’est là ce que Betzi doit craindre,

Quels seraient ô Dieu ! ses regrets ?

L’amour même l’oblige à feindre,

Elle voile en pleurant ses traits.

„Qui que tu soi[s]2525 Ms. soit, parle-moi d’elle !”

S’écriait Roz en aspirant !

„C’est Betzi qu’un amant fidelle,

„Te recommande en expirant !

„Betzi… tu la verras peut-être !

„Promets qu’à Londres de retour

„Tu diras que j’ai cessé d’être,

„En ne pensant qu’à nôtre amour.”

A çes mots troublée, attendrie,

Dans un muet saisissement,

Betzi ne tient plus à la vie,

Que pour la rendre à son amant.

Un cri d’amour la fait connaître,

Roz, encore a pû l’adorer.

Mais ce bonheur vient de naître,

Hélas ! qu’il devait peu durer ! [fol. 51v]

Le glaire sous qui Roz expire,

D’un venin subtil est armé !

C’est la mort que Betzi respire

La mort sur un sein trop aimé !

Son amant qu’elle y voulait suivre,

Betzi le devançe au tombeau :

Pour l’aimer Roz a crû revivre,

C’est lui qui devient son bourreau !

Il frémit, il pleure, il succombe,

De se mains veut se déchirer ;

Vivant de Betzi de sa tombe

Rien ne pourra le séparer !

Sa voix n’est plus qu’un long murmure

Que le cri profond du malheur,

Il guérissait de sa blessure

Il expira de sa douleur.

Tout me dit, Dieu puissant que sans qu’il t’ofensa

Mon Cœur peut jouir de sa faible éxistençe,

S’ouvrir au doux plaisir d’aimer et d’être aimé !

L’amour y fût hélas ! de ton souffle allumé ;

Oui, tu créas l’amour, pour essuyer nos larmes,

Pour consoler la vie, et lui prêter des charmes :

Tout annonçe l’éclat de la divinité,

Sa grandeur… et l’amour fait sentir sa bonté ! [fol. 52r]

Eglogue

Imitée de l’Italien

Déja l’astre du jour, du haut de sa cariere,

Versait sur l’horison, sa brûlante lumiere ;

Aglaure assise au bord d’un paisible ruisseau

Confiait à son Chien le soin de son troupeau,

Dans les charmes secrets de la mélancolie,

Elle aimait à tenir son ame ensevelie,

Le calme, la fraîcheur de ces lieux enchantés,

Ces flexibles ormeaux mollement agités,

Ce flot tranquille et lent, mourant sur son rivage,

De son bonheur passé lui rappelaient l’image…

C’était dans çes bosquets, sur çes gazens fleuris,

Qu’autrefois à çes pieds, elle voyait Lisis.

Mais ce jour… jour cruel ! une pénible absençe

Du plus beau des Bergers accusait l’inconstançe.

Chaque instant qui s’écoule et qu’il a négligé,

Lui, disoit, en fuyant que son Cœur a changé.

Témoins de mes douleurs, lieux tranquilles dit-elle,

Ramenez-moi Lisis ; ramenez-le fidele !

Helas ! il me délaisse : et mes faibles attraits,

Malgré ses vains serments, ne l’ont touché jamais.

Ah ! s’il sentait les maux d’une absençe si rude !

S’il sentait de mon Cœur la tendre inquetude !...

Mais Lisis n’aime point, je n’en saurais douter. [fol. 52v]

L’ingrat hier encore cherchait à me flatter ;

Et, le cœur tout de glaçe, auprès de sa maîtresse

Cherchait, par ses discours à prouver sa tendresse

Tes yeux me disait-il, sont faits pour tout charmer,

J’ygnorais avant Toi qu’un Berger pût aimer,

Toi seule de l’amour m’a fait sentir l’Empire,

Helas ! n’avait-il pas autre chose à me dire ?...

Aglaure, pour jamais je t’engage ma foi,

Rien ne peut égaler l’amour que j’ai pour toi,

Il durera toujours, c’est moi qui t’en assure,

Oui, le temps changera le cours de la nature,

Le Rhin verra tarir ses flots impétueux,

Le Soleil obscurci s’éteindra dans les Cieux,

L’univers périra, si tant que je respire…

Hélas ! n’avait-il pas autre chose à me dire ?

Eh ! quelle autre que toi, puis-je aimer dans nos champs

Où trouver des attraits si nobles, si touchants ?

Où trouver une voix et si douçe et si tendre,

L’amour, l’amour lui-même aimerait à l’entendre

Que dis-je ? il est dans toi ; tu m’inspires ses feux

Il parle par ta bouche ; il brille dans tes yeux ;

Son sourire ingénu se peint dans ton sourire !

Hélas ! n’avait-il pas autre chose à me dire ?... [fol. 53r]

A ces mots, il colla sa bouche sur ma main,

Ses regards amoureux s’égaraient sur mon sein ;

Et toute entiere en proie à mon ardeur extrême,

J’écoutais l’infidele et m’oubliais moi-même !...

Mais poursuivant ainsi : Dieux ! soyez mes garans !

Et si j’étais dit-il, parjure à mes sermens,

Que la foudre frappant ma tête criminelle,

Epouvante à jamais, un amant infidele !...

Si je cesse d’aimer qu’un tigre, un vautour,

Dans mon Cœur déchiré, vienne venger l’amour !

Que cent fois je renaisse et que cent fois j’expire !

Helas ! n’avait-il pas autre chose à me dire ?

Le Cœur gros de soupirs, elle tourne les yeux,

O surprise ! elle voit son Berger en ces lieux ;

Lisis qui l’écoutait, caché sous le feuillage,

Aglaure était injuste en le croyant volage.

Honteux d’être l’objet de ses vives douleurs,

Il dissipa sa crainte, il essuya ses pleurs ;

Et sût par son amour, ses transports, son délire

Exprimer le secret qu’il avait à lui dire. [fol. 53v]

A Mr : de Voltaire

Qu’il est tranquille, mon bonheur !

Et que ma vie est solitaire !

Je n’ai point vû nôtre Empereur,

Ah ! que je voie au-moins Voltaire !

Il est assez de Potentats,

Toute la terre en est remplie,

Un Siecle entier ne produit pas,

Souvent un Voltaire, un génie.

Nos plus beaux-Esprits d’aujourd’hui,

De son retour chantent la fête,

Il les réunit en lui,

Tous leurs talents sont dans sa tête.

Avec le mérite de tout,

Il a son mérite à lui-même,

Point de sot qui n’en soit jaloux,

Point de grand-homme qui ne l’aime.

Vers tirés du Drame de Melanie, par d’Arnaud

Le Curé

Qui produisit en vous un si grand changement ?

Mélanie

Vous allez le savoir, c’est un évenement [fol. 54r]

Qui deçida dès lors du destin de ma vie,

Et dont en vous parlant, j’ai l’ame encore remplie.

Je veillais près du lit où l’une de nos Sœurs,

D’une lente agonie éprouvait les horreurs.

Cherchant à signaler les soins d’une noviçe,

J’avais brigué moi-même un si lugubre offiçe.

Un Prêtre l’exhortait, et ses pieux discours

De la Religion prodiguaient les secours,

Sans arracher un mot, sans vaincre son silençe

Il commençait peut-être à perdre l’espérance :

Du moins ils […]2626 Ms. mot illisible a pendant quelques instants

Alors levant ses yeux baissés depuis long-temps,

Elle parût gémir sur moi plus que sur elle

Quelques larmes mouillaient sa mourante prunelle,

Elle fît un effort pour pouvoir parler

Et m’adressa çes mots qui me firent trembler.

„On vous trompe, on vous perd, ma chere Mélanie

„A votre âge on sait peu ce que l’on sacrifie

„En vous faisant esclave, et prenant cet habit

„Vous l’apprendrez trop tard, je sçais ce qu’on vous a dit.

„Je sçais que vous croyez que dans nos saints asiles

„Tous les jours sont serains, tous les Cœurs sont tranquilles

„Mais pour vous abuser, sachez qu’on est d’accord [fol. 54v]

„On ne vit en çes lieux qu’en desirant la mort :

„Et l’on n’y meurt jamais qu’en détestant sa vie

„Que mon éxemple au moins detrompe Melanie”.

Elle m’apprit son sort, un malheureux amour

Qu’il fallût dans ce cloître étouffer sans retour,

Avait rempli son ame, et consumé sa vie

Du réçit de ses maux, je demeurais saisie,

C’étaient les derniers cris et les gémissements

D’un Cœur que ses chagrins ont opressé long-temps.

C’était d’un long malheur l’histoire attendrissante

Que l’acçent de la mort rendait plus déchirante,

Je n’y pûs resister, plaine de ses douleurs,

Je tombais sur son lit en l’arrosant de pleurs,

Je partagais des maux que mon Cœur devait craindre

Pour la premiere fois elle s’entendit plaindre,

Et ma pitié parût adouçit son trépas

L’infortunée alors me serra dans ses bras,

Je sentis que mes pleurs inondaient mon visage

De mes sens trop émus, je perdis tout usage

Et quand je les repris, elle ne vivait plus,

Ses bras déjà glaçés sur ma tête étendus,

Ses yeux de la douleur gardant le caractere

Et vers le Ciel encore elevant leur paupiere [fol. 55r]

Semblait lui demander d’épargner à mon Cœur

Tous les maux dont sa mort m’avait tracé l’image.

Tu vois, sage Ariston, d’un œil d’indiférençe.

La grandeur tirannique et la fiere opulençe.

Tes yeux d’un faux éclat ne sont point abusés,

Ce monde est un grand bal où des foux déguisés,

Sous les visibles noms d’Eminençe et d’Altesse

Pensent enfler leur être et hausser leur bassesse.

En vain des vanités l’apareil nous surprend,

Les mortels sont égaux, leur masque est différend ;

Nos cinq sens imparfaits, donnés par la nature

De nos biens, de nos maux, sont la seule mesure,

Les rois en ont-ils six, et leur ame et leur corps

Sont-ils d’une autre espece ont-ils d’autres ressorts

C’est du même limon que tous ont pris naissançe

Dans la même faiblesse, ils traïnent leur enfançe

Et le riche et le pauvre et le foible et le fort,

Vont tous également des douleurs à la mort.

Par le sort de la naissançe,

L’un est roi, l’autre est berger,

Le hasard fît leur distançe, [fol. 55v]

L’Esprit seul peut tout changer,

De vingt rois que l’on ençense

Le trépas brise l’autel,

Et Voltaire est immortel.

O Malheureux mortels, vôtre aveugle furie

De meurtres ; de combats n’est donc point assouvie

Vous verra-t-on toujours prêts à vous égorger

Accroître vos malheurs en voulant les venger,

Et sans cesse éguisant de criminelles armes

Vivre sur des débris arrosés de vos larmes ?

Quoi la guerre est encore où triomphent les arts !

Quand ce flambeau sacré qui luit à vos regards.

Eclaire vos esprits de ses divines flammes,

Le flambeau de la haine embrase encore vos ames.

Les sages de la terre en sont les opresseurs !

Des Tigres et des Loups conservons les mœurs,

Par les arts éclairés, sommes-nous moins barbares,

Que le Huron sauvage, où les Hordes […]2727 Ms. mot illisible.

C’en est fait du Despotisme, Et de toutes ses horreurs

Le feu du Patriotisme, Regne enfin dans tous les Cœurs

Que tous les hommes s’unissent, Pour imiter les Français [fol. 56r]

Où tous les Tyrans gémissent, De n’avoir plus de sujets,

Sujets, sans doute il faut l’être, Soyons-le tous de la loi

La loi seule est nôtre maître, Et la Loi commande au Roi.

Desormais la vertu pure, La douçe fraternité,

Vont au nom de la Nature, Escortez la liberté

Tous les Peuples de la terre, Comprennent par nos travaux

Que le Ciel qui nous éclaire, Fût irrité de nos maux !

Et nôtre assemblée auguste, Qui rend de si bons decrets,

D’un Dieu bienfaisant et juste, Interprête les arrêts.

Adorons la main Supréme, Qui nous comble de bienfaits

Aimons autant qu’elle-même, Tous les Etres qu’elle a faits,

Poursuivons avec courage, Ne craignons point les revers.

Achevons ce grand ouvrage, Le salut de l’Univers.

Rend-nous bons, rend-nous justes,

Contre nos ennemis nous ne t’ainvocons pas

N’as-tu pas à l’homme libre donné le courage,

Vaincre c’est t’obeir, et la gloire est ton ouvrage.

Sous une Statue de l’Amour

Qui que tu sois, voilà ton meûtre

Il l’est, le fût, où le va être. [fol. 57r]

Recueil de Vers

8tieme Cahier

Epître

Au peuple

De Mr : Thomas

Toi, qu’un injuste orgueil condamne à la bassesse

Toi, qui né sans ayeux et vivant sans mollesse,

Porte seul dans l’état le fardeau de la loi

Et sert par tes travaux ta patrie et ton Roi ;

D’utiles Citoyens respectable assemblage,

Que dedaignent les Cours mais qu’estime le Sage

Peuple, j’ose braver cet insolent mépris,

D’autres flattent les grands, c’est à toi que j’écris

A l’aspect de çes grands dont l’éclat t’importune

J’entends de tes cris fatiguer la fortune,

Accuser ta misere, envier leur splendeur,

Apprends à t’estimer et connais ta grandeur

C’est toi qui des états soutenant la puissançe

Répend sur çes grands Corps la gloire et l’abondançe

En tout temps, en tous lieux, soit qu’un monarque heureux

Gouverne par l’honneur un peuple belliqueux.

Soit que le Citoyen libre et digne de l’être

Vive soumis aux loix sans esclave et sans maître,

Soit que le despotisme entouré de bourreaux [fol. 58r]

Sous les pieds d’un seul homme enchaîne ses égaux,

Tes bras, tes mouvements, ta féconde industrie

Multipliant partout les germes de la vie.

Par tes travaux actifs animent l’Univers.

Cent Rois aux nations, n’ont donné que des fers !

Le Conquérant détruit, tu conserves le monde,

Il ravage la terre et tu la rends féconde ;

La triste humanité ne doit qu’à tes secours,

Ces puissants végétaux les soutien[nen]t2828 Ms. soutient de nos jours,

Cet art dit-on est vil : oserait-on le croire ?

Bienfaiteur des humains, quel titre pour la gloire !

Ta bêche et ta charrue utiles instruments

Brillent plus à mes yeux que ces fiers ornements

Ces Clefs d’or, çes toisons, çes mortiers, çes couronnes,

Monuments de grandeur semés autour des thrônes ;

Cet art est le premier, il nourrit les mortels

Dans l’enfançe du monde, il obtint des Autels.

De çes champs fortunés que ta main rend fertiles

Pour t’admirer encore je passe dans les villes :

La terre avec orgueil les porte sur son sein

Là dans tout son éclat brille le genre humain,

Là tous les arts unis et ceux que nos miseres

A l’humaine foiblesse ont rendû néçessaires ;

Et çeux qu’un luxe utile, enfant des doux loisirs

Fît naître pour charmer le besoin des plaisirs. [fol. 58v]

Aux regles du génie asservissant l’adresse

Font par mille canaux çirculer la richesse

Ces arts sont ton ouvrage ; et reproduits çent fois

Pour le bonheur du monde, ils naissent à ta voix

Dompté sous tes marteaux le fer devient doçile

Tu façonne les bois et tu pétris l’argile ;

Par tes savantes mains la toison des brebis,

Le lin, la soïe et l’or sont tissus en habits,

La fange des métaux, sous tes doigts épurée

Brille aux besoins publics noblement consacrée,

Et le marbre poli s’éleve jusqu’aux Cieux,

Pour les Palais des Rois où les Temples des Dieux.

Tu ne te bornes pas au bien de ta patrie,

Le monde entier jouit de ta noble industrie,

Par les nœuds du commerçe embrassant l’Univers

Tes mains forment un pont sur l’abîme des mers

Si les Prinçes armés se disputent la Terre,

Tu fais par ta valeur les destins de la guerre

Tes Corps sont les remparts des états désolés,

C’est qui raffermis les thrônes ébranlés.

Que je méprise un grand qui fier de sa noblesse

Dort inutile au monde, au sein de la molesse,

Un stupide Crassus, énervé de langueur

Qui fatigue mes yeux d’un luxe sans pudeur [fol. 59r]

Nous admirons l’éclat, vains juges que nous sommes !

Le véritable honneur est d’être utile aux hommes.

En vain les préjugés ont osé t’avilir,

Peuple, pour ton Paÿs, tu sais vivre et mourir.

Il est, il est encore un plus rare avantage,

Le tranquille innoçençe est ton heureux partage,

Les Rois ont des états, les grands ont des honneurs,

Le riche a des trésors et le pauvre a des mœurs.

Ce siècle malheureux foule aux pieds la nature,

Les noms de fils, d’époux, seraient-ils une injure ?

La dignité barbare au Cœur dur a l’œil fier

En prononçant çes mots croirait s’humilier.

C’est vous qui de vos Cœurs leur prêtez la bassesse

Ingrats ! et la nature a toujours sa noblesse !

Peuple, çes noms pour toi, n’ont rien que de sacré

Et tu n’as point l’orgueil d’être dénaturé,

Fatigués de plaisirs, idölatres d’eux-mêmes,

Les Courtisans altiers dans leurs grandeurs sûprêmes.

D’un œil indifférent verront des malheureux,

Le Pauvre est né sensible, il s’attendrit sur eux

Il soulage leurs maux, il ressent leurs allarmes,

Il goûte le plaisir de répandre des larmes.

Il n’a point cette graçe, et çes dehors flatteurs,

Des Marquis de nos jours avantages trompeurs, [fol. 59v]

Et jamais son Esprit façonné par l’usage

N’a d’un brillant vernis coloré son langage,

D’un masque séduisant, il n’est point revêtu.

Ce masque est la déçençe et non pas la Vertu.

L’élegançe des mœurs annonçe leur ruine

Ces Courtisans polis que l’intêret domine.

En plongeant un poignard vantent l’humanité

S’ils ont l’éclat du marbre, ils ont sa dureté.

Oh ! que j’aime bien mieux la rustique droiture,

Du Laboureur conduit par la simple nature ;

Sous des dehors grossiers, son Cœur est généreux

C’est l’or enseveli sous un terrain fangeux.

Que de coupables mains s’élevant jusqu’aux Thrônes,

Sur les têtes des Rois ébranlent les couronnes,

Peuple, tu ne sais point, par de grands attentats

Epouvanter la terre et changer les Etats.

Où des complots fameux instrument et victime

Si ta main quelquefois a secondé le crime,

C’est le souffle des grands qui poussent vaisseaux

Dans la nuit de l’orage égarés sur les eaux.

Les Tigres, les Lions, ardents à se detruire,

Pour régner dans les bois désolent leur empire,

Dans çes bois teints de sang, contente de son grain

La fourmi creuse en paix, son séjour souterrain. [fol. 60r]

Je te rends graçe ô Ciel ! dont la bonté propiçe,

M’écarta de çes rangs qui sont un préçipiçe ;

Je n’ai point en naissant reçu de mes ayeux

De l’or, des dignités, l’éclat d’un nom fameux,

Mais si j’ai des vertus, si mon mâle courage

A toujours dédaigné l’intrigue et l’esclavage,

Si mon Cœur est sensible aux traits de la pitié,

S’il éprouve les feux de la sainte amitié,

Et si l’horreur du Viçe et m’anime et m’enflamme

Mon sort est trop heureux : j’ai la grandeur de l’ame.

Croit-on que le bonheur habite les Palais,

Soit traîné sur un Char, ou porté sous le dais ?

Ces biens, çes dignités et çes superbes tables,

Ne font que trop souvent d’illustres misérables !

Le germe des douleurs infecte leurs repas,

Et dans des coupes d’or ils boivent le trépas.

Un poison plus flatteur et plus cruel encore

Vient flétrir leurs beaux jours, obscurçis dès l’aurore :

Vois, çes spectres dorés marcher à pas lents,

Traîner d’un Corps usé les restes chançelants

Et, sur un front jauni, qu’a vidé la mollesse

Etaler à 30 ans leur précoce vieillesse,

C’est la main du plaisir qui leur creuse tombeau [fol. 60v]

Et bien[f]aiteur2929 Ms. bienbaiteur du monde il devient leur bourreau.

Le chagrin les poursuit, le démon de l’intrigue

De ses soins éternels les trouble et les fatigue,

Pour eux l’ambition a des feux dévorants,

La haine a des Poignards, l’envie a des serpents,

Sous l’or et sous la pourpre chargés d’entraves

On les adore en Dieux, ils souffrent en esclaves…

Peuple les passions ne brülent pas ton Cœur,

Le travail entretient ta robuste vigueur.

Tu conserves des sens, chez toi le doux plaisir,

S’aiguise par la peine, et vit par le desir.

Hélas ! sans la santé que m’inporte un Royaume ?

On veille dans les Cours, et tu dors sous le chaume.

Le souris d’un Epouse, un fils qui te carsesse,

Des fêtes d’un hameau, la rustique allegresse,

Les rayons d’un beau jour, la fraîcheur d’un matin

Te font bénir le Ciel et charment ton destin ;

Tes plaisirs sont puisés dans une sourçe pure

Ce n’est plus que pour toi qu’éxiste la nature…

Qui vécut sans remords, doit mourir sans tournement

Tu ne redoutes rien dans cet affreux moment

Plus on est élevé, plus la mort est terrible, [fol. 61r]

Et du thrône au çercueil le passage est horrible !

Sur l’Univers entier la mort étend ses droits

Tout périt : les héros, les Ministres les rois,

Rien ne surnagera sur l’abÿme des âges,

Ce globe est une Mer couverte de naufrages.

Qu’importe lorsqu’on dort dans la nuit du tombeau

D’avoir porté le Sceptre, ou traîne le rateau ?

L’on y distingue point, l’éclat du Diadême,

De l’esclave et du Roi, la poussiere est la même.

Peuple, d’un œil sérein, envisages ton sort

N’accuse point la vie et méprises la mort.

La vie est un éclair, la mort est un asyle,

Ton sort est d’être heureux, ta gloire est d’être utile.

Le viçe seul est bas, la vertu fait le rang,

Et l’homme le plus juste est aussi le plus grand.

Vers mis au bas de la Statue

De Voltaire

Quand les arts fleurissaient dans Athenes et dans Rome,

Il fallait pour chaque grand-homme,

Ciseler un marbre nouveau :

Içi l’artiste plus habile,

A sous son magique ciseau [fol. 61v]

Fait revivre dans ce morçeau

Sophocle, Tacite et Virgile.

Présent des Dieux, doux charme des humains,

O divine amitié, viens pénetrer nos ames.

Les Cœurs éclairés de tes flammes,

Avec des plaisirs purs, n’ont que des jours séreins

C’est dans tes nœuds charmants que tout est joissançe

Le temps ajoute encore un lustre à ta beauté,

Et tu serais la volupté,

Si l’homme avait encore son innoçence.

Sans l’amitié, sans sa douceur,

La vie hélas ! est importune :

Que fait le rang et la fortune ?

Ah ! l’on est rien que par le Cœur.

La Philosophie est sobre en ses discours

Et croit que les meillieurs sont toujours les plus courts :

Que de la vérité on atteint l’éxéllençe

Par la réfléxion et le profond silençe.

Le but d’un Philosophe est de si bien agir

Que de ses actions, il n’ait point à rougir, [fol. 62r]

Il ne tend qu’à pouvoir se maîtriser soi-même :

C’est-là qu’il met sa gloire et son bonheur suprême.

Sans vouloir imposer par ses opinions,

Il ne parle jamais que par ses actions.

Loin qu’en Systêmes vains son Esprit s’alambique ;

Etre vrai juste et bon, c’est son Systême unique.

Humble dans le bonheur, grand dans l’adversité,

Dans la seule vertu trouvant la volupté,

Faisant d’un doux loisir ses plus cheres déliçes,

Plaignant les viçieux et détestant les viçes,

Voilà le Philosophe. Et s’il n’est ainsi fait,

Il usurpe un beau nom sans en avoir l’effet.

O ma vie ! ô vain Songe, o rapide éxistençe,

Qu’amusent les desirs, qu’abuse l’espérançe

Jouet des Passions, en proie à la douleur,

Hélas ! tu vas passer comme la tendre fleur,

Qu’aux champs où dût briller sa destinée heureuse

Etouffe l’herbe avide et la ronçe épineuse !

Tel est donc des humains l’inévitable sort,

Des Projets, des erreurs, la douleur et la mort ;

Ecartons ces pensées de la mélancolie,

Assez leur doux néant a consumé ma vie [fol. 62v]

Mon penchant me ramene à celébrer mes goûts,

C’est m’y livrer encore, c’est les embellir tous ;

Eh ! qui n’aime à rêver aux champêtres déliçes,

Aux yeux qui de son Cœur obtinrent les prémiçes,

Aux lieux qui l’ont vû naître, aux jours de son Printemps

Beaux jours plus fugitifs que les flots des torrents.

Songe-t’on d’un œil sec aux vertus de sa mere ?

Lorsque d’un Cœur rival et d’un lait merçénaire,

Dédaignant les secours trop souvent dangereux,

Elle-même a rempli ses devoirs généreux.

J’adore le souris, les graçes de l’enfançe,

Les charmes ingénus de la pure innoçençe ;

Son regard confiant enchante mon regard.

Quel intêret m’inspire un auguste vieillard !

Le Calme inaltérable empreint sur son visage,

De la paix de son Cœur est la tranquille image,

Son front magestueux, sa douçe gravité,

Rend sensibles les traits de la divinité.

Je te rends graçe ô Dieu ! dont la faveur suprême

M’inspira çes penchants émanés de toi-même,

Je ressents, je bénis tes propiçes bontés !

Loin des murs corrupteurs des prophanes çités.

Tu plaças mon berçeau : ma débile paupiere

S’ouvrit dans les hameaux aux traits de la lumiere.

Je dois le confesser depuis cet heureux jour [fol. 63r]

Ta main m’a prodigué les dons de ton amour.

L’ardente ambition m’est inconnue encore,

Ecarte Dieu Puissant, de ce Cœur qui t’implore,

L’orgueil superbe et dur, l’aveugle impieté,

Daigne, daigne épurer ma sensibilité !

Je vais jouir enfin des vrais biens de la vie,

Je n’ai point les talents qui réveillent l’envie,

La paix, le goût des arts, la médiocrité,

Voilà tes grands bienfaits et ma féliçité.

Couronne ce bonheur d’un bien que je réclame,

Conserve-moi l’ami qui console mon ame,

Au déclin de mes jours, fais que loin des Palais,

Je trouve près de lui et le calme et la paix,

Et que du bonheur goûtant toujours l’ivresse,

J’expire comme j’ai vécu, au sein de la tedresse.

Le bonheur est aux lieux champêtres,

Où regne le calme et la paix,

Si le sort nous en fît les maîtres

Imitons nos sages ançêtres

Qui le furent par leurs bienfaits.

C’est le séjour de l’innoçençe,

Allons y cultiver l’enfançe

De ce rejetton préçieux [fol. 63v]

Qui remplira mon espérançe

S’il est comme toi vertueux.

Garde qu’une main étrangére

Ne vienne usurper à tes yeux,

Le droit le plus beau d’une mere,

Le Plaisir de le rendre heureux

Que ton sein lui donne la vie,

Ainsi qu’il lui donna le jour

Et que ta tendre jalousie

Se réserve tout son amour.

En secret verse tes bienfaits,

Sur l’orphelin que sa misere

Rendra respectable à tes yeux,

Le vrai secret pour être heureux

C’est d’en faire, on l’est avec eux.

Le bien que nôtre main dispense

Porte avec lui sa récompense

Que pourrait regretter ton Cœur

Lorsqu’en secourant l’indigençe

Il entendra ce cri flatteur

Qu’arrache la reconnaissançe ?...

Ah ! vieillir dans la bienfaisançe

C’est rajeunir pour le bonheur. [fol. 64r]

O vous tendres amants,

Qui voulez qu’on vous aime,

Arrivez à pas lents

A ce bonheur suprême.

Eh ! que serait l’amour

Sans la délicatesse ?

Le plaisir est si court

Prolongez son ivresse.

Ah ! qui pourrait effaçer dans un jour,

La profondeur des traçes de l’amour ?

C’est le torrent, qui, sillonant la plaine,

A tout empreint du sable qu’il entraine.

Les près rougis, les guérets dépouillés

Marquent les lieux que son cours a souillés ;

Mais un printemps suffit à la nature

Pour réparer l’émail de la verdure,

La vie entiere à peine reproduit,

La Paix du Cœur qu’un seul instant détruit.

De la tendre amitié puisse ignorer les charmes,

Quiconque sans en répandre peut voir couler des larmes. [fol. 65r]

Recueil de Vers

9vieme Cahier [fol. 65v]

Romançe sur la mort d’Agnès de Baviere

Par Mr de Bouthilliers

La jeune Agnès était belle,

Esprit, déçençe et candeur

Aux attraits joignaient en elle,

Les dons préçieux du Cœur.

Le Duc régnant de Baviere

Par malheur la vit un jour

Aussi-tôt son ame entiere

Brûla du plus vif amour.

Agnès tenait sa naissançe,

D’un simple et pauvre artisan,

Mais l’amour met sa puissançe

A braver l’orgueil du rang.

Elle était honnête et sage

Le Duc soupirait en vain,

Il ne dût qu’au mariage

Sa foi, son cœur et sa main.

Pendant trois ans l’himénée

Sût combler tous leurs souhaits,

Agnès était adorée [fol. 66r]

Du Duc et de ses sujets.

Pour la Croix prenant les armes

Les Grands se liguaient entre-eux ;

Quelle sourçe hélas ! de larmes,

Et de chagrins pour tous deux.

Agnès aimait pour lui-même

Son jeune et vaillant époux,

De l’honneur de ce qu’on aime

Un Cœur honnête est jaloux.

„Cédez au devoir, dit-elle,

„Obéissez à sa loi ;

„Pour tous deux elle est cruelle,

„Partez… mais vivez pour moi.

D’un pressentiment funeste

Le Duc se sentit frapper,

Sa voix sur çes lévres reste

Il part sans pouvoir parler.

Agnès avait la Régençe

Des états du Duc absent,

Ce fût hélas sa puissançe

Qui causa tout son tourment.

Le Duc avait une mere

Au caractere envieux ;

Pour régner cette mégére [fol. 66v]

Jura la perte des deux.

En vain d’Agnès la sagesse

Rendait heureuse ses sujets,

Par intrigue, avec adresse,

On lui préta des forfaits.

Peu faîte à la perfidie,

Son Cœur était sans effroi ;

Le Peuple à la colomnie

Aisément ajoute foi :

La belle mere cruelle

Sût trop bien en profiter,

Agnès semblait criminelle

Elle la fît arrêter.

Un Tribunal plus qu’inique

Contre elle est nommé bien-tôt,

On l’accuse et sans replique

Il la condamne aussi-tôt.

Dans un Sac enfermée

Cette innoçente beauté,

Au Danube fût jettée,

Suivant l’arrêt prononçé.

Plein d’une ardeur amoureuse

Le Duc enfin de retour,

Apprend la fin malheureuse [fol. 67r]

De l’objet de son amour.

Il connaît son innoçençe,

Hélas ! regrets superflus,

Il sût en tirer vengeançe

Mais Agnès n’éxistait plus.

Pleurer et s’occuper d’elle

Fût depuis tout son bonheur ;

Il bâtit une Chapelle

A l’endroit de son malheur :

Sur le marbre il fît écrire

Et graver les vers suivants,

A chaque instant les relire

Calmait ses chagrins cuisants.

„Une innoçente victime

„Des plus criminels complots,

„Içi perdit par un crime,

„La vie au milieu des eaux ;

„Aux yeux cette pierre offerte

„Passant te dira mon Sort,

„Mon départ causa sa perte

„Sa perte cause ma mort.

Tiré de l’histoire en Couplets du Voyage du Corps de Condé

Par le Marquis de Bouthilliers [fol. 67v]

Les tendres reproches

D’une amante abandonnée

Pourquoi crains-tu la fureur ?

Maître de ma destinée

Tu prononças mon malheur.

A cette nouvelle affreuse

Je fûs prête d’expirer

Mais je suis moins malheureuse

A présent je puis pleurer !

Je t’ai fait trop voir peut-être

Ton pouvoir et mon ardeur

En me laissant moins connaître,

J’aurais pû garder ton Cœur…

Mais j’ai crû loin de rien taire

N’en pas assez exprimer

D’autres ont l’orgueil de plaire.

Je n’eû[s]3030 Ms. eût que celui d’aimer.

Eh bien ! ce monde volage

T’offre-t-il de vrais plaisirs

Et l’objet de ton hommage

Va-t-il fixer tes desirs ?

Que ta maîtresse nouvelle

Doit être chere à tes vœux, [fol. 68r]

Serai[s]3131 Ms. serait-tu donc infidele

Sans devenir plus heureux ?

Tu t’ès mal connu toi-même,

Tu sentiras ton erreur,

Tu mets ta gloire suprême

A conquérir plus d’un Cœur.

Mais la nature invinçible

Te prescrit une autre loi,

Elle t’a formé sensible

Elle t’a formé pour moi.

Lorsqu’à des beautés trompeuses

Tu seras las d’obéir

De tes victoires honteuses

Lorsque tu sauras rougir ;

Viens retrouver ton amante

Viens lui confier ton sort

Tu la verras constante

Elle n’attend qu’un remord.

Ne crains point que ma vengeançe

Abuse d’un tel moment

Je mettrais ma puissance

A consoler mon amant

Va ! ma tendresse est si pure [fol. 68v]

Que je croirais malgré toi,

En oubliant ton parjure

Ne rien faire que pour moi.

Les plus jolis mots de la langue Française

A deux époques de sa vie

L’homme prononçe en begayant

Deux mots dont la douçe harmonie

A je ne sais quoi de charmant.

L’un est « Maman » et l’autre « J’aime »,

L’un est créé par un enfant,

Et l’autre arrive de lui-même

Du Cœur aux lévres d’un amant.

Que le premier se fasse entendre

Bientôt une mere y repond,

La jeune Beauté devient tendre

Si son Cœur entend le second.

Ah ! jeune Lise, prends-y garde

Le mot « j’aime » est plein de douçeur

Mais tel qui souvent le hazarde

N’en sentit jamais la valeur.

L’Esprit quelquefois s’en amuse [fol. 69r]

Il en saisit si bien l’acçent

Que méchamment il en abuse

Pour tromper un Cœur innoçent.

Il faut une prudençe extreme

Pour bien distinguer un amant

Celui qui dit mieux je vous aime

Est quelquefois celui qui ment.

Qui ne sent rien, parle à merveille ;

Crains un amant rempli d’esprit,

C’est ton Cœur et non oreille

Qui doit écouter ce qu’il dit.

A une Amie

Je t’aime tant, je t’aime tant

Je ne puis assez te le dire

Et je le répéte pourtant

A chaque fois que je respire.

Absent, présent, de près, de loin,

Je t’aime est le mot que je trouve

Seul avec toi, devant témoin

Où je le pense, où je le prouve.

Traçer ton chiffre en çent façons

Est le seul travail de ma plume. [fol. 69v]

Je le chante dans mes chansons,

Je le lis dans chaque volume.

Dans les tableaux, dans les Portraits

Je cherche par-tout ton image

Si la beauté m’offre ses traits

Je pense à çeux de ton visage.

En ville, aux champs, chez moi, dehors

Ta douçe image est retracée

Elle se fond quand je m’endors

Avec ma derniere pensée,

Quand je m’éveille, je te vois

Avant d’avoir vû la lumière

Et mon Cœur est plus vîte à toi

Que le jour n’est à ma paupiere.

Absent, je ne te quitte pas,

Tous tes discours je les devine,

De loin je compte tous tes pas

Ce que tu dis je l’imagine.

Près de toi suis-je de retour

Je suis aux Cieux, c’est un délire

Je n’existe que par l’amour

Dans ton souffle je le respire.

Ton Cœur est tout mon bien, ma loi [fol. 70r]

Te plaire est toute mon envie,

Enfin en Toi, par Toi, pour Toi,

Je respire et tiens à la vie.

Ma bien-aimée, o mon Trésor,

Qu’ajouterai-je à ce langage ?

Dieux ! que je t’aime ! eh bien encore

Je voudrais pouvoir t’aimer davantage.

Les vœux d’un homme libre

Adressés aux réprésentants de la nation Française

Hardis Libérateurs de la Françe asservie,

Bénis soyez donc mille fois.

Courage !... que la tyrannie

Frémisse aux fiers acçents de vôtre auguste voix.

Brisez ses pieds d’airain, brisez sa tête impie

Et pour mieux affermir le thrône de nos rois

Prenez le Sceptre du Génie.

Consultez vôtre Cœur, dictez de sages loix

Tirez-nous de la barbarie

Et que de la justice et du bonheur suivie

La sainte humanité rentre dans ses droits

Que le fils obscur d’un infâme

S’il vit en sage à nos yeux [fol. 70v]

Reçoive à la façe des Cieux

Les honneurs dûs à sa belle ame.

Que les fils de çes demi-Dieux

La gloire et l’amour de la terre

S’ils ne la servent pas comme eux

Soient égaux à l’homme vulgaire.

La devraient-ils à mille ayeux,

Leur noblesse est une chimere

Que l’homme utile et vertueux,

Soit le seul noble sur la terre.

[…]3232 Ms. Dans le recueil, huit lignes sont barrées.

Ne servez plus la tyranie,

Guerriers Français, braves guerriers

Soldats, défendez la Patrie

Citoyens, gardez vos foyers.

Gardons tous nôtre auguste Pere [fol. 71r]

Les regards nous rendront heureux,

Méchans, redoutez sa colere,

A sa voix puissante, à ses yeux

Tombez inégale balançe

Toujours favorable aux pervers,

Que le Juge porte les fers

Dont il a chargé l’innonçençe

Que son généreux défenseur

Recevant nôtre juste hommage

Chez un Peuple humain, libre et sage

Trouve la gloire et le bonheur.

Que l’enfant, la frêle espérançe

D’un heureux et proche avenir

Sous les loix d’un sage commençe

En jouant à le devenir.

Loin de lui le barbare maître

Qui fait de l’étude un tourment

Dans l’âge tendre elle doit être

Un noble et doux amusement.

Que le livre de la nature,

Soit ton livre aimable enfant

Et la vérité juste et pure [fol. 71v]

Charmera ton esprit naissant :

La vérité nue est si belle

Elle est si puissante sur nous,

Parlez respectable immortelle

Maîtres absurdes taisez-vous

Taisez-vous ou parlez comme elle.

De nôtre Liberté sages restaurateurs

Vous dont l’Europe entiere admire la prudençe,

Vous mes rois, mes Dieux, mes vengeurs

Déployez vôtre utile et divine éloquençe.

Elle subjuguera l’indomptable liçençe

Elle calmera les fureurs

Et du crime et de la vengeançe

Elle rassurera la timide innoçençe

Elle enchainera tous les Cœurs,

Vaincus par la reconnaissançe

Eloquençe, vertu, savoir,

Qu’elle n’est pas vôtre puissançe,

Vous pouvez tout, soyez, daignez vouloir

Et bien-tôt vous verrez la Françe

Fiere à jamais de vous devoir,

L’honneur, la vie, et l’abondançe [fol. 72r]

Songez-y bien ; la coupable beauté

Que nul amant n’a pû trouver constante,

Dans son Automne expiant sa fierté

Seule en un coin plaintive et gémissante,

A la lueur d’une lampe mourante,

Conduit l’aiguille, où d’une main tremblante,

Tourne un fuseau de ses pleurs humecté

En la voyant la maligne jeunesse,

Triomphe et rit de sa dou[c]eur3333 Ms. douteur.

L’amour armé, d’un fouet vengeur,

De desirs impuissants tourmente sa vieillesse,

Elle implore Vénus : mais la fiere Déesse,

Détourne ses regards et lui répond sans cesse

Qu’elle a mérité son malheur.

Aidons-nous mutuellement

La charge des malheurs en sera plus légére,

Le bien que l’on fait à son frere

Pour le mal que l’on souffre est un soulagement.

Le véritable esprit sait se plier à tout

On ne vit qu’à demi quand on a un seul goût [fol. 73r]

Recueil de Vers

10zieme Cahier [fol. 73v]

Priére Désespérée

Année 1796

C’est dans ce lieu si saint, aux pieds de son Autel

Que j’ose invoquer le nom de l’Eternel

Tu daigneras dans çes temps de terreur et d’effroi

Exauçer ma priére, t’abaisser jusqu’à moi !...

Grand Dieu, ma patrie dans les fers gémissante

Implore par ma voix ta bonté si puissante :

Tu as puni nos crimes, daigne voir nos remords.

Ou permets-nous enfin de desçendre chez les morts

Finis nos malheurs en ouvrant nos tombeaux,

De ce jour si brillant, cache-nous les flambeaux,

C’est un de tes bienfaits : mais le plus préçieux

Le plus grand qu’à l’homme aient accordé les Cieux,

L’ame enfin de son être, le charme de sa vie,

La Liberté hélas à nos vœux est ravie !

Sans elle il n’est point de plaisir dans la nature

Sans elle point de bonheur pour l’ame sensible et pure

Viens, desçend des Cieux, auguste liberté,

Viens ranimer en nous cette noble fierté

Qui à l’homme avili apprend à se connaître

Et dit à son Cœur que Dieu seul est son maître. [fol. 74r]

O Toi que j’adore Créateur Souverain,

Toi qui fis ce monde par un signe de ta main,

De ton thrône enflammé qui luit au haut des Cieux

Sur un Peuple malheu[reu]x3434 Ms. malheux daigne baisser les C[i]eux3535 Ms. Ceux !

Helas tu ne créas3636 Ms. créeas l’homme que pour le rendre heureux

Il ne pouvait l’être sans être vertueux.

La vertu, ô mon Dieu ! n’est point le partage

De cet état odieux qu’on nomme esclavage.

L’Esclave connut-il jamais sa noble ardeur !

Il ne voit en elle qu’un nom sans valeur

Un nom qui l’amour, la gloire des Patriotes,

Sera toujours la terreur et la honte des Despotes.

L’homme lible au contraire enflammé de ses feux

N’adresse qu’à son Dieu son hommage et ses vœux.

Après sa reconnaissançe, sa premiere passion

Est le respect qu’il porte aux loix de sa nation,

Est enfin cet amour sacré de la Patrie

Qui inspire aux héros le mépris de la vie,

Eleve une ame noble au-dessus d’elle-même,

Donne cette forçe sublime, cette vertu suprême,

Qui au-dessus des faveurs et des capriçes du sort

Court chercher la gloire au sein même de la mort

Daigne entendre la voix d’une nation opprimée

Daigne changer Dieu puissant sa cruelle destinée [fol. 74v]

Daigne nous arracher des mains de nos tyrants !

Abandonnerais-tu tes malheureux enfants ?

Refuserais-tu à ce Peuple, ouvrages de tes mains

Les droits que ta bonté accorda aux humains ?

Les droits de l’homme enfin : oui, il doit t’obéir

Mais l’homme ton Image est-il fait pour servir ?

Si çes vœux hélas ! n’étaient qu’un vain espoir…

Ecoute… éxauçe alors les vœux du Désespoir !

Si tu destines nos jours à servir la Russie,

[…]3737 Ms. Dans le recueil, cinq lignes sont barrées.

Que tout ançien plaisir devienne pour nous une peine

Que nos Cœurs ulçérés ne soient plus qu’à la haine

Qu’ils n’aient de sentiments que çeux de l’inimitié

Qu’ils ignorent l’amour, qu’ils renonçent l’amitié

Et que les maux, l’infortune, suivant par-tout vos pas

Ne nous laissent de soutien que l’espoir du trépas !

Vers à l’Empereur de Russie

Quand j’ai crû qu’il les méritait 1796

O Toi dont le regne commençe par des bienfaits [fol. 75r]

Qui protége l’innoçençe, pardonne même aux forfaits

Toi, dont la clémençe vient de rendre à nos larmes,

Douze mille infortunnés objets de tant d’allarmes,

Un héros de la Pologne, l’infortuné soutien,

Qu’honore, que chérit, tout honnête Citoyen,

Prinçe daignez acçepter un hommage digne de vous

Celui d’un sentiment aussi noble que doux,

De la reconnaissançe, que font naître en nos Cœurs

Les bontés que le tien prodigue à nos malheurs ;

Il n’est point dicté par une basse flatterie

Polonaise, je fais gloire de chérir ma Patrie,

Et ne crois pas t’offenser quand j’ose içi te dire

Que je hais ton Paÿs autant que je t’admire.

Loin de craindre que cet aveu ne te parût un crime

Je me flatte qu’il pourra me valoir ton estime

Et que même ta vertu ne sçaurait condamner,

Ce pur enthousiasme que le viçe seul peut blâmer.

Du foible oprimé généreux défenseur,

D’un Peuple malheureux auguste Protecteur,

Quand ton œil vigilant réprime tes agents

Tu lui rend[s]3838 Ms. rend un Monarque au lieu de mille tyrants

Quand tu daignes permettre qu’aux pieds de ton thrône

Un infortuné que le sort abandonne

Vienne te procurer le[s]3939 Ms. le moyens d’être heureux [fol. 75v]

Celui de secourir des mortels malheureux,

Permets donc encore que la reconnaissançe

Publie tes vertus, éxalte ta bienfaisançe,

Que je te consacre içi les premiers vœux,

Que jamais pour un Russe j’ai adressé aux Cieux !

Protégez, grand Dieu, une si belle vie,

L’Exemple des monarques, l’amour de la Russie

Puisse-t-il adoré du Peuple dont il est Pere

Finir avec gloire un regne long et prospere,

Puisse son nom écrit dans le Temple des vertus

Ne le pas céder au grand nom de Titus

Et puisse le Vieillard, au sein de sa famille

Apprendre à le bénir au[x]4040 Ms. au petits-fils de sa fille !

A l’Amour 1797

Amour, cruel amour, ah fuies loin de mon Cœur

Laisse-moi goûter encore quelques instants de bonheur

Le bonheur dit-on est l’ardeur de tes feux,

Mais cette ardeur jamais a-t-elle fait un heureux

L’Univers à genoux te présente ses hommages,

Et l’univers entier gémit de tes ravages

Vainqueur de Monarques, vaincu par une faiblesse

Pour toi le Heros est capable de bassesse.

Tu trahis en flattant l’aimable innoçence [fol. 76r]

Même en la redoutant adore ta puissançe,

Et l’œil noié de pleurs, le Cœur gros de soupirs,

Dans ses tourments même, croit voir des plaisirs !

Ces plaisirs que sont-ils ? une vaine illusion

Qu’enfante et detruit une aveugle passion,

Des instants de douçeur, suivis de milles allarmes

Et payés bien-tôt par des torrents de larmes !

Les appelle qui voudra du faux nom de bonheur

Je te redoute amour, ah laisse en paix mon Cœur !

[…]4141 Ms. Dans le recueil, treize lignes sont barrées. [fol. 76v]

[…]4242 Ms. Dans le recueil, quatre lignes sont barrées.

Mes adieux à Kustin 1798

O lieux chers et charmants où ma paisible enfançe

Coula dans le sein de la paix et de l’innoçençe

Vous qu’une longue habitude rend si cher à mon Cœur

Où j’ai vû renaître dix années du bonheur

Où tout me retraçe les souvenirs les plus doux

Qu’il en coûte à Valere pour s’éloigner de vous.

Et Toi doux Printemps, belle Saison des fleurs,

Saison de mes plaisirs, tu l’ès de mes douleurs !

C’est Toi qui ramene le douloureux moment

Où je quitte à jamais ce séjour4343 Ms. séjours si charmant,

Jadis tu fûs pour moi l’époque desirée

Qui des glaçes de l’hiver délivrant la contrée,

Rendait leur verdure à çes près si fertiles

Leur bel azur aux Cieux leurs cours aux […]4444 Ms. mot illisible

Tu donnes l’Etre à tout, dans les bois les oiseaux

Les insectes sous la terre, les Poissons dans les eaux

Tout renait à ta voix, tout célébre le retour

De çes jours fortunés, consacrés à l’amour [fol. 77r]

Mon ame s’abandonnant à cette volupté pure

Etrangere à l’amour, ençensait la nature,

Jamais je n’admirais son aspect solemnel

Sans aimer davantage, sans bénir l’Eternel.

Sans rendre à ses merveilles, le culte qui leur est dû

Sans mieux haïr le viçe, mieux chérir la vertu,

Sans mieux ressentir et mieux reconnaître,

Ce que doit ma tendresse aux auteurs de mon être !

Sans que du monde renaissant la vue majestueuse,

Ne me rendit plus sensible et par-là plus heureuse

Auteur de çes merveilles qui éblouissent ma vue

En çes lieux mieux qu’aillieurs je crois être entendue,

Ces Champs couverts d’épis, ces près que je contemple4545 Ms. contemples

Voilà tes vrais autels, tes plus augustes Temples,

C’est içi où tout parle de ta bienfaisançe,

Que j’aimais à parler de ma vive reconnaissançe,

Et quand tout célébrait tant de bienfaits divers

Je joignais mes hommages à ceux de l’Univers.

Tu sais que toujours le premier de mes vœux

Fût le don d’un Cœur sensible et vertueux,

Le bonheur pur et doux que procure la tendresse

Un sort fortuné pour tout ce qui m’intéresse,

Une vie vouée à ceux à qui mon Cœur est lié [fol. 77v]

Et coulée tranquillement au sein de l’amitié !...

Daigne éxauçer çes vœux que ma foible voix

Répete en çes lieux pour la derniere fois !...

Ces lieux… seront toujours bien chers à mon Souvenir,

Protege-les… j’ose former ce nouveau desir,

Daigne leur conserver des jours sereins et doux

Rappelle-y le bonheur… il semble fuïr avec nous.

Et vous cheres amies, que je laisse en çes contrées

Que ne voyez-vous combien vous êtes pleurées !

Puissiez-vous pénétrant mes sentiments secrets

Voir que vôtre amie merita quelques regrets ;

En lisant dans mon ame puissent vos sensibles Cœurs

Payer de quelques larmes ce que vous coûtez de pleurs.

Ne m’oubliez pas… adieu… et que Valere

Autant qu’elle vous aime, vous soit toujours chere !

Adieu donc Kustin, adieu belles prairies

Bois charmants, plaines fertiles et vous ondes chéries

Dont le cours inconstant m’enseignait nos destins,

Beaux arbres, cultivés et plantés par mes mains,

Jardin déliçieux dont la belle structure,

Est le mérite de l’art soumis à la nature,

Par terre où je venais occuper mes loisirs

De lectures qui joignent l’instruction aux plaisirs [fol. 79r]4646 Le feuillet 78 est enlevé.

Lieux toujours témoins, souvent seuls confidents

De mes peines, de mes plaisirs, de tous mes sentiments,

Je vous quitte : mes pleurs vous dérobent à mes yeux

C’est le langage du Cœur, et çe sont mes adieux.